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MASCARON.

MASCARON (JULES), fils d'un avocat au parlement d'Aix, naquit à Marseille en 1634. Il se distingua de bonne heure par ses talents oratoires, et mérita d'être placé parmi les plus célèbres prédicateurs du siècle de Louis XIV. En 1666 il prêcha l'Avent, et l'année suivante le Carême à Versailles. Le roi ne resta pas insensible au mérite de l'orateur, et le nomma en 1671 à l'évêché de Tulle. Son zèle vraiment évangélique et son exemple étaient encore plus persuasifs que sa parole. Nommé en 1678 à l'évêché d'Agen, où il mourut en 1703, il se distingua par son zèle et par le grand nombre de conversions qu'il opéra dans son diocèse.

On a comparé à tort Mascaron à Fléchier et à Bossuet; il n'a ni l'élégance de l'un ni la majesté de l'autre, et quoiqu'il manque pas de chaleur et d'élévation, il est, comme orateur, au-dessous de la réputation qu'il obtint de son vivant.

LE GÉNÉRAL AU MOMENT D'UNE BATAILLE.

S'il y a une occasion au monde où l'âme pleine d'ellemême soit en danger d'oublier son Dieu, c'est dans ces postes éclatants où un homme, par la sagesse de sa conduite, par la grandeur de son courage, par la force de son bras, et par le nombre de ses soldats, devient comme le dieu des autres hommes, et, rempli de gloire en lui-même, remplit tout le reste du monde d'amour, d'admiration ou de frayeur. Les dehors mêmes de la guerre, le son des instruments, l'éclat des armes, l'ordre des troupes, le silence des soldats, l'ardeur de la mêlée, le commencement, le progrès et la consommation de la victoire, les cris différents des vaincus et des vainqueurs, attaquent l'âme par tant d'endroits, qu'enlevée à tout ce qu'elle a de sagesse et de modération, elle ne connaît ni Dieu, ni elle-même. C'est alors que les impies Salmonées osent imiter le tonnerre de Dieu et répondre par les foudres de la terre aux foudres du ciel; c'est alors que les sacriléges Antiochus n'adorent que leur bras et leur cœur, et que les insolents Pharaons, enflés de leur puissance, s'écrient: "C'est moi qui me suis fait moi

même!" Mais aussi la religion et l'humanité ne paraissentelles jamais plus majestueuses que lorsque dans ce point de gloire et de grandeur, elles retiennent le cœur de l'homme dans la soumission et la dépendance où la créature doit être à l'égard de son Dieu.

(Oraison funèbre de Turenne.)

MODESTIE DE TURENNE.

Il revenait de ses campagnes triomphantes avec la même froideur et la même tranquillité que s'il fût revenu d'une promenade; plus vide de sa propre gloire, que le public n'en était occupé. En vain les peuples s'empressaient pour le voir; en vain, dans les assemblées, ceux qui avaient l'honneur de le connaitre le montraient des yeux, du geste et de la voix à ceux qui ne le connaissaient pas; en vain sa seule présence, sans train et sans suite, faisait sur les âmes cette impression presque divine qui attire tant de respect, et qui est le fruit le plus doux et le plus innocent de la vertu héroïque. Toutes ces choses, si propres à faire rentrer un homme en lui-même par une vanité raffinée, ou à le faire répandre au dehors par l'agitation d'une vanité moins réglée, n'altéraient en aucune manière la situation tranquille de son âme; et il ne tenait pas à lui qu'on n'oubliât ses victoires et ses triomphes...

Dans le progrès même de la victoire, et dans ces moments d'amour-propre où un général voit qu'elle se déclare pour son parti sa religion était en garde pour l'empêcher d'irriter tant soit peu le Dieu jaloux, par une confiance trop précipitée de vaincre. En vain tout retentissait autour de lui des cris de victoire; en vain les officiers se flattaient et le flattaient lui-même de l'assurance d'un heureux succès, il arrêtait tous ces emportemens de joie, où l'orgueil humain a tant de part, par ces paroles si dignes de sa piété : "Si Dieu ne nous soutient, et s'il n'achève son ouvrage, il y a encore assez de temps pour être battus."

Aussi, comme il reconnaissait que toutes les victoires venaient de Dieu, il s'efforçait de les rendre dignes de Dieu.

Après avoir vaincu les ennemis, il n'oubliait rien pour vaincre la victoire même. Vous savez que naturellement elle est cruelle, insolente, impie. M. de Turenne la rendait douce, raisonnable et religieuse. Quels ordres ne donnait-il pas ? quels efforts ne faisait-il pas pour arrêter le carnage, qui après l'ardeur du combat, n'est plus qu'un crime et une brutalité barbare; pour empêcher la profanation des temples, l'incendie des maisons, les dégâts inutiles, et les abominations qui obligent si souvent les princes chrétiens à pleurer les plus justes et les plus glorieuses victoires.

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SAINT-REAL.

SAINT-RÉAL (CESAR-VICHARD, abbé de) naquit à Chambéry, en Savoie, en 1639. Il vint fort jeune à Paris, et se lia avec Antoine Varillas, qui lui inspira le goût des études historiques. La Conjuration des Espagnols contre Venise, que publia Saint-Réal en 1671, est son chef-d'œuvre; et, quelques reproches qu'on puisse adresser à cet ouvrage où l'imagination de l'auteur a peut-être eu une trop grande part, il sera toujours regardé comme un des monuments les plus beaux de notre langue.

Saint-Réal quitta Paris en 1692 et se retira à Chambéry, où il mourut vers la fin de la même année.

RENAULT AUX CONJURÉS.

Il commença par une narration simple et étendue de l'état présent des affaires, des forces de la république et des leurs, de la disposition de la ville et de la flotte, des préparatifs de don Pèdre et du duc d'Ossone, des armes et des provisions de guerre qui étaient chez l'ambassadeur d'Espagne, des intelligences qu'il avait dans le sénat et parmi les nobles, enfin, de la connaissance exacte qu'on avait prise de tout ce qu'il pouvait être nécessaire de savoir.

Après s'être attiré l'approbation de ses auditeurs, par le récit de ces choses dont ils savaient la vérité comme lui, et qui étaient presque toutes les effets de leurs soins aussi bien que des siens :

"Voilà, mes compagnons, continua-t-il, quels sont les moyens destinés pour vous conduire à la gloire que vous cherchez. Chacun de vous peut juger s'ils sont suffisants et assurés. Nous avons des voies infaillibles pour introduire dix mille hommes de guerre dans une ville qui n'en a pas deux cents à nous opposer, dont le pillage joindra avec nous tous les étrangers que la curiosité ou le commerce y a attirés, et dont le peuple même nous aidera à dépouiller les grands, qui l'ont dépouillé tant de fois, aussitôt qu'il verra sûreté à le faire. Les meilleurs vaisseaux de la flotte sont à nous, et les autres portent dès à présent avec eux ce qui doit les réduire en cendres. L'arsenal, la merveille de l'Europe et la terreur de l'Asie, est presque déjà en notre pouvoir. Les neuf vaillants hommes qui sont ici présents, qui sont en état de s'en emparer depuis près de six mois, ont si bien pris leurs mesures pendant ce délai, qu'ils ne croient rien hasarder en répondant sur leur tête de s'en rendre maîtres. Quand nous n'aurions ni les troupes du lazaret ni celles de terre-ferme, ni la petite flotte de Haillot pour nous soutenir, ni les cinq cents hommes de don Pèdre, ni les vingt vaisseaux vénitiens de notre camarade, ni les grands navires du duc d'Ossone, ni l'armée espagnole de Lombardie, nous serions assez forts avec les intelligences et les mille soldats que nous avons. Néanmoins, tous ces différents secours que je viens de nommer sont disposés de telle sorte, que chacun d'eux pourrait manquer sans porter le moindre préjudice aux autres; ils peuvent bien s'entr'aider, mais ils ne sauraient s'entrenuire; il est presque impossible qu'ils ne réussissent pas tous, et un seul nous suffit.

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Que si, après avoir pris toutes les précautions que la prudence humaine peut suggérer, on peut juger du succès que la fortune nous destine, quelle marque peut-on avoir de sa faveur qui ne soit au-dessous de celles que nous avons ?

Oui, mes amis, elles tiennent manifestement du prodige. Il est inouï, dans toutes les histoires, qu'une entreprise de cette nature ait été découverte en partie sans être entièrement ruinée; et la nôtre a essuyé cinq accidents, dont le moindre, selon toutes les apparences humaines, devait la renverser. Qui n'eût cru que la perte de Spinosa, qui tramait la même chose que nous, serait l'occasion de la nôtre? que le licenciement des troupes de Liévestein, qui nous étaient toutes dévouées, divulguerait ce que nous tenions caché? que la dispersion de la petite flotte romprait toutes nos mesures, et serait une source féconde de nouveaux inconvénients? que la découverte de Crême, que celle de Maran, attireraient nécessairement après elle la découverte de tout le parti ?

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Cependant toutes ces choses n'ont point eu de suite; on n'en a point suivi la trace, qui aurait mené jusqu'à nous ; on n'a point profité des lumières qu'elles donnaient. Jamais repos si profond ne précéda un trouble si grand. Le sénat, nous en sommes fidèlement instruits, le sénat est dans une sécurité parfaite. Notre bonne destinée a aveuglé les plus clairvoyants de tous les hommes, rassuré les plus timides, endormi les plus soupçonneux, confondu les plus subtils. Nous vivons encore, mes chers amis; nous sommes plus puissants que nous n'étions avant tous ces désastres; ils n'ont servi qu'à éprouver notre constance. Nous vivons, et notre vie sera bientôt mortelle aux tyrans de ces lieux. Un bonheur si extraordinaire, si obstiné, peut-il être naturel? Et n'avons-nous pas sujet de présumer qu'il est l'ouvrage de quelque puissance au-dessus des choses humaines ?

"Et en vérité, mes compagnons, qu'est-ce qu'il y a sur la terre qui soit digne de la protection du ciel, si ce que nous faisons ne l'est pas ? Nous détruisons le plus horrible de tous les gouvernements; nous rendons le bien à tous les pauvres sujets de cet État, à qui l'avarice des nobles le ravirait éternellement sans nous; nous sauvons l'honneur de toutes les femmes qui naîtraient quelque jour sous leur domination, avec assez d'agréments pour leur plaire; nous

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