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gne aux malheureux la honte de recevoir. Voulez-vous savoir comment il faut donner? mettezvous à la place de celui qui reçoit. Le fameux médecin Dumoulin, ayant été appelé dans un couvent pour une jeune demoiselle d'une très grande naissance, mais fort pauvre, on lui en fit l'aveu en tremblant, dans la crainte que n'étant pas payé il ne revint plus. Il revint cependant, et il laissa un rouleau de dix louis d'or, afin que d'une partie de cet argent on pût le payer, et que les assistans ne s'aperçussent pas de l'insuffisance des moyens de la malade.

Il est beau, il est grand de ne pas vouloir être loué du bien qu'on a fait, de ne pas même en souffrir les justes remercimens, quelque délicat que soit ce plaisir, qui semble être la plus innocente récompense du bienfait. Henri II, roi de France, ayant offert la place d'avocat-général à M. de Mesme, ce magistrat prit la liberté de représenter à sa majesté que cette place n'étoit pas vacante. Elle l'est, répliqua le roi, parce que je suis mécontent de celui qui la remplit. - Pardonnez-moi, sire, répondit modestement M. de Mesme, après avoir fait l'apologie de l'accusé; j'aimerois mieux gratter la terre avec mes ongles, que d'entrer dans cette charge par une telle porte. » Le roi eut égard à sa remontrance, et laissa l'avocat-général dans sa place. Celui-ci étant venu le lendemain pour remercier son bienfaiteur, M. de Mesme eut beaucoup de peine à souffrir qu'il luifit des remercimens pour une action qui

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étoit, disoit-il, d'un devoir indispensable, et auquel il n'auroit pu manquer sans se déshonorer lui-même pour toujours.

La plupart des personnes bienfaisantes s'attendent du moins à ce léger tribut de la reconnoissance, et elles ont quelquefois la foiblesse de s'en plaindre, lorsqu'on ne le paie point à leur amourC'est que propre. la vanité, cette ennemie cachée de la vertu, se mêle souvent, même à notre insu, dans le bien que nous faisons, pour l'altérer ou le corrompre. Elle se glisse même dans les libéralités les plus saintes : on n'est pas fâché que les hommes sachent ce que l'on fait pour Dieu; et l'on regarde presque comme perducs les aumônes ignorées. Mélanie, l'une des plus riches et des plus vertueuses dames romaines, ayant ouï parler d'un saint abbé, alla le voir et lui porta trois cents livres de vaisselle d'argent, qu'elle le pria de vouloir bien recevoir, comme une part des richesses que Dieu lui avoit données. Le saint abbé se contenta de lui répondre : « Dieu veuille récompenser votre charité! Et se tournant vers son économe, il lui dit : « Prenez ceci et distribuezle aux monastères les plus pauvres. » Mélanie voyant qu'il ne lui disait pas une seule parole pour lui témoigner l'estime qu'il faisoit d'un présent si considérable, lui dit : « Mon père, je ne sais pas si vous faites attention que ce que je vous ai donné se monte à trois cents livres d'argent.Ma fille, lui répondit le saint abbé, celui à qui Vous avez fait ce présent, n'a pas besoin de sa

voir combien il pèse, puisque, pesant même les montagnes et les forêts dans ses divines balances, il ne peut ignorer quel est le poids de votre argent. » Sainte Mélanie rougit du petit sentiment de vanité qu'elle avoit eu: elle remercia celui qui le lui avoit fait remarquer, et profita de cette leçon pour la suite.

La bienfaisance ressemble à ces parfums précieux, qui s'évaporent dès qu'on les découvre. Vous faites bien : voulez-vous faire mieux? que je ne sache pas que vous faites bien, ou que je ne vous soupçonne pas dumoins de me l'avoir appris. Pourquoi appeler en confidence un tiers entre le ciel et vous? Léopold, ce prince bienfaisant dont nous avons déjà souvent parlé, aimoit à faire du bien sans qu'on le sût. Un gentilhomme qui ne lui avoit jamais rien demandé, quoiqu'il fût dans le besoin, jouoit avec lui et gagnoit beaucoup. « Vous jouez bien malheureusement, dit-il au prince; ne seroit-ce pas un effet de votre bonté?-Jamais, répondit Léopold, la fortune ne m'a mieux servi, mais je devois seul m'en apercevoir. >>

La fête que la ville de Paris donna en 1770, sur la place de Louis XV, au sujet du mariage de Louis XVI, alors dauphin, avec Marie-Antoinette d'Autriche - Lorraine, fut terminée, comme on sait, par un désastre affreux, où cent trentedeux personnes périrent, et un grand nombre furent blessées. Dans le moment même qu'on faisoit au jeune dauphin le récit de ce funeste

accident, on lui apporta six mille livres que le roi lui donnoit tous les mois pour ses menus plaisirs. Un de ses valets de chambre alloit serrer cet argent. Le prince lui ordonna de le mettre dans une boîte, et d'appeler un page. Il écrivit ensuite quelques lignes, et après avoir cacheté son billet, il le donna avec la boîte, à un page, pour le porter en diligence à M. de Sartine, lieutenant général de police, avec ordre de garder sur cette commission le plus grand secret, et de rapporter à lui seul la réponse du magistrat. Il lui écrivoit qu'il avoit appris le malheur arrivé à son occasion; qu'il en étoit pénétré, et qu'il lui envoyoit, pour secourir les plus malheureux, ce que le roi lui donnoit tous les mois pour ses menus plaisirs, ne pouvant disposer que de cela. Quand le page fut revenu avec la réponse de M. de Sartine, le dauphin, après l'avoir lue, la déchira, en jeta les morceaux au feu, et rentra dans son cabinet. Heureux les princes qui pensent si noblement ! plus heureux encore les peuples qui ont de tels princes!

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XII.

Prêtez avec plaisir, mais avec jugement.

Il faut prêter volontiers et gratuitement à ceux

qui sont dans le besoin c'est un acte de charité chrétienne, mais il faut le faire avec prudence. C'est un défaut de prêter trop facilement et à

toutes sortes de personnes, parce qu'on en est souvent la dupe. « Plusieurs, dit le sage, ont regardé ce qu'ils empruntoient, comme s'ils l'avoient trouvé, et ont fait de la peine à ceux qui les avoient secourus. Ils baisent la main de celui qui leur prête son argent, jusqu'à ce qu'ils l'aient reçu, et ils lui font des promesses avec des paroles humbles et soumises. Mais quand il faut rendre, ils demandent du temps, ils tiennent des discours pleins de chagrin et de murmures. »

Quelqu'un dont la présence et les assiduités vous ennuient et vous fatiguent, vous demandet-il à emprunter: profitez de l'occasion; prêtezlui bien vite, et soyez sûr que vous ne le verrez plus de long-temps.

L'ingratitude et l'injustice de quelques-uns ne doivent pas néanmoins nous rendre durs, et nous exposer à être injustes nous-mêmes, en refusant généralement de prêter. Il y a des cas où la charité oblige à le faire quand on le peut; c'est une véritable aumône que de secourir ainsi ceux qui sont dans la nécessité. « Plusieurs, dit l'auteur sacré de l'Ecclésiastique, évitent de prêter non par dureté, mais par la crainte qu'ils ont qu'on ne les trompe. Pour vous, usez de bonté envers le misérable, et ne différez pas à lui accorder la grâce qu'il vous demande. Assistez le pauvre, parce que Dieu l'ordonne, et ne le renvoyez pas les mains vides, parce qu'il est dans la misère. Perdez votre argent pour votre frère et pour votre ami, et ne le renfermez pas dans vos coffres, où

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