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Donnez du gigantefque; étourdiffez les fots.

Si vous ne pensez pas, créez de nouveaux mots:
Et que votre jargon, digne en tout de notre âge,
Nous faffe de Racine oublier le langage.

Jadis en fa volière un riche curieux
Raffembla des oiseaux le peuple harmonieux;
Le chantre de la nuit, le ferin, la fauvette,
De leurs fons enchanteurs égayaient sa retraite ;
Il eut foin d'écarter les lézards & les rats.

Ils n'ofaient approcher : ce temps ne dura pas.
Un nouveau maître vint; fes gens fe négligèrent,
La volière tomba; les rats s'en emparèrent;
Ils dirent aux lézards: Illuftres compagnons,
Les oifeaux ne font plus ; & c'eft nous qui régnons.

NOTES.

(a) On a déjà vu que Jean-Jacques Rouffeau le génevois s'avisa d'écrire, dans une lettre à M. l'archevêque de Paris, que l'Europe aurait dû lui élever une ftatue, à lui Jean-Jacques.

(1) Voyez fur ces differens fyftêmes la partie philosophique de cette édition.

(2) C'était avec l'abbé Joannet que l'abbé Trublet fefait le Journal chrétien. Le récollet Hayer fefait un autre journal avec l'avocat Soret ; l'abbé Dinouard & l'abbé Gauchat en fefaient deux autres. Nous avions alors quatre journaux théologiques.

ET JEAN NOT.

LE PERE NICODEME.

JEANNOT, fouviens-toi bien que la philosophie

Eft un démon d'enfer à qui l'on facrifie.
Archimède autrefois gâta le genre-humain ;
Newton dans notre temps fut un franc libertin.
Locke a plus corrompu de femmes & de filles
Que Lafs à l'hôpital n'a conduit de familles.
Tout chrétien qui raisonne a le cerveau blessé.
Béniffons les mortels qui n'ont jamais pensé.
O bienheureux Larcher, Viret, Cogé, Nonotte, ( 1 )
Que de tous vos écrits la pefanteur dévote

Toujours pour mon esprit eut de charmes puissans!
Le péché n'eft, dit-on, que l'abus du bon fens;
Et de peur de l'abus vous banniffez l'usage.
Ah! fuyons faintement le danger d'être fage.
Pour faire ton falut ne pense point, Jeannot;
Abrutis bien ton ame, & fais vœu d'être un fot.

JEANNO T.

Je fens de vos difcours l'influence bénigne, Je bâille; & de vos foins je me crois déjà digne. J'ai toujours remarqué que l'efprit rend malin. Vous vous reffouvenez du bon curé Fantin, Qui prêchant, confeffant les dames de Versailles, Careffait tour à tour, & volait fes ouailles ; Ce cher monfieur Billard, & fon ami Grifel, (2)

Grands porteurs de cilice, & chanteurs de missel,
Qui prenaient notre argent pour mettre en œuvres pies:
Tous ces gens-là, mon père, étaient de grands génies!

LE PERE NICO DE ME.

Mon fils, n'en doute pas, ils ont philofophé ;
Et foudain leur esprit, par le diable échauffé,
Brûla de tous les feux de la concupiscence.
Dans les bofquets d'Eden l'arbre de la science
Portait un fruit de mort & de corruption.
Notre bon père en eut une indigeftion.
Pour lui bien conferver fa fragile innocence,
Il eût fallu planter l'arbre de l'ignorance.

JEANNOT.

C'eft bien dit; mais fouffrez que Jeannot l'hébété Propose avec respect une difficulté:

De tous les écrivains dont la pesante plume
Barbouilla fans penser tous les mois un volume,
Le plus ignare en grec, en français, en latin,
C'eft notre ami Fréron de Quimper-Corentin.
Sa groffe ame pourtant dans le vice eft plongée.
De cent mortels poisons Belzebuth l'a rongée.
Je conclurais de là, fi j'ofais raisonner,
Que le pauvre d'efprit peut encor fe damner.

LE PERE NICODE ME.

Oui, mais c'eft quand ce pauvre ose se croire riche,
C'eft quand du bel efprit un lourd pédant s'entiche;
Quand le démon d'orgueil & celui de la faim
Saififfent à la gorge un maudit écrivain;

Le déloyal alors eft poffédé du diable.
Chez tout fot bel esprit le vice eft incurable;

A

Au

pur

Il va trouver enfin, pour prix de ses travers,
Desfontaine & Chauffon dans le fond des enfers.
sein d'Abraham il eût volé peut-être,
Si dans fon humble étage il eût fu fe connaître ;
Mais il fut réprouvé fitôt qu'il entreprit
D'allier la fottife avec le bel efprit.

Autrefois un hibou, formé par la nature
Pour fuir l'aftre du jour au fond de sa masure,
Laffé de fa retraite, eut le projet hardi
De voir comment eft fait le foleil à midi.
Il pria de fon antre une aigle fa voifine
De daigner le conduire à la sphère divine,
D'où le blond Apollon de fes rayons dorés
Perce les vaftes cieux par lui feul éclairés.
L'aigle au milieu des airs le porta fur ses ailes;
Mais bientôt ébloui des clartés immortelles,
Dont l'éclat n'eft pas fait pour fes débiles yeux,
Le mangeur de fouris tomba du haut des cieux.
Les oifeaux accourus à fes plaintes funèbres,
Dévorèrent foudain le courrier des ténèbres.
Profite de fa faute ; &, tapi dans ton trou,
Fuis le jour à jamais en fidelle hibou.

JEANNO T.

On a beau fe foumettre à fermer la paupière, On voudrait quelquefois voir un peu de lumière. J'entends dire en tous lieux que le monde eft inftruit, Qu'avec faint Loyola le menfonge s'enfuit, Qu'Aranda dans l'Espagne, éclairant les fidelles, A l'inquifition vient de rogner les ailes. Chez les Italiens les yeux fe font ouverts. Une augufte cité, fouveraine des mers,

Des filets de Barjone a rompu quelques mailles.
Le fouverain chéri qui naquit dans Versailles
Annulla, m'a-t-on dit, ces billets fi fameux
Que les morts aux enfers emportaient avec eux. (3)
Avec difcrétion la fage tolérance

D'une éternelle paix nous permet l'efpérance.
D'abord avec effroi j'entendais ces difcours;
Mais, par cent mille voix répétés tous les jours,
Ils réveillent enfin mon ame appesantie:
Et j'ai de raisonner la plus terrible envie.

LE PERE NICODE ME.

Ah! te voilà perdu. Jeannot n'eft plus à moi.
Tous les cœurs fort gâtés.... l'efprit bannit la foi!
L'efprit s'étend par-tout.... O divine bêtise,
Verfez tous vos pavots; foutenez mon Eglife.
A quel faint recourir dans cette extrémité?
O mon fils, cher enfant de la ftupidité,
Quel ennemi t'arrache au doux fein de ta mère ?
On te l'a dit cent fois, malheur à qui s'éclaire!
Ne va point contrifter les cœurs des gens de bien.
Courage; allons, rends-toi, lis le Journal chrétien ;
De Jean-Georges (4), crois-moi, lis le difcours fublime :
C'eft pour ton mal qui preffe un excellent régime.
Tu peux guérir encore. Oui, Paris, dans fes murs,
Voit encor, grâce à Dieu, des efprits lourds, obfcurs,
D'argumens rebattus déterminés copiftes,
Tout farcis de lambeaux des premiers janféniftes.
Jette-toi dans leurs bras; dévore leurs leçons;
Apprends d'eux à donner des mots pour des raifons.

Fais des phrases, Jeannot; ma douleur t'en conjure.
Par ce palliatif adoucis ta blessure.

Ne fois point philosophe.

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