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pas; depuis le temps qu'elle s'y étudie, elle a déjà appris à tromper ceux qui ne l'avoient guère connue, ou qui ne s'appliquent pas à la connoître ; mais comme il y a des gens qui ont pris en elle plus d'intérêt que d'autres, ils l'ont découverte, et se sont aperçus, malheureusement pour elle, que tout ce qui reluit n'est pas or.

Madame de Sévigné est inégale jusqu'aux prunelles des yeux et jusqu'aux paupières; elle a les yeux de différentes couleurs ; et les yeux étant le miroir de l'ame, ces inégalités sont comme un avis que donne la nature à ceux qui l'approchent, de ne pas faire un grand fond sur son amitié.

Je ne sais si c'est parce que ses bras ne sont pas beaux, qu'elle ne les tient pas trop chers, ou qu'elle ne s'imagine pas faire une faveur, la chose étant si générale ; mais enfin les prend et les baise qui veut; je pense que c'est assez pour lui persuader qu'il n'y a point de mal, qu'elle croit qu'on n'y a point de plaisir. Il n'y a plus que l'usage qui pourroit la contraindre; mais elle ne balance pas à le choquer plutôt que les hommes, sachant bien qu'ayant fait les modes, quand il leur plaira, la bienséance ne sera plus renfermée dans des bornes si étroites.

J'ai eu l'honneur de lui donner ici une fête dont elle ne fut pas l'héroïne.

Premièrement, figurez-vous dans le jardin du Temple, que vous connoissez, un bois que deux allées croisent à l'endroit où elles se rencontrent, il y avoit un assez grand rond d'arbres, aux branches desquels on avoit attaché cent chandeliers de crystal; dans un des côtés de ce rond, on avoit dressé un théâtre magnifique, dont la décoration méritoit d'être bien éclairée, comme elle l'étoit; et l'éclat de mille bougies que les feuilles des arbres empêchoient de s'échapper, rendoit une lumière si vive en cet endroit, que le soleil ne l'eût pas éclairé davantage; aussi, par cette même raison, les environs en étoient si obscurs, que les

yeux ne servoient de rien. La nuit étant la plus tranquille du monde, d'abord la comédie commença, qui fut trouvée fort plaisante : après ce divertissement, vinrent quatre violons qui, ayant joué des ritournelles, jouèrent des branles, des courantes et de petites danses. La compagnie n'étoit pas si grande qu'elle étoit bien choisie; les uns dansoient, les autres voyoient danser, et les autres, de qui les affaires étoient plus avancées, se promenoient avec leurs maîtresses dans des allées, où on se

touchoit sans se voir. Cela dura jusqu'au jour; et, comme si le ciel eût agi de concert avec moi, l'aurore parut quand les bougies cessèrent d'éclairer. Cette fête réussit si bien, qu'on en manda les particularités par-tout, et, à l'heure qu'il est, on en parle avec admiration. Il y en eut qui crurent que madame de Sévigné, en cette rencontre, n'étoit que le prétexte de madame de Précy; mais la vérité fut que je donnois cette fête à madame de Monglas, sans le lui oser dire, et je crois qu'elle s'en doute sans m'en rien témoigner.

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Parlez-moi de vos courtisans délicats et fêtés par-tout.-Réputation usurpée le plus souvent : vous en jugerez par les portraits du comte de Lude, de Vivonne et du marquis de la Feuillade.

Le comte de Lude a le visage petit et laid, beaucoup de cheveux, la taille belle: il étoit né pour être fort gras, mais la crainte d'être incommode et désagréable lui a fait prendre des soins si extraordinaires pour s'amaigrir, qu'enfin il en est venu à bout. Véritablement sa belle taille lui a coûté quelque chose de sa santé; il s'est gâté l'estomac par des diètes qu'il a faites, et le vinaigre dont il a usé. Il est adroit à cheval, il danse bien, il fait des

armes, il est brave, il s'est fort bien battu contre Vardes, et on lui a fait injustice quand on a douté de sa valeur. Le fondement de cette médisance est que, toute la jeunesse de sa volée, ayant pris parti dans la guerre, il s'est contenté de faire une campagne en volontaire ; mais cela vient de ce qu'il est paresseux et aime ses plaisirs : en un mot, il a du courage et n'a point d'ambition; il a l'esprit doux, il est agréable avec les femmes, il en a toujours été bien traité, et il ne les aime pas long-temps. Les raisons que l'on voit de ses bonnes fortunes, outre la réputation d'être discret, sont la bonne mine, et d'avoir de grandes parties pour l'amour; mais ce qui le fait réussir par-tout sûrement, c'est qu'il pleure quand il veut, et que rien ne persuade tant les femmes qu'on aime, que les larmes. Cependant, soit qu'il lui soit arrivé des malheurs tête-à-tête, soit que ses envieux veulent que ce soit sa faute de n'avoir point d'enfans, il ne déshonore pas trop les belles qu'il aime. Madame de Sévigné est une de celles pour qui il a eu de l'amour; mais sa passion finissant lorsque cette belle commençoit d'y répondre, ces contre-temps l'ont sauvée, ils ne se sont pu rencontrer; et comme il l'a toujours

vue depuis, quoique sans attachement, on n'a pas laissé de dire qu'elle l'avoit aimée, et bien que cela ne soit pas vrai, c'étoit toujours le plus vraisemblable à dire : il a été pourtant le foible de madame de Sévigné, et celui pour qui elle a eu plus d'inclination, quelque plaisanterie qu'elle en ait voulu faire.

Le Feuillade n'est pas tout à fait, pour un homme, ce que madame de Monglas est pour une femme; ce sont des mérites différens : celui-ci néanmoins a quelque faux brillant qui peut éblouir d'abord les étourdis, mais qui ne trompe pas les gens qui font des réflexions. Il a les yeux bleus et vifs, la bouche grande, le nez court, les cheveux frisés et un peu ardens, la taille belle, les genoux en dedans; il a trop de vivacité, il parle fort et veut toujours être plaisant, mais il ne fait pas toujours ce qu'il veut, cela s'entend avec les honnêtes gens; car pour le peuple et les esprits médiocres, avec qui il ne faut qu'avoir la bouche ouverte pour rire ou parler, il est admirable. Il a l'esprit léger et le cœur dur jusqu'à l'ingratitude; il est envieux, et c'est lui faire outrage que d'avoir de la prospérité; il est vain et fanfaron, et à son avènement dans le monde, il nous avoit si souvent dit

qu'il

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