Page images
PDF
EPUB

constante, souvenez-vous que la mort triomphera de vous plus fièrement que vous ne triomphez de vos ennemis : elle ensevelira dans le même tombeau, et votre puissance et vos grandeurs.

Quand la fortune seroit aussi constante et aussi assurée qu'elle l'est peu, on devroit encore, même pour ses propres intérêts, être humble et modeste. La gloire est la compagne de la modestie, et l'humiliation l'est de l'orgueil. Ménécrate, médecin de Syracuse, se faisoit toujours suivre par quelques-uns des malades qu'il avoit guéris, et se donnoit orgueilleusement le surnom de Jupiter. Hécrivit à Philippe, père d'Alexandre-leGrand, une lettre avec cette adresse: MénécrateJupiter au roi Philippe : salut. Ce prince, pour se moquer de sa sotte vanité, lui répondit: Philippe à Ménécrate: santé et bon sens.

Il n'y a point de vice qui nous soit plus important dans l'usage du monde de tenir au moins caché, si nous en sommes atteints, que l'orgueil, parce qu'il n'en n'est point qui nous rende plus odieux. On méprise ceux qui s'enivrent de leur bonheur et qui s'oublient. La fierté qu'ils prennent les expose au ridicule, et fait croire qu'ils sont au-dessous de leur fortune, puisqu'ils savent si peu la soutenir. Leur modération, au milieu des succès, les feroit paroître plus grands que les choses qui les élèvent ; et sans rien perdre de leur gloire, ils auroient encore celle de la modestie. Ainsi l'histoire loue et admire, avec raison, le beau trait de l'empereur Frédéric IV. Ce

prince, ayant été couronné à Rome, alla rendre visite au roi de Naples et d'Arragon, Alphonse V, surnommé le sage et le magnanime. Comme on n'approuvoit pas qu'il eût fait cette démarche, « Il est vrai, dit-il, que le rang d'empereur est au-dessus de celui de roi; mais Alphonse est plus grand que Frédéric. »

La modestie donne un nouvel éclat à la grandeur. On s'empresse de lui rendre ce qu'elle veut s'ôter à elle-même. Elle force les autres hommes à voir, sans jalousie, sa gloire et ses avantages. La hauteur et la fierté ne font, au contraire, qu'augmenter le nombre des ennemis et des jaloux, qui triomphent avec un mépris insultant, quand ce colosse de grandeur vient à tomber, comme il arrive souvent. C'est ce qui a fait dire à un ancien, que ceux-là nous donnent un bon conseil, qui nous avertissent que plus nous sommes élevés au-dessus des autres, plus nous devons être humbles et modestes.

Mais, qu'il est difficile d'être humble et grand tout ensemble ! il est si naturel à l'homme d'avoir de l'orgueil et de s'enfler de ses succès, que cela arrive à ceux mêmes qui sont le plus convaincus des avantages de la modestie. L'esprit a beauleur conseiller de faire du moins semblant, pour leur gloire, de se tenir dans une même égalité d'âme ; le sentiment du cœur l'emporte sur les lumières de l'esprit. La gloire éblouit, les heureux succès aveuglent, l'élévation fait oublier sa bassesse ; on

se croit plus grand, parce qu'on est plus élevé : et la tête tourne sur les hauteurs.

C'est ce qui arriva au cardinal d'Espinosa, premier ministre de Philippe II, roi d'Espagne. Ce ministre, dont on a dit qu'il avoit l'âme aussi vaste que la monarchie qu'il gouvernoit, ne put soutenir tout le poids de sa fortune : elle le remplit d'orgueil, et l'orgueil fut la cause de sa chute. Il avoit pris un tel ascendant sur le plus impérieux de tous les princes, qu'il usoit avec ce monarque d'un ton absolu. Le roi sortoit de sa chambre pour le recevoir, ôtoit son chapeau pour le saluer, et le faisoit asseoir comme son égal. Philippe II se lassa enfin d'être en tutelle. Il lui dit un jour : «Cardinal, souvenez-vous que je suis président de Castille.» Il le dégradoit par là de cette première dignité de la monarchie d'Espagne. Ce fut pour lui un coup de foudre. Il en tomba malade, et la haine qu'on lui portoit hâta sa mort. Dans une foiblesse qu'il eut, on se pressa tant de l'ouvrir pour l'embaumer, qu'il porta la main au rasoir du chirurgien ; et son cœur palpitoit encore, après qu'on lui eut ouvert l'estomac. Cette opération précipitée fut l'effet de la crainte qu'on eut qu'il revînt en santé.

[blocks in formation]

Surmontez les chagrins où l'esprit s'abandonne.

LES sujets de chagrin sont si fréquens dans le cours de la vie, qu'on ne peut guère se flatter de

[ocr errors]

les éviter tous : il n'est parmis qu'à un fou de croire qu'il n'en aura jamais. Quand on est jeune encore et sans expérience, on ne marche que sur des fleurs tout rit, tout est beau; on se persuade que ce bonheur durera toujours. Mais une si douce erreur ne séduit par long-temps. Bientôt on se trouve en butte à la dureté, à la trahison, aux faux jugemens, à l'iniquité ou à la bizarrerie des hommes, et à tous les événemens fâcheux dont notre triste vie a tant de peine à se défendre.

Il est donc à propos de s'y préparer de bonne heure. Amassez, dès la jeunesse, assez de bon esprit, assez de vertu, pour pouvoir un jour vous familiariser avec la patience. Le temps viendra que vous en aurez besoin. Si jamais l'injustice renverse vos projets, empoisonne votre conduite, vous préfère d'indignes concurrens ; si elle vous enlève une partie de vos biens; si elle attente à votre réputation, à votre bonheur, vous vous saurez bon gré d'avoir médité, par avance, sur l'injustice des hommes. Les coups prévus blessent

moins.

On est, je l'avoue, exposé à des revers si étonnans et si fâcheux, que le philosophe et le sage, quand ils se trouvent dans ce cas, sentent ébranler, comme malgré eux, tous les fondemens de leur sagesse. Mais, ce qui n'est pas moins vrai, c'est que si nous avons appris à ne compter sur rien, si nous sommes bien convaincus que la probité et la bonne foi ne sont plus les vertus favorites des hommes; si nous savons nous attendre à tout

événement; si nous nous préparons par avance à ce qu'on appelle les jeux ordinaires de la fortune et aux amertumes de la vie, nous ne serons pas abattus au moindre souffle de l'adversité : dans les plus grands malheurs mêmes nous ne nous croirons pas si malheureux, et dès là nous le se

rons moins.

Dans toutes les circonstances de la vie qui peuvent être fâcheuses, consolez-vous par avance du mauvais succès, en vous y attendant. C'est le moyen de sentir de la joie si les choses réussissent, et peu de peine si elles tournent mal.

Ainsi préparé au combat, il est temps de vous faire entrer en lice, et de vous mettre, pour ainsi dire, aux prises avec la fortune et avec l'injustice des hommes (1). Voyons donc les différentes sortes de chagrins qui peuvent vous assaillir, et les armes que la raison, de concert avec la religion, vous fournit pour en triompher.

La calomnie vous attaque-t-elle dans ce que vous avez de plus cher, en répandant son venin sur votre réputation, et en s'efforçant d'en tenir l'éclat? Recourez à la résignation; armez-vous d'une patience courageuse. C'est le remède le plus sûr contre la calomnie. Le temps, tôt ou tard, découvrira la vérité. En attendant ce moment marqué par la Providence, quand le monde entier seroit déchaîné contre vous, n'avez-vous pas une

(1) Nous parlons ici le langage commun, que l'usage, plus que la raison, autorise: car, à proprement parler, il n'y a point de fortune ou ha sard. Tout a sa cause connue ou cachée et celle de nos malheurs se trouve le plus souvent dans les hommes ou dans nous-mêmes..

« PreviousContinue »