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AVERTISSEMENT

DES

EDITEURS.

NOUS OUS avons rétabli les notes de cette fatire d'après les premières éditions. L'auteur avait cru devoir en fupprimer quelques-unes. Ce qui occupait les efprits en 1760 était oublié en 1775. Il faut fe rappeler, en les lifant, l'époque où elles ont été faites, & la néceffité où fe trouvait M. de Voltaire de dévoiler l'hypocrifie des hommes qui, fous le masque du patriotisme, comme fous le manteau de la religion, cherchaient à perdre auprès de Louis XV des écrivains vertueux & amis du bien public, dont tout le crime était d'avoir excité leur envie, ou bleffé leur orgueil.

LE

RUSSE A PARIS.

Petit poëme en vers alexandrins, compofé à Paris, au mois de mai 1760, par M. IVAN ALETHOF, fecrétaire de l'ambaffade ruffe.

Τουτ
Tout le monde fait que M. Alethof, ayant appris

le français à Archangel, dont il était natif, cultiva les belles-lettres avec une ardeur incroyable, & y fit des progrès plus incroyables encore: fes travaux ruinèrent fa fanté. Il était aifé à émouvoir, comme Horace, irafci celer; il ne pardonnait jamais aux auteurs qui l'ennuyaient. Un livre du fieur Gauchat & un difcours du fieur le Franc de Pompignan le mirent dans une telle colère qu'il en eut une fluxion de poitrine; depuis ce temps il ne fit que languir, & mourut à Paris le 1er juin 1760, avec tous les fentimens d'un vrai catholique grec, perfuadé de l'infaillibilité de l'Eglife grecque. Nous donnons au public fon dernier ouvrage, qu'il n'a pas eu le temps de perfectionner; c'eft grand dommage: mais nous nous flattons d'imprimer dans peu fes autres poëmes, dans lefquels on trouvera plus d'érudition, & un ftyle beaucoup plus châtié.

D'UN PARISIEN ET D'UN RUSSE.

LE PARISI E N.

VOUS
ous avez donc franchi les mers.hyperborées,
Ces immenfes déferts & ces froides contrées,
Où le fils d'Alexis, inftruisant tous les rois,
A fait naître les arts, & les mœurs & les lois?
Pourquoi vous dérober aux sept aftres de l'ourse?
Beaux lieux où nos Français, dans leur favante course,
Allèrent, de Borée arpentant l'horizon,

Geler auprès du pôle aplati par Newton; (a)
Et dans ce grand projet utile à cent couronnes, (b)
Avec un quart de cercle enlever deux laponnes. (c)
Eft-ce un pareil deffein qui vous conduit chez nous ?

L E RUSS E.

Non, je viens m'éclairer, m'inftruire auprès de vous, Voir un peuple fameux, l'obferver & l'entendre.

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Aux bords de l'Occident que pouvez-vous apprendre? Dans vos vaftes Etats vous touchez à la fois

Au

pays de Chriftine, à l'empire chinois :
Le héros de Nerva fentit votre vaillance;
Le brutal janiffaire a tremblé dans Byzance;
Les hardis Pruffiens ont été terraffés ;

Et vainqueurs en tous lieux, vous en favez assez.

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J'ai voulu voir Paris : les faftes de l'hiftoire

Célèbrent fes plaifirs & confacrent fa gloire.

Tout mon cœur treffaillait à ces récits pompeux

De vos arts triomphans, de vos aimables jeux.
Quels plaifirs, quand vos jours marqués par vos conquêtes
S'embelliffaient encore à l'éclat de vos fêtes !

L'étranger admirait dans votre auguste cour
Cent filles de héros conduites par l'Amour;
Ces belles Montbazons, ces Châtillons brillantes,
Ces piquantes Bouillons, ces Némours fi touchantes,
Danfant avec Louis fous des berceaux de fleurs, (d)
Et du Rhin fubjugué couronnant les vainqueurs ;
Perrault du louvre augufte élevant la merveille;
Le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille;
Tandis que, plus aimable & plus maître des cœurs,
Racine, d'Henriette exprimant les douleurs, (e)
Et voilant ce beau nom du nom de Bérénice,
Des feux les plus touchans peignait le facrifice.
Cependant un Colbert en vos heureux remparts
Ranimait l'induftrie, & raffemblait les arts:
Tous ces arts en triomphe amenaient l'abondance.
Sur cent châteaux ailés les pavillons de France, (f)
Bravant ce peuple altier, complice de Cromwel,
Effrayaient la Tamife & les ports du Texel.

Sans doute les beaux fruits de ces âges illuftres,
Accrus par la culture & mûris par vingt luftres,
Sous vos favantes mains ont un nouvel éclat.
Le temps doit augmenter la fplendeur de l'Etat;
Mais je la cherche en vain dans cette ville immense.

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Aujourd'hui l'on étale un peu moins d'opulence. Nous nous fommes défaits d'un luxe dangereux; (g) Les efprits font changés, & les temps font fâcheux.

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LE RUSSE.

Et que vous refte-t-il de vos magnificences?

LE PARISI E N.

Mais.... nous avons fouvent de belles remontrances; (h) Et le nom d'Yfabeau, (*) fur un papier timbré,

Eft dans tous nos périls un fecours assuré.

LE RUSSE.

C'est beaucoup; mais enfin, quand la riche Angleterre Epuife fes tréfors à vous faire la

guerre,

Les papiers d'Yfabeau ne vous fuffiront pas;

Il faut des matelots, des vaiffeaux, des foldats....

LE PARISIEN.

Nous avons à Paris de plus grandes affaires.

L E RUSS E.

Quoi donc ?

LE PARISI E N.

Janfénius.... la bulle.... fes myftères: (i)

(k)

De deux fages partis les cris & les efforts,
Et des billets facrés payables chez les morts,
Et des convulfions & des réquifitoires (1)
Rempliront de nos temps les brillantes hiftoires.
Le Franc de Pompignan par fes divins écrits, (m)
Plus que Paliffot même occupe nos efprits; (n)
Nous quittons & la foire & l'opéra comique,
Pour juger de le Franc le ftyle académique.
Le Franc de Pompignan dit à tout l'univers,
Que le roi lit fa profe, & même encor fes vers.
L'univers cependant voit nos apothicaires
Combattre en parlement les jéfuites leurs frères: (0)

(*.) Greffier du parlement de Paris.

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