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ceux qui exercent les jugemens du Seigneur, par une autorité qu'ils ont reçue de lui. Quiconque se sert du glaive sans l'ordre du souverain, usurpe son autorité, attente à ses droits, et se rend coupable du crime de lèze-majesté : il mérite de périr lui-même par l'épée. C'est donc avec justice que la loi du prince condamne à mort tous les duellistes. Malheur à ceux qui, établis pour faire exécuter une loi si sage, n'y tiennent pas la main! Dieu leur demandera compte de tout le sang qui aura été répandu par leur faute.

Le duelliste se fait gloire de sacrifier sur l'autel de l'honneur; mais y sacrific-t-il en effet? et n'est-ce pas plutôt à l'idole sanguinaire qu'il s'est faite? Il y avoit autrefois à Rome un temple dédié à l'Honneur; mais on ne pouvoit y entrer qu'en passant par celui de la Vertu. Leçon ingénieuse et sensible, par laquelle les anciens Remains faisoient assez entendre qu'ils ne croyoient pas qu'il pût y avoir de vrai honneur sans vertu. Mais est-ce là l'honneur pour lequel combattent les duellistes? Non, ce n'est point par la vertu qu'on arrive chez eux à l'honneur; et, bien loin de le croire ennemi du vice, ils l'attachent au vice même. C'est un honneur qui s'allie avec co qui déshonore, et les héros en ce genre sont assez souvent des scélérats.

Ce sont des brutaux, dont il faut éviter la rencontre avec autant de soin que celle des bêtes les plus féroces. On ne peut les toucher, même sans le savoir, qu'on ne les offense. Ils prennent

elles-mêmes, ne vous conduisent pas à des extrémités aussi condamnables. Soumettez-vous à la justice, qui fait le bonheur de l'univers. Quittez le fer, quand l'état n'a point d'ennemis : c'est un grand crime de lever le bras contre des citoyens, pour la défense desquels il seroit gloricux d'exposer sa vie. Où habiteroit la paix, si l'on continuoit à combattre, quand on doit être sous l'em-pire des lois? Imitez la nation des Goths, qui sont aussi courageux à faire la guerre au dehors, que modestes et soumis au-dedans. »

La vraie bravoure, ce sentiment sublime, qui élève l'homme au-dessus de la nature, et méprise le danger quand le devoir appelle, ne ressemble pas à la fureur, ni à cette délicatesse pointilleuse que l'ombre d'un outrage enflamme. Elle aime à venger avec éclat les injures de la patrie, et dissimule les offenses personnelles, ou les pardonne. Elle cherche à triompher des ennemis de l'état par sa valeur, et des siens par la gloire de ses actions. Un cavalier avoit reproché à Pérès de Vergas, au siége de Séville, que l'écu ondé qu'il portoit n'étoit pas permis à ceux de sa maison (1). Pérès dissimula ce reproche: mais, quelque temps après, comme on assiégeoit une autre ville, il combattit avec tant de valeur, qu'il retira son écu tout hérissé de flèches. Se retournant alors vers son rival, qui s'étoit toujours tenu à l'abri des

(1) Ecu, en termes de blason, est le champ où l'on pose les pièces des armes ou armoiries: un écu ondé est celui qui est en forme d'ondes On que les armes se mettoient anciennement sur les boucliers.

sait

coups: « Vous avez raison, lui dit-il, de vouloir ôter cet écu à ceux de ma maison, puisqu'ils l'épargnent si peu : sans doute que vous le méritez mieux, vous qui le conservez si bien. »

Non, quoi qu'en pense le monde, il ne sauroit y avoir de vraie gloire et de véritable honneur dans ce qui viole les droits les plus sacrés de Dieu et du prince, dans ce qui est contraire au bien de la société, aux lois de l'humanité, au bonheur présent et au salut éternel des particuliers. Que n'aurions-nous pas à dire sur ce dernier point? Si l'on a quelques idées de religion, s'il en reste quelques sentimens, ne faut-il pas qu'un duelliste les étouffe, pour aller se battre avec quelque assurance? Ne faut-il pas qu'il s'aveugle sur les vérités les plus certaines, qu'il renonce à son salut, à ses plus chers intérêts, quand, pour le fatal plaisir de se venger d'un ennemi, qui souvent ne lui a fait aucun mal réel, ou lui a fait une insulte qui ne déshonore que lui seul, il s'expose à toute la rigueur des vengeances éternelles? En vain réclamera-t-il les maximes du monde : le monde n'est pas son juge. Celui qui tient en ses mains les destinées de tous les hommes, et qui doit décider de leur sort irrévocable, défend d'attenter à la vie d'un autre homme, sous peine de se rendre digne de toute sa colère. Et qu'il est horrible de tomber entre les mains d'un Dieu irrité !

Vous voulez vous venger. Mais que vous achèterez cher le plaisir de la vengeance ! Si vous périssez dans le combat, l'enfer devient votre par

tage. Il n'y a qu'un pas entre la mort et vous. D'un seul coup, peut-être, votre corps va être précipité dans le tombeau, et votre âme dans les feux éternels. Que vous servira alors l'honneur que vous avez voulu conserver.

Si vous êtes victorieux, quels remords n'éprouverez-vous point tout le reste de votre vie ! Pourrez-vous faire un pas sans que l'image de l'ennemi que vous aurez immolé à votre vengeance, se présente à vous, et vous reproche votre crime? Pourrez-vous goûter un moment de repos? La terre, que vous avez arrosée du sang de votre frère, criera vengeance contre vous. Son âme, que vous avez précipitée dans l'enfer, cette âme rachetée au prix du sang d'un Dieu, demandera justice de votre barbare fureur. Comment pourrez-vous, à la mort, soutenir la juste crainte des jugemens de Dieu ?

Si votre vie, si votre tranquillité, si votre bonheur éternel vous sont chers, foulez aux pieds les fausses idées du monde sur le point d'honneur. Ayez le courage de vous élever au-dessus des préjugés. Imitez le maréchal de la Force touché d'un sermon où l'on avoit exposé fortement toutes les suites funestes de ces malheureux combats, il protesta, en sortant, que si on lui proposoit un duel, il ne l'accepteroit point. Lorsque vous vous trouverez dans le cas, déclarez que le prince et la religion vous défendent le duel, et que vous mettez votre gloire à leur obéir ajoutez, si vous le jugez à propos, mais sans air de

provocation, sans ton de défi, que vous êtes aussi brave qu'un autre, et que si l'on vous attaquoit, vous sauriez vous défendre (1). Le cas d'une juste et inévitable défense est le seul où il vous soit permis de repousser la force.

Ne rougissez point de reconnoître que vous avez tort, de faire une honnête satisfaction à celui que vous pourriez avoir offensé, et de réparer votre faute par une excuse, par une parole obligeante, par une politesse. Loin de vous mépriser, on vous estimera : vous aurez du moins l'approbation de tous les honnêtes gens; c'est la seule dont vous devicz faire cas. Après tout, et quoi qu'il arrive, il vaut mieux aller au ciel avec le mépris du monde, qu'en enfer avec ses éloges. « Que sert à l'homme de gagner le monde entier, s'il vient à perdre son âme? » Le salut est le vrai bonheur d'un chrétien; il n'y en a pas d'autre. Raison décisive et sans réplique, contre laquelle il n'y a que des insensés ou des furieux qui puissent tenir.

mmmm

Et ne trompez personne.

C'est là surtout ce qui constitue l'honnête homme selon le monde, ce qui forme comme le

(1) Nous ne parlons ainsi que d'après d'excellens théologiens, que nous avons consultés sur ce point délicat Ils croient qu'il est permis de dire ce qu'il est permis de faire; et les moralistes les plus sévères conviennent qu'on peut donner occasion au péché des autres, quand on a de bonnes et suffisantes raisons, telle que paroît être ici celle de ne point passer pour un poltron, et pour un homme capable de prendre honteusement la fuite, ou de recevoir des coups déshonorans, Mais on ne doit alors mettre l'épée à la c main, que lorsqu'on y est absolument forcé,

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