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DES EDITEUR S.

DANS un fiècle où l'on met de la vanité à être fenfible, où l'on veut s'occuper des intérêts de la fociété fans fe donner la peine de les étudier, & pouvoir parler de la nature, fans s'affervir au travail pénible de l'observer; où l'on confond la fingularité des opinions avec la philofophie, & où l'on fe croit au-dessus des préjugés, parce qu'on préfère des rêves nouveaux aux rêves de nos pères dans un tel fiècle les mauvais drames, les livres extravagans en politique, les fyftêmes vagues d'histoire naturelle, les paradoxes doivent devenir communs; & il n'est pas étonnant qu'ils aient excité la bile de M. de Voltaire. Mais ces fottifes font une fuite néceffaire de ce fentiment d'humanité, fruit précieux de la philofophie, & que M. de Voltaire a contribué, plus que perfonne, à répandre en Europe; de l'importance que les hommes favent attacher enfin à leurs véritables intérêts, à la connaissance de leurs droits, & des fources du bonheur public, enfin du goût général pour les fciences naturelles, & pour une philofophie fondée fur la raison feule, & délivrée du joug de l'autorité & des fyftêmes.

Ce mal, dont il fe plaint, n'eft que l'abus du bien que lui-même avait fait.

On le voit alternativement tantôt relever fon fiècle, tantôt le traiter avec mépris, felon qu'il était le plus frappé, ou des progrès de la raison, ou du fuccès éphémère de quelques extravagances.

Il ne faut point cependant l'accufer de contradiction: c'eft un père qui emploie avec fes enfans tantôt l'encouragement & tantôt le reproche.

LES

SIECLE où je vis briller un 1 fuivi d'un quatre,

Siècle où l'on fut écrire auffi-bien que combattre,
D'où vient qu'à nos plaifirs a fuccédé l'ennui?
Reffemblons-nous du moins au Romain d'aujourd'hui,
Qui, fier dans l'indigence, & grand dans ses misères,
Vante, en tendant la main, les tréfors de fes pères ?
Non, d'un plus noble orgueil notre esprit eft bleffé.
Nous croyons valoir mieux que le bon temps paffé.
La sagesse en nos jours a fur nous tant d'empire,
Que nous avons perdu la faculté de rire.
C'eft dommage; autrefois Molière était plaisant;
Il fut nous égayer, mais en nous inftruifant :
Le comique pleureur aujourd'hui veut séduire,
Et fans nous amufer renonce à nous inftruire.
Que je plains un français quand il eft fans gaîté !
Loin de fon élément le pauvre homme eft jeté ;
Je n'aime point Thalie alors que fur la scène
Elle prend gauchement l'habit de Melpomène.
Ces deux charmantes fœurs ont bien changé de ton.
Hors de fon caractère on ne fait rien de bon.
Molière en rit là-bas, & Racine en foupire.

Il ne peut supporter l'infipide délire

De tous ces plats romans mis en vers bourfouflés,
Apoftrophes aux Dieux, lieux communs ampoulés,
Maximes fans raison, nœuds d'intrigues bizarres,
Et la fcène française en proie à des barbares.

Tant mieux, dit un rêveur foi-difant financier,
Qui gouverne l'Etat du haut de fon grenier ;
La chute des beaux arts eft un bien pour la France;
Des revenus du roi ma main tient la balance:

Contes, Satires, &c.

Je verrai des impôts les Français affranchis.
Vous ennuyez l'Etat, & moi je l'enrichis.
J'ai fu fertiliser la terre avec ma plume;
J'ai fait contre Colbert un excellent volume:
Le public n'en fait rien; mais la postérité
M'attend pour me conduire à l'immortalité ;
Et pour prix des calculs où mon esprit se tue,
Je veux avec Jean-Jacque avoir une ftatue. (a)

Taifez-vous, lui répond un philosophe altier,
Et ne vous vantez plus de votre obscur métier;
Vous gouvernez l'Etat! quelle trifte manie
Peut dans ce cercle étroit captiver un génie ?
Prenez un vol plus haut; gouvernez l'univers.
Prouvez-nous que les monts font formés par les mers;
Jetez les Apennins dans l'abyme de l'onde;

Defcendez
par un trou dans le centre du monde.
Pour bien connaître l'ame & nos fens inégaux,
Allez des Patagons difféquer les cerveaux;
Et tandis que Nedham a créé des anguilles,
Courez chez les Lapons, & ramenez des filles.
Voilà comme on s'illuftre en ce fiècle profond;
De la nature enfin mes yeux ont vu le fond.

Que Dieu parle à son gré, qu'à sa voix tout s'arrange;
Ce trait a fes beautés : moi je parle, & tout change.
Va, ne t'amufe plus aux finances du roi,
Viens-t-en créer un monde, & fois Dieu comme moi. (1)
A ces difcours brillans, faifi d'un faint fcrupule,
L'archidiacre Trublet s'épouvante & recule;

Et

pour charmer la cour qui s'y connaît fi bien,
Avec un récollet fait le Journal chrétien.
Les voilà tous les deux qui, commentant Moïfe,
Pour quinze fous par mois font l'appui de l'Eglife.

Ils travaillent long-temps: leur libraire conclut

Qu'il va mourir de faim, mais qu'il fait son falut. (2)
Un autre fou paraît suivi de sa sorcière;

Il veut réduire au gland l'académie entière.
Renoncez aux cités, venez au fond des bois;
Mortels, vivez contens fans fecours & fans lois;
Ou fi vous perfiftez dans l'abus effroyable
De goûter les plaifirs d'un être fociable,
A mes foins vigilans ofez vous confier.
Je fais d'un gentilhomme un garçon menuifier.
Ma Julie, avec moi perdant fon pucelage,
Accouche d'un fœtus, & n'en eft que plus fage.

Rien n'eft mal; rien n'eft bien; je mets tout de niveau ;
Je marie au dauphin la fille du bourreau,
Les petites-maisons, où toujours j'étudie,
Valent bien la forbonne & fa théologie.
Ainfi fur le pont-neuf, parmi les charlatans,
L'échappé de Genève ameute les paffans,
Grimpé fur les treteaux, qui jadis dans Athène
Avaient fervi de loge au chien de Diogène.

Si la philosophie a pris ce noble effor,
L'hiftoire fous nos mains va s'embellir encor.
Des riens approfondis dans un long répertoire,
Sans éclairer l'esprit, surchargent la mémoire.
Allons, poudreux valets d'infolens imprimeurs,
Petits abbés crottés, faméliques auteurs,
Reffaffez-moi Pétau, copiez-moi du Cange;
De tous nos vieux écrits compilez le mélange.
Servez d'antiques mets, fous des noms empruntés,
A l'appétit mourant des lecteurs dégoûtés:
Mais furtout écrivez en profe poëtique;

Dans un ftyle ampoulé parlez-moi de phyfique;

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