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il seroit bien plus perdu pour vous. Employez votre trésor à accomplir les commandemens du Très-Haut, et il vaudra mieux que tout l'or du monde. »

Prêtez gratuitement et sans ancune vue d'intérêt : c'est le beau et noble précepte de l'Evangile. Ceux qui agissent autrement, n'ont ni honneur ni religion. Leur cœur insensible à la ruine des malheureux, que la nécesssité ou la débauche engage à courir à leur perte, l'est encore plus aux cris de leur conscience. Dans le temps de la vendange, un vigneron se trouva sans argent pour avoir des tonneaux. Il lui en falloit à quelque prix que ce fût. Il prend le parti d'en aller chercher chez un usurier. « Morbleu, mon ami, lui dit celui-ci, vous prenez bien mal votre temps; voilà les derniers coups du sermon qui sonnent; je m'en y vais, car je le perdrois. » Ils y vont de compagnie. Le prédicateur, par hasard, prêcha ce jourlà si fortement contre l'usure, que le vigneron perdit toute espérance d'avoir de l'argent. Le sermon fini, « Monsieur, lui-dit-il, je vous souhaite le bonjour. Hé! où allez-vous, reprit le saint homme; vous ne voulez done pas d'argent? Pardonnez-moi, monsieur, répliqua le vigneron; mais après le sermon que vous venez d'entendre, je ne crois pas que vous vouliez m'en donner. Abus, dit l'usurier; le prédicateur fait son métier, et moi je fais le mien. » Quel métier que celui qu'on ne peut exercer sans fouler aux pieds les lois naturelles, divines et humaines ! Pour vous,

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pensez mieux, et regardez comme un gain honteux et infâme, celui que vous retireriez d'un tel service, à moins que vous ne vous trouviez dans le cas d'en souffrir ou d'en craindre raisonnablement pour vous-même quelque perte.

Il y a aussi deux règles à observer, pour prêter avec prudence autant qu'avec charité. La première est de ne prêter que de votre superflu, de votre abondance, ou, si dans quelque cas particulier vous prenez sur votre médiocrité, que ce ne soit que de petites sommes, afin que vous ne vous mettiez pas dans la nécessité d'emprunter vous-même, et que la perte qui pourroit vous en arriver ne puisse occasioner votre ruine.

La seconde règle que prescrit la prudence, est de prendre vos sûretés par des billets, des contrats, des gages, des cautions. Ainsi en usa le sage et vertueux Tobie à l'égard de Gabélus; et cela doit nous servir d'exemple. Quelque convaincu qu'on soit de la probité d'une personne, ou cette probité peut se démentir dans la suite, ou la mort peut changer l'état des choses et nous mettre dans le cas d'avoir affaire à des héritiers difficultueux et il est toujours désagréable de s'exposer, en obligeant, à des peines qu'on auroit pu éviter par de sages précautions.

Prêter ainsi son argent à des frères malheureux qui sont dans le besoin, quand même on courroit quelquefois le risque de ne le ravoir jamais, ce n'est pas le perdre. C'est prêter à intérêt, parce que Dieu, dit Salomon, le rendra avec usure.

J'ai été jeune, dit aussi le roi prophète, et je suis maintenant vieux; je n'ai jamais vu le juste abandonné, ni ses enfans dans l'indigence. Il est toujours prêt à soulager les besoins de ses frères par ses prêts et ses aumônes, et c'est ce qui perpétue les bénédictions du ciel sur sa postérité. C'est donc employer son bien si avantageusement, qu'il n'y a point de gain sur la terre qui puisse égaler celui-ci. Quoi qu'il arrive, on s'est rendu agréable au Seigneur, on a exercé la bienfaisance, on a pratiqué la charité. La vertu qu'accompagne la douce satisfaction d'avoir fait du bien, n'estelle pas préférable aux richesses.

Cette belle maxime n'est pas sans doute celle de ces hommes intéressés, qui profitent avidement de la misère des autres pour s'enrichir de leurs dépouilles; et les exemples n'en sont que trop communs. Opposons-y, pour les confondre, le beau trait du cardinal d'Amboise. Il avoit fait bâtir un magnifique château à la campagne. Comme cette superbe maison étoit trop resserrée, et enveloppée de tous côtés par des possessions étrangères, un gentilhomme du cardinal crut faire sa cour à son maître, en déterminant un de ses amis à lui vendre une terre titrée, qui enclavoit le plus le château. Le seigneur fut invité à dîner. Après le repas, le cardinal l'ayant conduit dans un cabinet, lui demanda par quel motif il vouloit vendre sa terre. « Monseigneur, répondit le gentilhomme, c'est par le plaisir de vous accommoder d'un bien qui est si fort à votre bien

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séance. Gardez votre terre, répliqua le cardinal: c'est l'héritage de vos pères, le premier titre d'un nom illustre qu'ils vous ont transmis, et que vous devez conserver à vos descendans. Je préfère d'ailleurs un voisin tel que vous à toutes les commodités de mon château. Monseigneur, reprit le gentilhomme, je suis très attaché à ma terre, et ce qu'il vous a plu de me faire observer me la rend infiniment plus précieuse. Cependant j'ai une fille; un gentilhomme du voisinage voudroit l'épouser le nom, la fortune, le caractère, tout me convient, mais il demande une dot que je ne puis absolument lui donner. J'ai considéré qu'en vendant ma terre je pourrois faire le bonheur de ma fille, et placer avantageusement le restant de la somme pour moi. Ce projet n'a rien de raisonnable, répondit le cardinal; mais n'y auroit-il pas quelque moyen de marier votre fille comme vous le désirez, et de conserver votre terre? Ne pourriez-vous pas, par exemple, emprunter de quelqu'un de vos amis la somme dont Vous avez besoin, sans intérêts, et remboursable à des termes fort éloignés; économiser tous les ans quelque chose sur votre dépense, et vous trouver quitte sans presque vous en apercevoir? -Ah! monseigneur, s'écria le gentilhomme, où sont aujourd'hui les amis qui prêtent une pareille somme, sans intérêts, et remboursable à des termes fort éloignés ? Ayez meilleure opinion de vos amis, répliqua le cardinal en lui tendant la main; mettez-moi du nombre, et recevez la

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somme dont vous avez besoin, aux conditions que je viens de vous expliquer. » Le gentilhomme, tombant aux genoux de son bienfaiteur, ne put répondre que par des larmes à un procédé si noble; et le cardinal ne parut jamais si content, que d'avoir acquis un ami au lieu d'une terre.

Il y a des personnes de qui il est quelquefois si difficile de ravoir ce qu'on leur a prêté, qu'on gagneroit souvent beaucoup à agir avec elles, comme le fit un jour saint Francois de Sales à l'égard d'un homme qu'il connoissoit pour un mauvais payeur, et qui était venu lui demander à emprunter vingt écus. Tenez, lui dit-il, en voilà dix au lieu de vous les prêter, je vous les donne; vous y gagnez et moi aussi. »

Il ne faut pas être moins prudent à se rendre caution qu'à prêter. Si le sage dit que l'homme de bien répond pour son prochain, et que celui qui n'a point de sentiment abandonne son ami, en ne voulant pas se rendre caution pour lui dans son extrême nécessité, il ajoute aussi que l'engagement à répondre mal à propos, en a perdu plusieurs qui réussissoient dans leurs affaires; et que nous ne devons jamais oublier le service que nous rend celui qui répond pour nous, parce qu'il s'est exposé à un grand péril.

Ce seroit en effet une noire ingratitude que de méconnoître un tel service, et il n'y a que des monstres qui soient capables de laisser dans la peine celui qui a eu la bonté de s'engager pour eux. Ils ne trouveront plus de pareils amis. Celui

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