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la suivre, et quelquefois même pousser le sacrifice encore plus loin, si l'on veut accomplir le précepte de la loi naturelle et divine, qui oblige en proportion du besoin des pauvres (1).

Ainsi on a vu le célèbre curé de Saint-Sulpice, M. Languet, vendre en un temps de cherté ses meubles, ses tableaux, et d'autres effets rares et curieux qu'il avoit amassés avec beaucoup de peine. Il n'eut depuis ce temps-là que trois couverts d'argent, point de tapisseries, un simple lit de serge, qu'une dame ne fit que lui prêter, afin qu'il ne le vendît pas pour les pauvres, comme il avoit fait de tous ceux qu'il avoit eus. Il avoit déjà vendu son patrimoine qui étoit considérable, et il en avoit employé le prix en œuvres de charité. Quel exemple pour ceux qui par leur état, ainsi que par la nature des biens ecclésiastiques dont ils jouissent, sont encore plus obligés que les riches et les grands du monde, d'être les premiers pères nourriciers des pauvres !

L'archiduc Ferdinand, autrefois gouverneur de la Lombardie autrichienne, donna un jour aux grands un exemple de sensibilité pour les malheureux, aussi digne de leur imitation que de nos éloges. Pendant les différentes fêtes qui se firent à l'occasion de son mariage, on lui montra, en présence de l'impératrice-reine, les dessins d'une illumination superbe, qu'on avoit résolu de faire

(1) Il y a des personnes riches qui, hors les cas d'une grande calamité publique, donnent aux pauvres à peu près le dixième de leurs revenus ; cette régle semble juste et raisonnab.c.

à Schoenbrunn, l'avant-veille de son départ pour son gouvernement, et qui auroit coûté beaucoup. Le jeune prince considéra ces dessins attentivement, parut rêveur, soupira, et quelques larmes s'échappèrent de ses yeux. L'impératrice, étonnée et inquiète de cet attendrissement, lui en demanda vivement la cause. « Ma mère, lui dit-il, voilà assez de fêtes qu'on me donne: encore une illumination! cela coûtera tant! et c'est un plaisir si peu durable, si même c'en est un ! La cherté des grains et les malheurs des temps ont réduit quantité de familles honnêtes à la dernière misère. On pourroit employer l'argent que cette illumination coûteroit à soulager les plus indigens. L'impératrice, charmée de trouver dans ses enfans cette humanité et cette bienfaisance qui faisoient son caractère, embrassa tendrement son fils, mêla ses larmes aux siennes, et lui fit remet tre une somme considérable. Tout le jour fut employé à la distribuer dans le plus grand secret, et le lendemain l'archiduc parut devant l'impératrice, la joie peinte sur le visage, l'embrassa, et lui dit avec l'enthousiasme d'une belle âme transportée du plaisir d'avoir fait une bonne action: Ah! ma mère, quelle fête!

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XIX.

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Soyez homme d'honneur......

E que nous entendons par le mot d'honneur, n'est pas, comme quelques-uns le pensent, une

vertu politique, un simple préjugé; c'est une vertu réelle et morale, dictée par la vertu même, dont la fonction, pour ainsi dire, est de veiller sur toutes les autres, et de les conserver dans toute leur pureté. L'honneur, comme ce suc précieux exprimé des fleurs, se forme de ce qu'il rencontre de plus exquis dans chaque vertu; et telle est sa délicatesse, que la plus légère tache le ternit. Il est à l'âme ce que la vie est au corps; il vivifie toutes nos actions, dirige tous nos sentimens, ennoblit la vertu même, flétrit le vice, donne de l'éclat à la prospérité, console dans les revers, et soutient l'indigence malheureuse.

L'honneur est comme une seconde providence pour l'état. Il commande la sainteté aux pontifes, la valeur aux guerriers, la justice aux magistrats, l'émulation aux talens utiles, la pudeur au sexe. Il prescrit la bonne foi dans le commerce, et couvre de honte le plus foible soupçon dans le maniement des deniers publics. Il invite le soldat au combat, et paie le prix de son sang avec de la gloire. Il s'agissoit, au siége d'une ville, de reconnoître un point d'attaque. Le péril étoit presque inévitable. Gent louis étoient assurés à celui qui pourroit en revenir. Plusieurs braves y étoient déjà restés. Un jeune homme se présente; on le voit partir à regret; il reste long-temps: on le croit tué; mais il revient, et fait également admirer l'exactitude et le sang-froid de son récit. Les cent louis lui sont offerts. « Vous vous moquez de moi, mon général, répondit-il: va-t-on

là pour de l'argent?» L'éloge et la gloire sont la seule récompense digne de la valeur. Ce n'est pas avec de l'or qu'il faut payer ce que l'honneur seul pcut et doit acquitter. Un laurier récompense un héros.

Plus ce sentiment est beau, plus on doit craindre de le corrompre, de le rendre vicieux et condamnable, en ne se proposant d'autre fin que l'estime des hommes et la gloire mondaine. Ce fantôme brillant fut l'objet des voeux et des poursuites des plus illustres païens, parce que leur religion tout humaine n'offroit point de motifs plus dignes d'une âme grande. C'est encore après lui seul que courent et que nous engagent à courir nos nouveaux philosophes, parce qu'ils renferment bassement toutes leurs espérances dans les bornes étroites de la vie présente. Mais le philosophe chrétien, dont les vues sont bien plus grandes et plus élevées, ne se permet d'aimer et de rechercher l'estime des hommes, qu'autant qu'elle lui est utile ou nécessaire, pour mieux remplir les devoirs de l'état où la providence l'a placé.

L'honneur, l'estime des hommes, étant un bien réel, comme les richesses et la santé, et même un avantage plus précieux encore, on peut donc les désirer également et les rechercher. L'Esprit saint lui-même nous le recommande : « Ayez soin d'avoir une bonne réputation, ce sera pour vous un bien plus durable que mille grands trésors (1).» C'est, avec la vertu, la seule qui nous reste après (1) Curam habe de bono nomine, etc Eccli. 41.

la vie. Mais vous aurez tout le soin que l'Esprit saint veut que vous ayez d'acquérir et de conserver une bonne réputation, si vous vous appliquez à édifier tous les hommes par la sagesse de votre conduite, et à ne rien faire qui puisse vraiment vous rendre vil et méprisable.

Celui qui par une impudence effrontée ou par bassesse de sentimens, ne fait nul cas de l'estime des autres, n'est lui-même guère estimable. Un de ces impudens cyniques, dont la secte fut la honte de l'ancienne philosophie, disoit un jour : «Je me ris de tous ceux qui se moquent de moi. -Personne, lui répondit-on, ne se divertit donc mieux que vous. »

Pour mériter cette estime publique, qui est comme le plus bel apanage du mérite et de la vertu, l'homme d'honneur fait profession d'être attaché inviolablement à son devoir, d'accomplir toute justice, d'avoir une conduite irréprochable à l'égard de tout le monde. Il a pour maxime de ne point manquer à sa parole, d'être fidèle au secret, de ne tromper personne, de ne jamais rien faire contre la droiture et la probité.

Incapable de faire tort à qui que ce soit, il rougiroit de s'enrichir par des gains sordides, de sacrifier sa concience à sa fortune. Darius, roi de Perse, ayant envoyé de riches présens à Epaminondas, ce grand homme répondit à ceux qui les lui apportoient : « Si Darius veut être ami des Thébains, il n'est pas nécessaire qu'il achète

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