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XXIV.

Supportez les humeurs et les défauts d'autrui.

On est obligé de vivre avec toutes sortes de caractères et d'humeurs : il sera plus aisé de nous conformer aux humeurs des autres, que de conformer les autres à la nôtre; et d'ailleurs, c'est un fort mauvais caractère que de ne pouvoir supporter celui des autres.

Heureux ceux qui sont nés avec le moins d'imperfections! car nous en avons tous, et celui qui croit être sans folie n'est guère sage. Puisque chacun de nous a ses foiblesses et ses défauts, pourquoi refuserions-nous aux autres la même indulgence que nous attendons d'eux, et dont nous avons également besoin? Mais, l'amour-propre qui nous donne tant de complaisance pour fauts, nous rend ceux des autres insupportables. Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes.

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Un philosophe païen répétoit souvent à ses disciples cette belle maxime : « Pardonnez tout aux autres, et ne vous pardonnez rien à vous-mêmes. » Quand on s'étudie bien, et qu'on s'applique à se connoître, on se trouve si rempli de défauts, qu'on n'a pas de peine à excuser dans autrui ceux qui paroissent le moins excusables, à moins que par devoir on ne soit obligé de les corriger et de les punir. Encore l'homme sage et compatissant aux

foiblesses de l'humanité, le fait-il avec beaucoup de modération et de douceur; et il pardonne d'autant plus facilement, qu'il n'ignore pas qu'il a souvent lui-même besoin de pardon.

Mais que cette bonté indulgente est rare, et qu'il est difficile à la plupart des hommes d'être contens de quelqu'un ! Ils sont si remplis d'amourpropre, qu'ils ne sont guère satisfaits que d'euxmêmes: et telle est leur injustice, que ceux qui font le plus souffrir, sont presque toujours ceux qui veulent le moins souffrir des autres.

La sagesse doit nous découvrir nos défauts, et la charité doit couvrir à nos yeux ceux du prochain. Si nous ne pouvons nous empêcher de voir des défauts marqués, parce que ce seroit manquer d'esprit, ne les voyons que pour ne pas en avoir de pareils ; et jetons aussitôt les yeux surnos propres foiblesses, afin d'apprendre à supporter celles d'autrui.

Lorsque vous rencontrez des personnes qui vous déplaisent, cachez soigneusement votre aversion ; la faire sentir, ce seroit manquer de bonté et de politesse. Aimez les gens d'esprit, les sages et les personnes aimables; mais souffrez les sots, les fous et les fâcheux, puisqu'ils sont si communs, C'est une grande foiblesse, que de souffrir impatiemment celles des autres.

Rire de ceux qui ont quelque difformité dans la figure, c'est une petitesse. qu'on ne pardonne pas aux enfans. Ne devroit-il pas en être de même des défauts du caractère? Est-on moins à plain

II.

dre d'avoir le cœur gauche, l'esprit tortu, l'humeur raboteuse que d'être boiteux ou bossu? I} est vrai qu'on ne peut ni s'allonger la jambe, ni se redresser la taille, et qu'on peut corriger les défauts du caractère. Mais on doit convenir que la chose est difficile; et la peine que les hommes ont à se corriger, n'est-elle pas un accroissement à leurs défauts, qui demande de nous un redoublement d'indulgence?

Il règne dans la société une si grande contrariété d'humeurs, que c'est une nécessité, un devoir de charité et de justice de se supporter mutuellement et puisque dans ce conflit d'humeurs et de caractères si différens, il est impossible de s'accorder parfaitement, tâchons du moins de nous rapprocher et de nous unir par les liens universels de la charité et de l'indulgence.

Cette vertu est absolument nécessaire, quand on veut vivre avec les hommes; mais elle est d'un usage bien plus indispensable et plus fréquent entre les proches et les personnes qui demeurent ensemble. Socrate, dont on a déja vu l'étonnante modération à l'égard de ses ennemis, peut encore servir ici de modèle. Sans sortir de chez lui, il trouva de quoi exercer sa patience. Il avoit une femme d'une humeur bizarre, emportée, violente.

la connoissoit telle, et il disoit qu'il l'avoit choisie exprès, parce que s'il venoit à bout de supporter ses brusqueries, il n'y auroit personne avec qui il ne pût vivre. S'il l'avoit prise dans cette vue, il dut certainement en être content.

Elle lui faisoit touts d'outrages et d'avanies. Dans la colère, elle lui arrachoit son mancus an pleine rue; et même un jour, après lui avoir dit toutes les injures que la fureur peut suggérer à une femme de ce caractère, elle lui jeta un pot d'eau sur la tête. Il ne s'en émut pas, et dit seulement: » qu'il falloit bien que la pluie tombât après un si grand tonnerre. »

La douceur, la patience, l'indulgence pour les défauts de leurs époux, n'est pas moins nécessaire aux femmes, et peut-être même l'est-elle encore plus. Elle doivent avoir le courage de soutenir le dégoût, la colère, les mauvaises façons, les mépris même de leurs maris. Une femme tendre, vertueuse et raisonnable, qui, malgré tous ses efforts, se voit en butte à la mauvaise humeur d'un époux; une femme qui n'a jamais la satisfaction de s'entendre applaudir sur les meilleures actions; qui même est obligée de les cacher, et de paroître quelquefois avoir tort; qui dérobant son malheur à tous les yeux étrangers, tâche de sauver les dehors, et de cacher au public tout ce qui peut l'être; qui souffre sans se plaindre, et qui excuse ce qu'elle n'a pu prévenir ni empêcher d'éclater: que cette femme est grande : qu'elle est estimable! et quel est le mari assez dépourvu de sentiment et de raison, pour ne pas céder enfin à tant de vertus ?

Ce triomphe, le plus glorieux pour une femme, fut celui de Vincentine Lomelin, cette illustre Génoise, fondatrice des Annonciades Célestes,

dont nous avons déia loué vitteurs la charité bienfrissur, Mariée avec Etienne Centurion, gentilhomme de Gênes, elle trouva, dit l'historien de sa vie, au commencement de son mariage, plus d'épines que de roses, Quoique son mari eût beaucoup d'estime et d'affection pour elle, il la fit extrêmement souffrir, parce qu'il étoit naturellement prompt et colère, difficile à contenter, trouvant à redire à tout ce qu'elle disoit ou faisoit, et souvent sans en avoir aucun sujet, ainsi qu'il l'avouoit lui-même. Elle ne lui opposa que la patience, la douceur, la complaisance, qui le firent enfin rougir de ses humeurs et de ses brusqueries: il reconuut que sa femme, toujours égale, toujours prévenante, ne méritoit que sa tendresse. Bientôt le calme et la paix succédèrent aux tempêtes et aux querelles. Chérie et respectée de son époux, elle eut encore le bonheur de le voir, comme elle, se donner tout entier à Dieu, et partager ses bonnes œuvres et ses pieux exercices.

Si les époux doivent supporter mutuellement leurs défauts et leurs mauvaises humeurs, à combien plus forte raison les enfans doivent-ils supporter ceux de leurs parens, et avoir en quelque sorte un respect aveugle pour eux, lors même qu'ils en ont le plus à souffrir. Un Grec maltrai toit son fils, parce que, disoit-il, il n'avoit rien appris à l'école de Zénon, Le fils, qui souffroit ce mauvais traitement sans murmurer, lui répondit : « Mon père, n'ai-je pas beaucoup profité, puisque j'ai appris à souffrir avec patience! »

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