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Lui rappelait les exploits de fa race,
Lui racontait comment le grand Clovis
Affaffina trois rois de fes amis,

Comment du ciel il mérita la grâce.
Elle avait vu le beau pigeon béni,
Du haut des cieux apportant à Rémi
L'ampoule fainte & le célefte chrême,
Dont ce grand roi fut oint dans son baptême.
Elle mêlait à fes narrations

Des fentimens & des réflexions,

Des traits d'efprit & de morale pure,
Qui, fans couper le fil de l'aventure,
Fefaient penser l'auditeur attentif,
Et l'inftruifaient, mais fans l'air inftructif..
Le bon ROBERT à toutes ces merveilles,
Le cœur ému, prêtait fes deux oreilles,
Tout délecté quand fa femme parlait,
Prêt à mourir quand il la regardait.

L'étrange couple arrive à la chaumière,
Que poffédait l'affreuse aventurière.
Elle fe trouffe, & de fa fale main,
De fon époux arrange le feftin;
Frugal repas fait pour ce premier âge
Plus célébré qu'imité par le fage.

Deux ais pourris fur trois pieds inégaux
Formaient la table où les époux soupèrent,

A peine affis fur deux minces treteaux :
Du trifte époux les regards se baissèrent.
La décrépite égaya le repas

Par des propos plaifans & délicats,

Par des bons mots, qui piquent & qu'on aime, Si naturels que l'on croirait foi-même

Les avoir dits. ROBERT fut fi content

Qu'il en fourit, & qu'il crut un moment
Qu'elle pouvait lui paraître moins laide.
Elle voulut, quand le souper finit,
Que fon époux vînt avec elle au lit.
Le désespoir, la fureur le poffède;
A cette crife, il fouhaite la mort;
Mais il fe couche, il fe fait cet effort;
Il l'a promis, le mal est sans remède.

Ce n'était point deux fales demi-draps,
Percés de trous & rongés par les rats,
Mal étendus fur de vieilles javelles,
Mal recoufus, encor par des ficelles,
Qui révoltaient le guerrier malheureux;
Du faint hymen les devoirs rigoureux
S'offraient à lui fous un afpect horrible;
Le ciel, dit-il, voudrait-il l'impoffible?
A Rome, on dit que la grâce d'en-haut
Donne à la fois le vouloir & le faire;
La grâce & moi nous fommes en défaut.
Par fon esprit ma femme a de quoi plaire,
Son cœur eft bon; mais dans le grand conflit
Peut-on jouir du cœur ou de l'esprit?
Ainfi parlant, le bon ROBERT se jette,
Froid comme glace, au bord de fa couchette:
Et pour cacher fon cruel déplaifir,

Il feint qu'il dort, mais il ne peut dormir.

La vieille alors lui dit d'une voix tendre,

dormez-vous?
Charmant ingrat, cher & cruel époux,
Je fuis rendue, hâtez-vous de vous rendre;
De ma pudeur les timides accens

En le pinçant : Ah! ROBERT,

f

Sont fubjugués par la voix de mes fens.
Régnez fur eux ainfi que fur mon ame;

Je meurs, je meurs! Ciel! à quoi réduis-tu
Mon naturel qui combat ma vertu?

Je me diffous, je brûle, je me pâme,
Ah! le plaifir m'enivre malgré moi;

Je n'en puis plus, faut-il mourir fans toi!
Va, je le mets deffus ta confcience.

ROBERT avait un fonds de complaisance, Et de candeur & de religion;

De fon épouse il eut compaffion.

Hélas, dit-il, j'aurais voulu, Madame,
Par mon ardeur égaler votre flamme;

Mais que pourrai-je ? Allez, vous pourrez tout,

Reprit la vieille ; il n'eft rien à votre âge
Dont un grand cœur enfin ne vienne à bout,
Avec des foins, de l'art & du courage :

Songez combien les dames de la cour
Célébreront ce prodige d'amour.
Je vous parais peut-être dégoûtante,
Un
peu ridée & même un peu puante;
Cela n'eft rien pour des héros bien nés;
Fermez les yeux & bouchez-vous le nez.
Le chevalier, amoureux de la gloire,
Voulut enfin tenter cette victoire ;
Il obéit, & fe piquant d'honneur,
N'écoutant plus que fa rare valeur,
Aidé du ciel, trouvant dans fa jeunesse
Ce qui tient lieu de beauté, de tendresse,
Fermant les yeux, fe mit à fon devoir.

C'en eft affez, lui dit fa tendre épouse,
J'ai vu de vous ce que j'ai voulu voir;

Sur votre cœur j'ai connu mon pouvoir;
De ce pouvoir ma gloire était jalouse ;
J'avais raison; convenez-en, mon fils,
Femme toujours eft maîtreffe au logis.
Ce qu'à jamais, ROBERT, je vous demande,
C'eft qu'à mes foins vous vous laiffiez guider :
Obéiffez, mon amour vous commande
D'ouvrir les yeux & de me regarder.

ROBERT regarde; il voit à la lumière
De cent flambeaux, fur vingt luftres placés,
Dans un palais, qui fut cette chaumière,
Sous des rideaux de perles rehauffés,
Une beauté, dont le pinceau d'Apelle,
Ou de Vanlo, ni le cifeau fidelle
Du bon Pigal, le Moine, ou Phidias,
N'auraient jamais imité les appas.
C'était Vénus, mais Vénus amoureuse,
Telle qu'elle eft quand, les cheveux épars,
Les yeux noyés dans fa langueur heureuse,
Entre fes bras elle attend le dieu Mars.

Tout eft à vous, ce palais & moi-même:
Jouiffez-en, dit-elle à fon vainqueur :
Vous n'avez point dédaigné la laideur,
Vous méritez que la beauté vous aime.

Or, maintenant j'entends mes auditeurs Me demander quelle était cette belle, De qui ROBERT eut les tendres faveurs. Mes chers amis, c'était la fée URGELLE, Qui dans fon temps protégea nos guerriers, Et fit du bien aux pauvres chevaliers.

O l'heureux temps que celui de ces fables, Des bons démons, des efprits familiers,

Des farfadets, aux mortels fecourables!
On écoutait tous ces faits admirables
Dans fon château, près d'un large foyer:
Le père & l'oncle, & la mère & la fille,
Et les voisins, & toute la famille,
Ouvraient l'oreille à monfieur l'aumônier,
Qui leur fefait des contes de forcier.

On a banni les démons & les fées;
Sous la raifon les grâces étouffées,
Livrent nos cœurs à l'infipidité;
Le raisonner triftement s'accrédite;
On court, hélas! après la vérité;
Ah! croyez-moi, l'erreur a fon mérite.

L'EDUCATION D'UN PRINCE.

PUISQUE le Dieu du jour, en ses douze voyages,

Habite triftement fa maifon du Verfeau,

Que les monts font encore affiégés des orages,
Et que nos prés rians font engloutis fous l'eau,

Je veux, au coin du feu, vous faire un nouveau conte:
Nos loisirs font plus doux par nos amusemens.

Je fuis vieux, je l'avoue, & je n'ai point de honte

De goûter avec vous le plaifir des enfans.

Dans Bénévent jadis régnait un jeune prince,
Plongé dans la molleffe, ivre de fon pouvoir,
Elevé comme un fot, & fans en rien savoir,
Méprifé des voisins, haï dans fa province.
Deux fripons gouvernaient cet Etat affez mince;
Ils avaient abruti l'efprit de monfeigneur,
Aidés dans ce projet par fon vieux confesseur;

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