Page images
PDF
EPUB

de l'aveugle, le soutien de l'infirmité chancelante (1). Il se hâtoit d'accorder aux pauvres ce qu'ils attendoient de sa bonté dans leurs besoins; il partageoit avec les indigens le pain que le Seigneur lui avoit donné en abondance; et de la toison de ses brebis il revêtoit ceux qui manquoient d'habillemens. Qu'est-ce qui lui inspiroit cette tendresse, cette sensibilité compatissante, qui sembloient être nées avec lui, comme il le disoit lui-même ? C'est qu'il ne voyoit en eux que ses semblables, des hommes comme lui, et qui, pour être si loin de lui par la fortune, ne laissoient pas. d'y tenir par l'humanité (2).

Quelle leçon pour ces riches superbes et voluptueux qui refusent tout aux besoins des indigens, tandis qu'ils accordent tout à leurs plaisirs; qui, loin d'employer une partie de leurs richesses à soulager la misère, ne les emploient qu'à l'irriter par l'image odieuse d'un luxe qui dévore l'héritage du pauvre! riches, injustes et inhumains, ignorez-vous donc que cette portion de vos richesses que vous ne faites servir qu'à votre faste, à votre mollesse, à votre sensualité, est encore plus au pauvre qu'à vous? Il a des droits réels, des droits certains et incontestables sur votre opulence..

Comme l'homme n'est grand que pour les petits, pour veiller au bonheur et à la tranquillité

(1) Oculus fuit cæco, et pes claudo, etc. Job. 29,

(1) Ab infantia crevit mecum miseratio, et de utero matris meæ › egressa est mecum, Nunquid in utero fecit me, qui et illum operatus est? Job. 31.

des peuples, il n'est riche que pour les pauvres, pour suppléerà leurs besoins et fournir de son superflu à leur nécessaire. Cette portion de ses biens qu'il conserve pour l'avarice, ou qu'il dissipe pour le plaisir, il en prive l'indigent, puisque ses richesses ne lui ont pas été données pour lui seul. Celui de qui vous les avez reçues, riches du monde, a voulu que ce que vous avez de trop fût la ressource de celui qui n'a pas assez ; et, s'il vous a placés dans l'opulence, ce n'est ce n'est pas pour flatter et nourrir vos passions, c'est pour vous procurer le mérite de donner, et la gloire d'imiter sa bonté par vos bienfaits. Il a prétendu que vous auriez soin de vos frères malheureux comme il a eu soin de vous; que vous tiendriez sa place à leur ́ égard, et que vous leur serviriez de pères et d'appuis. Lorsqu'ils implorent votre secours, c'est donc moins une grâce qu'une dette qu'ils sollicitent : les refuser, c'est se rendre coupable d'injustice et d'inhumanité. « On doit, disoit Fontenelle, set refuser le superflu, pour procurer aux autres le nécessaire ; » et il répondoit à ceux qui le louoient d'une action de charité : « Cela se doit. »

Quelqu'un témoignoit un jour à Eveillon, chanoine et grand archidiacre d'Angers, sa surprise de ce qu'il n'avoit aucune de ses chambres tapissées. « Quand en hiver j'entre dans ma maison, répondit-il, mes murailles ne me disent point qu'elles ont froid; mais les pauvres qui sont à ma porte tout tremblans, me crient qu'ils ont besoin de vêtemens. »>

Si nous sommes obligés d'être les soutiens et les appuis de tous les malheureux qui nous sont unis par les liens communs de la nature, à combien plus forte raison devons-nous l'être de ceux qu'elles a joints avec nous par des liens encore plus étroits, par ceux du même sang. Vous donc qui aspirez à la qualité d'honnête homme, et qui voulez remplir toute l'étendue des obligations que ce titre si honorable et si beau vous impose, secourez en tout temps, en toute occasion et de toute façon, ceux de vos parens qui ont quelque droit de compter sur vous. Courez au-devant de leurs besoins. Que toutes leurs affaires soient les vôtres. Répondez à la bonne opinion qu'ils ont de vous, quand ils vous croient moins dur que le commun des hommes; car il est rare qu'un malheureux ait des amis, plus rare encore qu'il ait des parens. « Le pauvre, dit Salomon, sera odieux à ses proches mêmes; mais les riches ont beaucoup d'amis (1). »

Nous avons dans notre cœur des ennemis de nos parens qui se trouvent dans le cas d'avoir besoin de nous, notre dureté et notre orgueil. Par dureté, nous abandonnons un parent malheureux à sa mauvaise fortune, mais nous ne tardons pas à en être punis. Ce parent délaissé nous déshonnore; ou s'il fait fortune par l'entremise d'une main étrangère, il laissera ses biens à des étrangers, et ne reconnoîtra ni nous ni les nôtres. Dans l'état florissant de notre prospérité, nous refusons

(1) Etiam proximo suo pauper odiosus erit: amici verò divitum multi. Prov. 14.

par orgueil d'avouer un parent honnête qui nous réclame, et nous craignons de lui tendre la main ; mais nous tomberons à notre tour, et nous ne serons relevés ni secourus par personne. Nous resterons ensevelis sous notre ruine, et ceux qui auront été témoins de notre conduite orgueilleuse applaudiront à la vengeance divine.

Homme droit, obligez vos parens par justice et par bonté du cœur: c'est votre sang. Homme prudent, secourez-les par précaution: vous pouvez un jour avoir besoin d'eux. Homme dur, aidezpar politique, de crainte qu'ils ne vous déshonorent par leur conduite, ou qu'ils ne vous couvrent de confusion par leurs plaintes et par leurs reproches.

les

Nous supposons ici que ceux qui vous réclament ont une conduite sage et réglée. Car, si ce sont d'indignes sujets dont la vie est une espèce de déshonneur pour votre famille, refusez-leur, à moins qu'ils ne se trouvent dans une extrême nécessité, tout secours, tout service; n'ayez plus avec eux ni commerce ni liaison, qui ne soient absolument indispensables. Mais s'ils ne sont que pauvres ou malheureux, ne rougissez pas de les secourir, hâtez-vous de le faire, ne souffrez pas qu'un autre vous prévienne et vous enlève cette gloire. Imitez le riche et vertueux Booz, en qui

la

sage Ruth trouva un consolateur charitable, un protecteur déclaré, un digne et puissant époux.

L'histoire de Portugal nous fournit aussi un trait bien héroïque de l'amour qu'on doit avoir

[ocr errors]

!

pour ses proches. En 1585, des troupes portu gaises qui passoient dans les Indes, firent naufrage. Une partie aborda dans le pays des Cafres, et l'autre se mit à la mer sur une barque construite des débris du vaisseau. Le pilote, s'apercevant que le bâtiment étoit trop chargé, avertit le chef, Edouard de Mello, qu'on alloit couler à fond, si l'on ne jetoit dans l'eau une douzaine de victimes. Le sort tomba entre autres sur un soldat qui avoit aussi son frère dans la même barque. Celui qui avoit échappé au sort étoit le plus jeune. Il tomba aux genoux de Mello, et demanda avec instance de prendre la place de son aîné « Mon frère, dit-il, est plus capable que moi de nourrir mon père, ma mère, mes sœurs s'ils le perdent, ils mourront tous de misère. Conservez-leur la vie, en conservant la sienne, et faitesmoi périr, moi qui ne puis leur être d'aucun secours. » Mello y consent, et le fait jeter à la mer. Le jeune homme suit la barque pendant six heures : enfin il la rejoint. On le menace de le tuer, s'il tente de s'y introduire : mais l'amour de sa conservation l'emporte sur la menace, et il s'accroche au bâtiment. On voulut le frapper avec une épée : il la saisit et la retint jusqu'à ce qu'il fût entré. Sa constance toucha tout le monde, on lui permit enfin de rester avec les autres, et il parvint ainsi à sauver sa vie et celle de son frère.

:

« Le véritable ami, dit l'Ecriture (1), aime en

(1) Omni tempore diligit qui amicus est, et frater in augustiis comprobatur. Prov. 17.

« PreviousContinue »