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sentira aussi. De tout mon cœur, dit-il en riant; et moi, dit M. Gaillot, je m'offre à nourrir tous les enfans qui viendront de ce mariage. Peut-être manquoit-il à mademoiselle de la Grise qu'un peu plus de connoissance de ce qu'elle faisoit et du sexe de la Comtesse pour un véritable mariage.

Voilà donc une affaire faite, dit madame Gaillot ; voilà madame la Comtesse mariée! ses amans n'ont qu'à chercher fortune ailleurs. Elle s'exprimoit ainsi malicieusement à cause du chevalier d'Honnecourt, qui ne trouvoit pas le mot pour rire dans toute cette

scène.

Les jours et les nuits qui suivirent, se passèrent aussi agréablement. Ce fut une plaisanterie perpétuelle sur ce mariage. M. et madame Gaillot s'en retournèrent à Bourges, et en parlèrent à tout le monde ; et lorsque madame de la Grise alloit voir la Comtesse: Comment, mon beau Monsieur, lui dit-elle en riant (elle n'en avoit pas sujet), vous épousez ma fille sans me le dire? Au moins, Madame, répondit la Comtesse, ç'a été en bonne compagnie et en présence du Curé. Les deux époux avoient encore trois jours à demeurer ensemble, et ils les employèrent fort bien; ils

s'écoulèrent enfin plus promptement qu'on

n'auroit voulu.

La fin de ces aventures n'a rien de piquant; les petites filles furent mariées à temps, la fausse Comtesse décampa à temps, tout se fit à temps.

Mais n'admirez-vous pas les mœurs du siècle? Il est vrai que l'Abbé l'édifie et le scandalise tour-à-tour; il fait également une partie de plaisir ou un livre de dévotion, un sermon ou une chanson ; il sera missionnaire si besoin est. Je lui ai conseillé de se faire académicien; il a assez d'esprit pour cela, et il peut broder l'histoire fort joliment.

CHAPITRE V I.

Aventures des Filles de la Reine (1).

CASIMIR reprit le lendemain la route de Paris ; il n'y étoit bruit que des aventures des Filles d'honneur. Voici ce que l'on racontoit.

(1) Mém. de Motteville, de Caylus.

Cette troupe vive et folâtre étoit sous la garde de la duchesse de Navailles, dame d'honneur de la jeune Reine. Elle devoit sa place au cardinal Mazarin. Quelques droits contestés entre elle et la Surintendante, la brouillèrent avec la comtesse de Soissons. Celle-ci qui, non plus que ses autres sœurs, n'avoit pas marqué la moindre sensibilité à la mort du Cardinal, s'avisa de reprocher à madame de Navailles, qu'en résistant à la nièce, elle se montroit ingrate envers l'oncle. Madame, lui répondit celle-ci, si M. le Cardinal pouvoit revenir au monde, il seroit plus content de mon cœur que du vôtre.

Dans ce poste, la vigilance de la Dame d'honneur avoit sans cesse à combattre contre les ruses des jeunes Seigneurs, sans pouvoir compter d'être secondée par celles qu'elle défendoit. Du nombre de ces Filles peu inclinées à la résistance, étoit mademoiselle de la MotteHoudancourt, une des filles de la Reine. La comtesse de Soissons l'instruisoit et la formoit à plaire au Roi, autant pour conserver par elle son crédit auprès du Monarque, que pour mortifier la Dame d'honneur.

Madame de Navailles s'alarma de quelques démarches qui marquoient, de la part du Roi,

un dessein formé de s'introduire dans son bercail ; elle lui en parla comme une Chrétienne et une honnête femme. D'abord il ne montra

pas d'avoir ces petites harangues désagréables, ensuite il en parut mal satisfait; mais ce fut d'une manière si polie, qu'elle ne crut pas devoir craindre sa colère. Mais enfin le desir de la victoire, et le dépit que l'opposition fait naître dans l'ame des hommes, et particuliè rement des Souverains, se firent fortement sentir dans le cœur du Roi. Il insinua à la duchesse de Navailles qu'elle s'exposoit au péril de lui déplaire, et lui fit défendre par le Tellier de se mêler de la conduite des Filles de la Reine. On lui proposa même, par son ordre, plusieurs manières de s'accommoder aux volontés du Roi, avec quelques honnêtes apparences. Elle répondit au Ministre que ce ne seroit satisfaire à ses obligations que pas de cesser de faire son devoir, et que tant qu'il plairoit à Sa Majesté de lui laisser la charge, elle en feroit la fonction le mieux qui lui seroit possible.

Le Roi alors se fâcha tout de bon, et lui dit qu'elle devoit craindre ce qu'il pouvoit faire contre elle, et se retenir de lui désobéir, par la considération de ses propres intérêts. J'y ai

bien songé, Sire, répondit-elle;je vois tous les malheurs que la perte de vos bonnes graces peut me causer; c'est de Votre Majesté que mon mari et moi tenons toute notre considération et notre fortune, lui la lieutenance des Chevaux-Légers et le gouvernement du Havre; moi la place de Dame d'honneur. Votre Majesté peut nous les ôter; mais cette privation ne peut changer la résolution que j'ai prise de satisfaire aux devoirs de ma conscience. Je vous en conjure, Sire, ajouta-t-elle en se jetant à ses pieds; cherchez ailleurs que dans la maison de la Reine, qui est la vôtre, les objets de vos plaisirs et de vos inclinations. Le Roi gronda et fut chagrin ; mais le lendemain, madame de Navailles étant dans la chambre de la ReineMère, il s'approcha d'elle, et lui tendit la main d'un air doux et favorable, comme s'il lui eût demandé la paix. Il fit cette action, non-seulement en grand Prince qui sait se vaincre lui-même, mais en honnête homme trop raisonnable pour refuser son estime à qui la méritoit.

Ce repentir ne passa pas le moment; le Roi continua ses entreprises; il y étoit encouragé par les railleries de la Surintendante, qui ap

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