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rendre le dernier soupir, il appelle le héraut qui avait coutume de porter la bannière devant lui dans toutes les batailles; il lui commande d'attacher au bout d'une lance un morceau de ce drap dans lequel on devait bientôt l'ensevelir, et lui dit: "Va, porte cette lance, déploie cet étendard, et crie en le déployant: Voilà, voilà tout ce que le grand Saladin, vainqueur et maître de l'empire, emporte de toute sa gloire!" Chrétiens, je fais aujourd'hui la fonction de ce héraut; j'attache aujourd'hui au bout d'une lance les voluptés, les richesses, les plaisirs, les dignités; je vous produis tout cela, réduit à cette pièce de toile dans laquelle on doit bientôt vous ensevelir; je déploie à vos yeux cet étendard de la mort, et je vous crie: "Voilà, voilà tous les avantages que vous emporterez avec vous; voilà tout ce qui vous restera de ce que vous préfériez au salut de votre âme !"

FIN DERNIÈRE.

Où vas-tu, pauvre qui traines une vie languissante, qui mendies ton pain de maison en maison, qui es dans de continuelles alarmes sur les moyens de te procurer des aliments pour te nourrir et des habits pour te couvrir, toujours l'objet de la charité des uns et de la dureté des autres? à la mort. Où vas-tu, noble qui te pares d'une gloire empruntée, qui comptes comme tes vertus les titres de tes ancêtres, et qui penses être formé d'une boue plus précieuse que le reste des humains? à la mort. Où vas-tu, roturier qui te moques de la folie du noble, et qui extravagues toi-même d'une autre manière? à la mort. Où vas-tu, guerrier qui ne parles que de gloire, que d'héroïsme, et qui te flattes de je ne sais quelle immortalité? à la mort... Où allons-nous tous, mes chers auditeurs? à la mort. La mort respecte-telle les titres, les dignités, les richesses? Où est Alexandre? où est César? où sont les hommes dont le nom seul faisait trembler l'univers? Ils ont été, mais ils ne sont plus...

(Sermon sur l'égalité des hommes.)

MONTESQUIEU.

MONTESQUIEU (CHARLES DE SECONDAT BAron de la BrèDE ET DE) naquit le 18 janvier 1689 dans le château de la Brède. Destiné à la magistrature, et ne se reposant des graves études auxquelles il était obligé de se livrer que par la lecture des écrivains de Rome et de la Grèce, Montesquieu se trouva initié en même temps à la connaissance de la législation et à celle de la littérature des peuples anciens. Son premier ouvrage important fut une Dissertation sur la politique des Romains dans la religion. En 1721 parurent les Lettres persanes, livre étincelant d'esprit, et dont la vogue ne peut être comparée qu'à celle qu'obtint plus tard le Diable boiteux de Lesage. En 1727, Montesquieu se présenta à l'Académie française, et fut élu. Le cardinal de Fleury voulant punir l'auteur des Lettres persanes de la hardiesse de certaines opinions avancées dans son livre, engagea le roi à refuser son approbation; Montesquieu menaça de quitter la France si on lui faisait une pareille injure, et sa nomination fut approuvée. Les Considérations sur les causes de la décadence des Romains, parurent en 1734. Cette œuvre sévère, aussi remarquable par la pensée que par le style, accrut sa réputation à un tel point que ses amis crurent qu'il lui serait impossible de se maintenir à la hauteur où il s'était placé comme philosophe et comme écrivain. Quand Montesquieu leur communiqua le manuscrit de l'Esprit des lois, ils lui témoignèrent leurs appréhensions; mais il n'en tint aucun compte, et les vingt-deux éditions qu'eut en moins de deux années cet admirable ouvrage, leur fit comprendre que leur amitié s'était mal à propos alarmée.

Montesquieu mourut le 10 février 1755, âgé de soixante-six ans.

CHARLEMAGNE.

Charlemagne mit un tel tempérament dans les ordres de l'État, qu'ils furent contre-balancés, et qu'il resta le maître. Tout fut uni par la force de son génie. L'empire se maintint par la grandeur du chef; le prince était grand, l'homme l'était davantage. Il fit d'admirables règlements; il fit plus, il les fit exécuter. On voit, dans les lois de ce prince, un esprit de prévoyance qui comprend tout, et une certaine force qui entraîne tout les prétextes pour éluder les devoirs sont ôtés, les négligences corrigées, les abus réformés ou prévenus ; il savait punir, il savait encore mieux pardonner. Vaste dans

ses desseins, simple dans l'exécution, personne n'eut à un plus haut degré l'art de faire les plus grandes choses avec facilité, et les difficiles avec promptitude.

Il parcourait sans cesse son vaste empire, portant la main partout où il allait tomber. Les affaires renaissaient de toutes parts, il les finissait de toutes parts. Il se joua de tous les périls, et particulièrement de ceux qu'éprouvent presque toujours les grands conquérants, c'est-à-dire des conspirations.

Ce prince prodigieux était extrêmement modéré; son caractère était doux, ses manières simples; il aimait à vivre avec les gens de sa cour. Il fut peut-être trop sensible au plaisir des femmes; mais un prince qui gouverna toujours par lui-même, et qui passa sa vie dans les travaux, peut mériter plus d'excuses.

On ne dira plus qu'un mot: il ordonnait qu'on vendît les œufs des basses-cours de ses domaines, et les herbes inutiles de ses jardins; et il avait distribué à ses peuples toutes les richesses des Lombards, et les immenses trésors de ces Huns qui avaient dépouillé l'univers.

LA MANIE DES VISITES.

On dit que l'homme est un anima sociable; sur ce piedlà, il me paraît que le Français est plus homme qu'un autre: c'est l'homme par excellence; car il semble être fait uniquement pour la société.

Mais j'ai remarqué parmi eux des gens qui non seulement sont sociables, mais sont eux-mêmes la société universelle. Ils se multiplient dans tous les coins; ils peuplent en un moment les quatre quartiers d'une ville: cent hommes de cette espèce abondent plus que deux mille citoyens; ils pourraient réparer aux yeux des étrangers les ravages de la peste et de la famine. On demande dans les écoles si un corps peut être en un instant en plusieurs lieux; ils sont une preuve de ce que les philosophes mettent en question. Ils sont toujours empressés, parce qu'ils ont l'affaire im

portante de demander à tous ceux qu'ils voient où ils vont et d'où ils viennent.

On ne leur ôterait jamais de la tête qu'il est de la bienséance de visiter chaque jour le public en détail, sans compter les visites qu'ils font en gros dans les lieux où l'on s'assemble; mais, comme la voie en est trop abrégée, elles sont comptées pour rien dans les règles de leur cérémonial.

Ils fatiguent plus les portes des maisons à coups de marteau que les vents et les tempêtes. Si l'on allait examiner la liste de tous les portiers, on y trouverait chaque jour leur nom estropié de mille manières en caractères suisses. Ils passent leur vie à la suite d'un enterrement, dans les compliments de condoléance ou dans des félicitations de mariage. Le roi ne fait point de gratification à quelqu'un de ses sujets qu'il ne leur en coûte une voiture pour lui en aller témoigner leur joie. Enfin, ils reviennent chez eux, bien fatigués, se reposer, pour pouvoir reprendre le lendemain leurs pénibles fonctions.

Un d'eux mourut l'autre jour de lassitude, et on mit cette épitaphe sur son tombeau :

Il s'est ré

"C'est ici que repose celui qui ne s'est jamais reposé. Il s'est promené à cinq cent trente enterrements. joui de la naissance de deux mille six cent quatre-vingts enfants. Les pensions dont il a félicité ses amis, toujours en des termes différents, montent à deux millions cent six mille livres; le chemin qu'il a fait sur le pavé, à neuf mille six cents stades; celui qu'il a fait dans la campagne, à trente-six. Sa conversation était amusante; il avait un fonds tout fait de trois cent soixante-cinq contes; il possédait d'ailleurs, depuis son jeune âge, cent dix-huit apophthegmės tirés des anciens qu'il employait dans les occasions brillantes. Il est mort enfin à la soixantième année de son âge. Je me tais, voyageur; car comment pourrais-je achever de te dire ce qu'il a fait et ce qu'il a vu ?”

(Lettres persanes.)

VOLTAIRE.

VOLTAIRE (FRANÇOIS-MARIE AROUET DE). (Voir pour la notice la partie poétique.)

Ses ouvrages en prose sont: L'Histoire de Pierre-le-Grand; celle de Charles XII, 1729; les Eléments de la philosophie de Newton, 1735; le Siècle de Louis XIV, 1751; l'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, 1765; le Dictionnaire philosophique, des Romans et des Mélanges de littérature.

CHARLES XII.

Charles XII, roi de Suède, éprouva ce que la prospérité a de plus grand, et ce que l'adversité a de plus cruel, sans avoir été amolli par l'une, ni ébranlé un moment par l'autre. Presque toutes ses actions, jusqu'à celles de sa vie privée et unie, ont été bien loin au-delà du vraisemblable. C'est peut-être le seul de tous les hommes, et jusqu'ici le seul de tous les rois, qui ait vécu sans faiblesse ; il a porté toutes les vertus des héros à un excès où elles sont aussi dangereuses que les vices opposés.

Sa fermeté, devenue opiniâtre, fit ses malheurs dans l'Ukraine, et le retint cinq ans en Turquie; sa libéralité, dégénérant en profusion, a ruiné la Suède: son courage, poussé jusqu'à la témérité, a causé sa mort: sa justice a été quelquefois jusqu'à la cruauté; et, dans les dernières années, le maintien de son autorité approchait de la tyrannie. Ses grandes qualités, dont une seule eût pu immortaliser un autre prince, ont fait le malheur de son pays. Il n'attaqua jamais personne; mais il ne fut pas aussi prudent qu'implacable dans ses vengeances.

Il a été le premier qui ait eu l'ambition d'être conquérant sans avoir l'envie d'agrandir ses États; il voulait gagner des empires pour les donner. Sa passion pour la gloire, pour la guerre et pour la vengeance, l'empêcha d'être bon politique qualité sans laquelle on n'a jamais vu de con

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