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CHAPITRE PREMIER.

Lettre de Bussy-Rabutin à Madame ***. Caractère du roi de Pologne (1), tour-à-tour jésuite, cardinal, roi, et abbé de Saint-Germain-des-Prés.

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Le roi de Pologne agite ici fort nos Dames. il a des pierreries, dont elles ont toutes envie... Il est fort recherché, c'est depuis votre départ; les femmes font encore moins de façon de faire ces premier pas vers les couronnes.

>>Sa Majesté est à Sainte-Reine, où elle prend les eaux. Elle me fait souvent l'honneur de venir se promener ici, et de trouver ma maison jolie. Elle a d'honnêtes gens à sa petite Cour, et nous lui faisons la nôtre assiduement. Cela nous amuse : elle a un fond d'esprit et de savoir qui, avec beaucoup de bonté, la rend fort aimable.

» Ce Prince tombe de deux jours l'un en apoplexie. Je ne croyois pas qu'on fût sujet à ce mal comme à la migraine. C'est que les rois ne sont pas faits comme les autres hommes. On

(1) Juin 1770. Lett. de Bussy.

dit que la P.... l'est allée voir pour l'épouser, ou pour lui faire donner l'extrême-onction.

>>Les souverains qui méprisent des couronnes, sont des personnes rares, qu'on doit souhaiter de voir préférablement à tout le monde. J'ai eu l'honneur de voir souvent celui-ci, et d'avoir de longues conversations avec lui. Il est homme de bon sens et a du savoir: ça été une vie fort mêlée que la sienne. Il a été jésuite, cardinal et roi; il a été prisonnier d'État en France pendant vingt-deux mois.

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» Après la mort du Roi, son frère, il épousa sa veuve. En montant sur le trône, et devant et après, il a fait des actions héroïques à la guerre; il a encore un cheval sur lequel il s'est trouvé à vingt-deux batailles; et enfin, mêlant quelqu'égard pour son salut à l'amour de son repos, il est devenu particulier.

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Ecclésiastique, peu de gens approuvent son abdication; car on trouve l'ambition si honorable, qu'on n'a garde de ne pas mépriser ceux qui la méprisent. Pour moi, qui ne me serois pas détrôné, si j'avois été à sa place, je ne laisse pas de trouver fort beau ce qu'il a fait, sachant que ce n'a pas été par foiblesse.

» Il nous donna à diner l'autre jour; il a de la raison, de l'honnêteté. Il me demandoit hier pourquoi mon exil duroit si long-temps. Je lui répondis: Votre Majesté ne se souvient déjà plus comment elle faisoit sur le trône. Ces choses-là, qui sont bien importantes pour nous, sont des bagatelles pour vous. Il demeura d'accord de tout cela, et me dit seulement que tout le monde étoit ainsi. »

CHAPITRE II.

La Galerie. Portraits de Bussy, de madame de Sévigné, etc. (1).

BUSSY posséda Sa Majesté poloniase dans son hermitage. Il lui lut une partie de ses mémoires. Casimir parut beaucoup plus curieux de parcourir la galerie érotique de ses portraits. Vous excellez en ce genre.

J'en voudrois connoître quelques-uns : commençons par celui du peintre. - Vous le voulez; et Bussy, ouvrant son porte-feuille, commença avec ce ton de vanité qui lui étoit (1) Bussy. Mém. hist. Am. des Gaules,

familier, et qui empoisonna ses meilleures qualités.

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Roger de Rabutin, comte de Bussy, mestre-de-camp de cavalerie légère, a les yeux grands et doux, la bouche bien faite, le nez grand, tirant sur l'aquilin, le front avancé, le visage ouvert et la physionomie heureuse, les cheveux blonds, déliés et clairs. Il a, dans l'esprit, de la délicatesse et de la force, de la gaîté et de l'enjouement; il parle bien, il écrit juste, il est né doux, mais les envieux que lui a fait son mérite, l'ont aigri; ensorte qu'il se réjouit volontiers, avec ses amis, aux dépens des gens qu'il n'aime pas; il est bon ami, brave sans ostentation; il aime les plaisirs plus que la fortune, mais il aime la gloire plus que les plaisirs; il est galant avec toutes les Dames et fort civil, et la familiarité qu'il a avec ses meilleures amies, ne lui fait jamais manquer au respect qu'il leur doit. Cette manière d'agir fait juger qu'il a de l'amour pour elles, et il est certain qu'il en entre toujours un peu dans toutes les grandes amitiés qu'il a. Il a bien servi à la guerre, et fort long-temps; mais comme de son siècle ce n'est pas assez pour parvenir à de grands honneurs, que d'avoir de la naissance, de l'esprit, des ser

vices et du courage; avec toutes ces qualités, il est demeuré à moitié chemin de sa fortune, àc ause qu'il n'a pas eu la bassesse de flatter les gens, en qui le Mazarin, souverain dispensateur des graces, avoit créance, ou qu'il n'a pas été en état de les lui arracher en lui faisant peur, comme avoient fait la plupart des Maréchaux de son temps (1).

On dit qu'une des femmes les plus spirituelles de ce siècle, a beaucoup de tendresse pour vous. Le portrait de madame de Sévigné doit suivre le vôtre.

Madame de Sévigné a d'ordinaire le plus beau teint du monde, les yeux petits et brillans, la bouche plate, mais de belle couleur ; le front avancé, le nez seul semblable à soi, ni long ni petit, carré par le bout, la mâchoire comme le bout du nez; et tout cela qui en détail n'est pas beau, est, à tout prendre, assez agréable; elle a la taille belle, sans avoir bon air; elle a la jambe bien faite, la gorge, les bras et les mains mal taillés; elle a les cheveux blonds, déliés et épais; elle a bien dansé, elle a l'oreille encore juste ; elle a

(1) On se rappelle le mot du cardinal de Sainte-Cécile, frère du ministre, fäte rumore perche il mio fratello e un coglione.

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