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De ne fuivre en nulle façon :
Marchons tous les trois au rivage,
Embarquons-nous sur un esquif;
J'aurai fur vous l'œil attentif.
Point de gefte, point de langage;
Au premier figne un peu douteux,
Au clignement d'une paupière,
A l'inftant je vous coupe en deux,
Et vous jette dans la rivière.

Le fatrape était un seigneur
Affez fujet à la frayeur ;
Il eut beaucoup d'obéissance :
Lorsqu'on a peur on eft fort doux.
Sur la nacelle en diligence
Nous l'embarquâmes avec nous.
Sitôt que nous fûmes en Grèce,
Son vainqueur le mit à rançon;
Elle fut en fonnante espèce;
Elle était forte, il m'en fit don:
Ce fut ma dot & mon douaire.
Avouez qu'il a fu plus faire
Que le bel-esprit Ligdamon;
Et que j'aurais fort à me plaindre,
S'il n'avait fongé qu'à me peindre,

Et qu'à me faire une chanson.

Les Grecs furent charmés de la voix douce & vive, Du naturel aifé, de la gaîté naïve

Dont la jeune Téone anima fon récit.

La grâce en s'exprimant vaut mieux que ce qu'on dit. On applaudit, on rit; les Grecs aimaient à rire. Pourvu qu'on foit content, qu'importe qu'on admire?

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Apamis s'avança les larmes dans les yeux;

Ses pleurs étaient un charme, & la rendaient plus belle.
Les Grecs prirent alors un air plus férieux,

Et dès qu'elle parla les cœurs furent pour elle.

Apamis raconta fes malheureux amours

En mètres qui n'étaient ni trop longs ni trop courts;

Dix fyllabes par vers mollement arrangées

Se fuivaient avec art, & femblaient négligées.

Le rhythme en eft facile, il est mélodieux ;
L'hexamètre eft plus beau, mais parfois ennuyeux.

A PAM 1 S.

L'aftre cruel fous qui j'ai vu le jour
M'a fait pourtant naître dans Amathonte,
Lieux fortunés où la Gréce raconte
Que le berceau de la mère d'Amour
Par les plaifirs fut apporté fur l'onde;
Elle y naquit pour le bonheur du monde,
A ce qu'on dit, mais non pas pour le mien.
Son culte aimable & fa loi douce & pure
A fes fujets n'avaient fait que du bien,
que fa loi fut celle de nature.

Tant

Le rigorifme a fouillé fes autels;

Les Dieux font bons, les prêtres font cruels.
Les novateurs ont voulu qu'une belle,
Qui par malheur deviendrait infidelle,
Allât finir fes jours au fond de l'eau
Où la Déeffe avait eu fon berceau,
Si quelqu'amant ne fe noyait pour elle.
Pouvait-on faire une loi fi cruelle?
Hélas! faut-il le frein du châtiment

Aux cœurs bien nés pour aimer constamment ?

Et fi jamais à la faibleffe en proie,

Quelque beauté vient à changer d'amant,

C'eft un grand mal; mais faut-il qu'on la noie?
Tendre Vénus, vous qui fîtes ma joie

Et mon malheur, vous qu'avec tant de foin
J'avais fervie avec le beau Batile,

D'un cœur fi droit, d'un esprit fi docile,
Vous le favez, je vous prends à témoin
Comme j'aimais, & fi j'avais besoin

Que mon amour fût nourri par la crainte.
Des plus beaux nœuds la pure & douce étreinte
Fefait un cœur de nos cœurs amoureux.

Batile & moi nous refpirions ces feux
Dont autrefois a brûlé la Déeffe.

L'aftre des cieux en commençant fon cours,
En l'achevant contemplait nos amours;
La nuit favait quelle était ma tendresse.

Arénorax, homme indigne d'aimer,

Au regard fombre, au front trifte, au cœur traître, D'amour pour moi parut s'envenimer,

Non s'attendrir; il le fit bien connaître.

Né pour haïr, il ne fut que jaloux.

Il diftilla les poisons de l'envie;

Il fit parler la noire calomnie.
O délateurs ! monftres de ma patrie,

Nés de l'enfer, hélas ! rentrez-y tous.
L'art contre moi mit tant de vraisemblance
Que mon amant put même s'y tromper,
Et l'impofture accabla l'innocence.

Dispensez-moi de vous développer
Le noir tiffu de fa trame fecrète ;

Mon tendre cœur ne peut s'en occuper,

Il eft trop plein de l'amant qu'il regrette.
A la Déesse en vain j'eus mon recours,
Tout me trahit : je me vis condamnée
A terminer mes maux & mes beaux jours
Dans cette mer où Vénus était née.

On me menait au lieu de mon trépas;
Un peuple entier mouillait de pleurs mes pas,
Et me plaignait d'une plainte inutile,
Quand je reçus un billet de Batile,
Fatal écrit qui changeait tout mon fort!
Trop cher écrit plus cruel que la mort !
Je crus tomber dans la nuit éternelle
Quand je l'ouvris, quand j'aperçus ces mots :
"Je meurs pour vous, fuffiez-vous infidelle. ››
C'en était fait; mon amant dans les flots

S'était jeté pour me fauver la vie.
On l'admirait en pouffant des fanglots.
Je t'implorais, ô mort, ma feule envie,
Mon feul devoir! on eut la cruauté
De m'arrêter lorsque j'allais le fuivre;
On m'obferva, j'eus le malheur de vivre.
De l'impofteur la fombre iniquité

Fut mife au jour, & trop tard découverte.
Du talion il a fubi la loi;

Son châtiment répare-t-il ma perte ?

Le beau Batile eft mort, & c'eft

pour moi!

Je viens à vous, ô juges favorables;
Que mes foupirs, que mes funèbres foins
Touchent vos cœurs ; que j'obtienne du moins
Un appareil à des maux incurables.

A mon amant dans la nuit du trépas
Donnez le prix que ce trépas mérite;

Qu'il

Qu'il fe confole aux rives du Cocyte,

Quand fa moitié ne fe confole pas.

Que cette main qui tremble & qui fuccombe
Par vos bontés encor fe ranimant,

Puiffe à vos yeux écrire fur fa tombe :

,, Athène & moi couronnons mon amant. " Difant ces mots, fes fanglots l'arrêtèrent; Elle fe tut, mais fes larmes parlèrent.

Chaque juge fut attendri.

Pour Eglé d'abord ils penchèrent;
Avec Téone ils avaient ri;

Avec Apamis ils pleurèrent.

J'ignore, & j'en fuis bien marri,
Quel eft le vainqueur qu'ils nommèrent.

Au coin du feu, mes chers amis,
C'est pour vous feuls que je transcris
Ces contes tirés d'un vieux fage.
Je m'en tiens à votre fuffrage;
C'eft à vous de donner le prix,
Vous êtes mon aréopage.

THELEME ET
ET MACARE.

THELEME

HELEME eft vive, elle eft brillante,

Mais elle eft bien impatiente;

Son œil eft toujours ébloui,

Et fon cœur toujours la tourmente.

Elle aimait un gros réjoui,

D'une humeur toute différente.

Contes, Satires, &c.

E

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