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Sully Prudhomme et François Coppée, alors qu'il était âgé de soixante-huit ans.

Nous connaissons les impression personnelles du poète au lendemain de son élection. Le 1er avril 1894, Heredia vint voir son ami Edmond Bonnaffé. Le fils du délicat écrivain d'art, M. Edouard Bonnaffé, qui assistait à l'entretien, le consigna sur le papier pour en garder le souvenir. Grâce à son amabilité nous pouvons le reproduire tel qu'il fut noté :

Hier soir, un peu avant dîner, arrivée subite de Heredia. Papa se jette à son cou et l'embrasse à deux reprises, ce qui paraît toucher beaucoup le nouvel académicien. « Je ne fais qu'entrer et sortir, dit-il, pressé; j'ai tant de visites à faire, tant de courses... D'abord mes trente huit visites officielles... » Trois quarts d'heure après, il n'était pas encore parti. Voici, en deux mots, ce qu'il nous a raconté :

C'est grâce à Zola qu'on m'a nommé, je lui dois mon succès à l'Académie. D'ailleurs, lui-même m'avait dit : « Présentez-vous, il faut que vous soyez de l'Académie. Mon tour viendra, voyez-vous. Du moment qu'il y a une Académie française, je dois en faire partie. Et puis, après l'Académie, je veux le Sénat... » Quoi qu'il en dise, il n'entrera pas à l'Académie, jamais. On estime que sanctionner son talent officiellement en le faisant membre de l'Académie, ce serait d'un effet déplorable, à l'étranger surtout, où Zola est le prototype de notre littérature immorale; et puis, on lui reproche d'avoir écrit les passages les plus orduriers de ses romans à froid et uniquement pour le tirage. Il ne sera jamais de l'Académie, malgré l'appui de certains qui votent pour lui quand même, pour que cela les dispense de prendre parti pour tel ou tel candidat nouveau. Ainsi Coppée lui-même, un vieil ami à moi, n'a pas voté pour moi, mais pour Zola. Tout le parti des ducs est contre lui. Du reste, moi je ne voterai pas pour lui quoique je lui trouve un immense talent. Son français, son style laissent à désirer, mais comme constructeur de romans, il est extraordinaire. Je lui dis souvent : « Vous n'avez pas fait aussi bien que Sue, et à présent Sue n'est pourtant plus lu que par les concierges. Vous, vous serez oublié, on ne vous lira plus un siècle prochain ; tandis que moi, c'est bien le diable si, sur cent sonnets, je n'en ai pas un ou deux dans une anthologie; je

suis plus sûr que vous de l'immortalité ». A mon avis, de tous les romanciers de notre temps, Balzac seul restera, non pas tant au point de vue du style qu'il n'a jamais eu le temps de polir, mais au point de vue documentaire, et, pour parler comme mon ami Sorel, entre parenthèses, l'académicien de demain, nul ne pourra écrire plus tard une histoire complète de notre siècle sans consulter Balzac...

Nous savons encore qu'à propos de son élection, Heredia s'était plaint à Edmond de Goncourt des «< intrigues de Camille Doucet » 1, qui cependant avait fait l'éloge des Trophées dans son rapport sur les prix de 1893 2.

Le choix de l'Académie fut consacré par le Congrès des Poètes, organisé après la mort de Leconte de Lisle et qui accorda à Heredia le second rang avec 38 mentions Verlaine ayant été élu « prince » avec 77 voix 3. La préparation du Discours de réception occupa le poète toute une année. M. Jules Huret, dans ses Échos au Figaro, lui fait un mérite d'avoir réussi à tirer « quelque chose de coloré » des œuvres incolores de M. de Mazade. Il semble bien, en effet, que pour célébrer son prédécesseur, Heredia ait dû déployer toutes les ressources de son invention. Il finit par en trouver le moyen, et il l'annonça à ses amis « Voici. Mazade a publié un livre sur Lamartine. Je vais en profiter pour parler de Lamartine » 5. Il pouvait le faire d'autant plus que l'éloge de l'auteur des Méditations ne fut jamais prononcé à l'Académie française, des raisons politiques ayant empêché de recevoir son successeur, Emile Ollivier 6. Heredia avait connu le grand poète. « La première fois que j'ai vu Lamartine,

1. Journal des Goncourt, 23 février 1894. 2. C. Doucet, A l'Institut, 1896, p. 245.

3. Voir la Plume du 15 octobre 1894.

4. Les suppléments littéraires du 19 janvier, 2 et 16 février, 30 mars, 25 mai, 30 juin 1895.

5. Antoine Albalat, les Samedis de J.-M. de Heredia, la Revue hebdomadaire, 4 octobre 1919.

6. Cf. Emile Ollivier, Lamartine, précédé d'une préface sur les incidents qui ont empêché son éloge à l'Académie française, 1874.

disait-il, j'ai eu l'impression que j'étais devant un Dieu » 1.

On lit dans le Journal d'Edmond de Goncourt ces lignes datées du dimanche 24 février 1895 :

Heredia nous donne quelques échantillons de son discours à l'Académie, écrit dans une prose condensée, où il réduit à sa vraie taille le petit père Thiers. De là, l'indignation des gens du Palais-Mazarin, qui lui demandent la suppression d'une phrase d'un hautain mépris pour ledit homme politique. Aux Thiers i oppose Lamartine... qui fut un prophète miraculeux de tout ce qui est advenu depuis sa mort dans notre vieille société.

Ainsi Heredia avait pour la politique la même aversion que Leconte de Lisle, Gautier, Renan. « La grave Muse de la Politique, dont j'ignore le nom », disait-il ironiquement dans son discours 2.

La réception sous la coupole 3, plusieurs fois ajournée,

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1. A. Albalat, ouv. cité. Cf. A Lamartine, 1914, p. 104. 2. Si le poète n'admirait pas « le petit père Thiers », il estimait Gambetta dont il parle dans son article sur le duc de Brogli (le Journal, 21 janvier 1901).

Sa mort, écrivit-il à un ami, est pour moi, comme pour tous ceux qui l'avaient approché, au milieu du grand deuil national, un vrai deuil particulier. (Lettre à Philippe Burty, du 1er janvier 1883. Collection Charavay.)

3. Le 7 avril 1895, le poète fut reçu par l'Académie de SaintVincent, association des élèves de son collège, où il fut << accueilli par les applaudissements répétés » de ses jeunes camarades et par le chant de la Nuit de Gounod, « admirablement enlevé ». M. Louis Daverne lui adressa un compliment que Heredia qualifia de « parfait article de revue ».

L'Académie de Saint-Vincent, qui existe depuis 1859, honora à plusieurs reprises l'auteur des Trophées : elle fit entendre ses sonnets « au moment où la coupole de l'Institut allait couronner le front du poète », et le 23 janvier 1921, sous la présidence de Mgr Le Senne, évêque de Beauvais, elle dédia « à l'illustre mémoire de JoséMaria de Heredia » une séance solennelle, où on lut le discours qu'il avait prononcé au banquet de 1879 et cinq de ses poèmes. (Le programme de cette matinée littéraire et musicale est imprimé en six pages encadrées de rouge et d'or, avec un en-tête représentant les neuf Muses et le tercet final de la Mort de l'Aigle comme épigraphe.)

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