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Jouissez, prince, de cette victoire; jouissez-en éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice. Agréez ces derniers efforts d'une voix qui vous fut connue, vous mettrez fin à tous ces discours. Au lieu de déplorer la mort des autres, grand prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie, les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint.

BOURDALOUE.

Il fit

BOURDALOUE (LOUIS) naquit à Bourges le 20 août 1632. ses études chez les jésuites et y enseigna pendant quelque temps la rhétorique, la philosophie et la théologie. Il vint à Paris en 1669, époque où, dans la chaire, le mauvais goût dominait encore; ses sermons commencèrent la réforme, et alors, dit Voltaire, on entendit enfin dans la chaire la raison éloquente. Louis XIV fut vivement ému de son éloquence, et il fit appeler dix ans de suite Bourdaloue à Versailles pour y prêcher soit l'Avent, soit le Carême.

Bourdaloue est surtout remarquable comme dialecticien ; la force des raisonnements, la solidité des preuves, sont les qualités principales de son éloquence, car sa diction est plus souvent rude qu'elle n'est énergique. Parmi les orateurs de la chaire, il est placé au premier rang après Massillon.

Bourdaloue mourut à Paris le 13 mai 1704

L'OUBLI ET L'ABANDON DES PAUVRES.

Combien de pauvres sont oubliés; combien demeurent sans secours et sans assistance! Oubli d'autant plus déplorable, que, de la part des riches, il est volontaire, et par conséquent criminel. Je m'explique: combien de malheureux réduits aux dernières rigueurs de la pauvreté et que l'on ne soulage pas, parce qu'on ne les connaît pas, et qu'on

ne veut pas les connaître ! Si l'on savait l'extrémité de leurs besoins, on aurait pour eux, malgré soi, sinon de la charité, au moins de l'humanité. A la vue de leur misère, on rougirait de ses excès, on aurait honte de ses délicatesses, on se reprocherait ses folles dépenses, et l'on s'en ferait avec raison des crimes. Mais parce qu'on ignore ce qu'ils souffrent, parce qu'on ne veut pas s'en instruire, parce qu'on craint d'en entendre parler, parce qu'on les éloigne de sa présence, on croit en être quitte en les oubliant; et, quelque extrêmes que soient leurs maux, on y devient insensible.

Combien de véritables pauvres, que l'on rebute comme s'ils ne l'étaient pas, sans qu'on se donne et qu'on veuille se donner la peine de discerner s'ils le sont en effet! Combien de pauvres dont les gémissements sont trop faibles pour venir jusqu'à nous, et dont on ne veut pas s'approcher pour se mettre en devoir de les écouter! Combien de pauvres abandonnés! Combien de désolés dans les prisons! Combien de languissants dans les hôpitaux! Combien de honteux dans les familles particulières! Parmi ceux qu'on connaît pour pauvres, et dont on ne peut ni ignorer ni même oublier le douloureux état, combien sont négligés! combien sont durement traités, combien manquent de tout, pendant que le riche est dans l'abondance, dans le luxe, dans les délices! S'il n'y avait point de jugement dernier, voilà ce que l'on pourrait appeler le scandale de la Providence, la patience des pauvres outragés par la dureté et par l'insensibilité des riches.

(Sermons.)

L'HYPOCRISIE.

Quand je parle de l'hypocrisie, ne pensez pas que je la borne à cette espèce particulière qui consiste dans l'abus de la piété et qui fait les faux dévots; je la prends dans un sens plus étendu, et d'autant plus utile à votre instruction, que peut-être, malgré vous-mêmes, serez-vous obligés de convenir que c'est un vice qui ne vous est que trop commun; car j'appelle hypocrite, quiconque, sous de spécieuses ap

parences, a le secret de cacher les désordres d'une vie criminelle. Or, en ce sens, on ne peut douter que l'hypocrisie ne soit répandue dans toutes les conditions, et que parmi les mondains il ne se trouve encore bien plus d'imposteurs et d'hypocrites que parmi ceux que nous nommons dévots.

En effet, combien dans le monde de scélérats travestis en gens d'honneur? combien d'hommes corrompus et pleins d'iniquité, qui se produisent avec tout le faste et toute l'ostentation de la probité? combien de fourbes insolents à vanter leur sincérité ? combien de traîtres, habiles à sauver les dehors de la fidélité et de l'amitié ? combien de sensuels, esclaves des passions les plus infâmes, en possession d'affecter la pureté des mœurs, et de la pousser jusqu'à la sévérité? combien de femmes libertines fières sur le chapitre de leur réputation, et quoique engagées dans un commerce honteux, ayant le talent de s'attirer toute l'estime d'une exacte et d'une parfaite régularité? Au contraire, combien de justes faussement accusés et condamnés? combien de serviteurs de Dieu, par la malignité du siècle, décriés et calomniés? combien de dévots de bonne foi traités d'hypocrites, d'intrigants et d'intéressés ? combien de vraies vertus contestées ? combien de bonnes œuvres censurées? combien d'intentions droites mal expliquées, et combien de saintes actions empoisonnées ?

(Sermon sur le Jugement de Dieu.)

FLÉCHIER.

FLÉCHIER (ESPRIT) naquit à Pernes (Vaucluse) le 10 juin 1632. Le P. Hercule Audiffret, son oncle, homme pieux et savant, dirigea son éducation. Après la mort de son parent, Fléchier quitta la province et vint à Paris. Avant de prendre rang parmi les orateurs qui illustraient la chaire, il se fit connaître par des poésies latines écrites avec une élégance remarquable. Ses Sermons augmentèrent sa renommée, et ses Oraisons funèbres y mirent le comble. Louis XIV le

nomma en 1685 à l'évêché de Lavaur, et en 1687 à celui de Nismes. Dans ce diocèse où il trouva autant de protestants que de catholiques, Fléchier sut être l'ami et le bienfaiteur des uns et des autres, et se concilier l'estime et l'affection de tous.

Admis à l'Académie française en 1673, il y fut reçu le même jour que Racine.

Fléchier mourut à Montpellier en 1710.

MORT DE TURENNE.

Turenne meurt, tout se confond; la fortune chancelle, la victoire se lasse, le paix s'éloigne, les bonnes intentions des alliés se ralentissent, le courage des troupes est abattu par la douleur et ranimé par la vengeance, tout le camp demeure immobile; les blessés pensent à la perte qu'ils ont faite, et non aux blessures qu'ils ont reçues. Les pères mourants envoient leurs fils pleurer sur leur général mort. L'armée en deuil est occupée à lui rendre les devoirs funèbres; et la renommée, qui se plaît à répandre dans l'univers les accidents extraordinaires, va remplir toute l'Europe du récit glorieux de la vie de ce prince, et du triste regret de sa mort.

Que de soupirs alors, que de plaintes, que de louanges retentissent dans les villes, dans la campagne! L'un, voyant croître ses moissons, bénit la mémoire de celui à qui il doit l'espérance de sa récolte; l'autre, qui jouit encore en repos de l'héritage qu'il a reçu de ses pères, souhaite une éternelle paix à celui qui l'a sauvé des désordres et des cruautés de la guerre : ici l'on pleure celui qui a sacrifié sa vie et son sang pour le bien public; là, on lui dresse une pompe funèbre, où l'on s'attendait de lui dresser un triomphe; chacun choisit l'endroit qui lui paraît le plus éclatant dans une si belle vie; tous entreprennent son éloge; et chacun, s'interrompant lui-même par ses soupirs et par ses larmes, admire le passé, regrette le présent, et tremble pour l'avenir. Ainsi tout le royaume pleure la mort de son défenseur, et la perte d'un homme seul est une calamité publique.

SIMPLICITÉ DE TURENNE.

Qui fit jamais de si grandes choses? qui les dit avec plus de retenue? Remportait-il quelque avantage, à l'entendre, ce n'était pas qu'il fût habile; mais l'ennemi s'était trompé ? Rendait-il compte d'une bataille, il n'oubliait rien, sinon que c'était lui qui l'avait gagnée. Racontait-il quelques unes de ces actions qui l'avaient rendu si célèbre, on eût dit qu'il n'en avait été que le spectateur, et l'on doutait si c'était lui qui se trompait ou la renommée. Revenait-il de ces glorieuses campagnes qui rendront son nom immortel, il fuyait les acclamations populaires, il rougissait de ses victoires, il venait recevoir des éloges, comme on vient de faire des apologies, et n'osait presque aborder le roi, parce qu'il était obligé, par respect, de souffrir patiemment les louanges dont Sa Majesté ne manquait jamais de l'honorer.

C'est alors que, dans le doux repos d'une condition privée, ce prince, se dépouillant de toute la gloire qu'il avait acquise pendant la guerre, et se renfermant dans une société peu nombreuse de quelques amis choisis, s'exerçait sans bruit aux vertus civiles. Sincère dans ses discours, simple dans ses actions, fidèle dans ses amitiés, exact dans ses devoirs, réglé dans ses désirs, grand même dans les moindres choses. Il se cache, mais sa réputation le découvre ; il marche sans suite et sans équipages, mais chacun dans son esprit le met sur un char de triomphe. On compte, en le voyant, les ennemis qu'il a vaincus, non pas les serviteurs qui le suivent. Tout seul qu'il est, on se figure autour de lui ses vertus et ses victoires qui l'accompagnent. Il y a je ne sais quoi de noble dans cette honnête simplicité; et moins il est superbe, plus il devient vénérable.

(Oraison funèbre de Turenne.)

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