Page images
PDF
EPUB

mes, dès qu'il y entre de l'affectation, cessent de l'être.

Il n'est pas moins difficile d'ôter la timidité. Elle ne se corrige guère par de simples avis; on y réussira encore moins par des railleries et des reproches. On ne sauroit s'y prendre trop doucement il faut louer, encourager et flatter cet orgueil défiant, qui craint de se faire tort dans l'esprit des autres ou de se trahir soi-même. Car, quoique la timidité ait toutes les apparences de la modestie, elle n'est souvent qu'une vanité secrète et plus raffinée. Plusieurs ne sont timides que parce qu'ils veulent trop plaire, et qu'ils sont trop sensibles aux jugemens qu'on peut faire d'eux. Ils ne parlent qu'en tremblant, parce qu'ils ne savent comment on recevra ce qu'ils disent et s'il est propre à leur faire honneur. Il est dangereux de laisser prendre aux jeunes gens trop de confiance en eux-mêmes : il y a du danger à ne pas leur en laisser prendre assez. Une hardiesse et une timidité excessives sont également contraires à la vraie politesse, qui veut qu'on parle et qu'on agisse d'un air modeste et d'un air aisé, afin de ne choquer et de ne gêner personne. La présomption produit le mépris des autres, et par là le manquement aux égards qui leur sont dus. Le défaut d'une juste confiance en soi-même produit une pudeur niaise et un embarras ridicule.

Mais quoique la timidité soit un défaut, on la pardonne bien plus volontiers que la présomption elle flatte l'orgueil des autres, au lieu que

:

la présomption l'humilie. Il vaut donc mieux être un peu timide que trop hardi. Trop de hardiesse dans un jeune homme est le préliminaire de l'effronterie on est fondé à croire qu'il ira bientôt jusqu'à l'impudence.

L'air aisé, s'il devient trop libre, comme il arrive souvent, dégénère bientôt en familiarité, et conduit au mépris. Les égards qu'on a les uns pour les autres aident beaucoup à conserver une estime réciproque, qui est un des plus sûrs liens de la société. Les amis mêmes doivent se respecter, s'ils veulent rester long-temps amis. Mais c'est surtout avec les dames, qu'il convient à un jeune homme de ne paroître jamais familier. Il doit les approcher sans gêne, mais toujours avec une retenue modeste, mêlée de respect; ses manières, sans rien sentir de la contrainte, ne doivent jamais passer les bornes de la plus exacte pudeur. C'est à elles à en faire ressouvenir ceux qui oseroient y manquer.

On ne doit pas être moins réservé avec les personnes qui sont supérieures, et il n'est jamais permis d'oublier le respect qui leur est dû. Charles II, roi d'Espagne, le jour que mourut Philippe IV son père, admit, selon la coutume, les grands à venir lui baiser la main. Un d'eux, dans son compliment de condoléance et de félicitation, s'étant servi du terme d'amis : « Les rois, dit ce monarque avec un ton d'autorité, n'ont pas leurs vassaux pour amis, mais pour serviteurs. »

On peut souvent agir sans façon avec ses égaux,

mais il ne faut jamais le faire avec ceux qui sont au-dessus de nous, comme Auguste le fit un jour entendre finement à un de ses courtisans. Ce prince souffroit que ses ministres le régalassent l'un après l'autre. Un d'eux, le traitant sans beaucoup de façon, Auguste lui dit : « Je ne croyois pas que nous fussions si familiers ensemble. »

Il faut avec ceux qui sont au-dessus de nous que notre familiarité même soit respectueuse. On accuse, peut-être avec justice, les Français d'y manquer trop facilement. Aussi le cardinal Mazarin, dans les maximes qu'il inspiroit à Louis XIV, lui recommande-t-il ce point : « Ne vous familiarisez pas trop avec vos courtisans, lui disoit-il, de peur qu'ils ne vous perdent le respect. » Le roi profita de ce conseil; et jamais prince n'eut l'air plus sérieux, plus imposant, plus majestueux que ce monarque, qui savoit néanmoins, dès les premières années de son règne, le tempérer par une grande bonté. Un jour qu'il avoit donné audience aux députés des états de Bourgogne, le cardinal Mazarin dit à Villeroi : « Monsieur le maréchal, avez-vous pris garde comme le roi écoute en maître et parle en père? » Il étoit le premier à rassurer ceux que sa présence avoit intimidés. Un prélat fort éloquent, malgré la grande habitude qu'il avoit de parler en public, fut déconcerté dans un discours qu'il fit à ce monarque, et il hésita quelque temps. Ce prince, adoucissant alors cette noble fierté qui éclatoit sur son front, dit d'un de ces tons de voix qui entrent dans le cœur,

et qu'il savoit prendre si à propos : « Nous vous sommes obligés, monsieur, de nous donner le loisir d'admirer les belles choses que vous nous dites. » Le prélat se remit, et continua son discours

avec succès.

་འའ་འལ་་་

Ne décidez de rien qu'après l'avoir pesé.

Les plus prompts à décider sont presgue toujours ceux qui ne devroient décider jamais; moins on sait, plus on décide vite : c'est ce qu'on voit tous les jours en fait de science et de religion. Des hommes vains et superficiels, qui n'ont pour toutes connoissances qu'un peu plus de témérité que les autres, tranchent, décident sur des points qui demanderoient, pour être discutés, approfondis, une étude suivie, et des connoissances qu'ils n'auront jamais.

Dans toutes les matières, il est plus aisé de juger et de prononcer, que de peser et d'examiner les raisons qu'on auroit de le faire; et cependant n'estce pas ce que prescrivent la raison et la sagesse ? Plus l'objet est important et peut avoir de grandes suites, plus on doit y apporter un mûr examen..

Juges de la terre, magistrats, qui tenez entre vos mains la fortune et la vie des autres hommes, c'est à vous surtout que convient la maxime de ne rien décider qu'après l'avoir bien pesé. Vous ne devez ni prononcer légèrement, ni condamner sans les plus fortes preuves; et vous en rendrez compte à celui qui jugera les justices mêmes. Com

bien néanmoins y en a-t-il, qui, ou distraits, ou las de prêter une attention suivie, jugent presque au hasard, et se mettent ensuite peu en peine de réparer les torts qu'a causés leur négligence! Qu'il nous soit permis de leur proposer ici deux beaux exemples, dont il seroit à désirer que l'imitation fût moins souvent nécessaire.

M. de la Faluer, conseiller au parlement de Bretagne, ayant été nommé rapporteur d'une affaire, dépouilla, par sa précipitation, une famille honnête et pauvre, des seuls biens qui lui restoient. Quelques mois après l'arrêt rendu et signifié, il reconnut sa faute. Il fit venir les malheureuses victimes de sa négligence, et les força d'accepter de ses propres deniers la somme qu'il leur avoit fait perdre.

Gayot de la Rejace étoit un de ces juges droits, intègres et incorruptibles, qui suivent dans leurs jugemens les règles les plus pures de l'équité. Assis sur le tribunal, il étoit toujours sur ses gardes pour ne pas se laisser surprendre. Vaincu pourtant un jour par le sommeil, il s'y livra dans une audience, et ce fut l'unique fois de sa vie. Pour réparer cette faute, il alla aux opinions, et n'oublia rien pour s'instruire de la cause. Le président lui en dit le précis. Gayot donna ensuite sa voix. Les opinions furent fort balancées. Celui qui gagna eut l'avantage d'une voix seulement. Gayot,. après le jugement, soupçonna qu'il pouvoit avoir mal jugé. Il se fit apporter chez lui les sacs des parties après avoir examiné le procès avec une

« PreviousContinue »