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L'ardente charité, que le pauvre idolâtre !

Mère de ceux pour qui la fortune est marâtre,
Qui relève et soutient ceux qu'on foule en passant,
Qui, lorsqu'il le faudra, se sacrifiant toute,

Comme le Dieu martyr dont elle suit la route,
Dira: "Buvez! mangez! c'est ma chair et mon sang.”

Que ce soit elle, oh! oui, riches! que ce soit elle
Qui, bijoux, diamans, rubans, hochets, dentelle,
Perles, saphirs, joyaux toujours faux toujours vains,
Pour nourrir l'indigent et pour sauver vos ames,
Des bras de vos enfans et du sein de vos femmes
Arrache tout à pleines mains!

Donnez, riches! L'aumône est sœur de la prière.
Hélas! quand un vieillard sur votre seuil de pierre,
Tout roidi par l'hiver, en vain tombe à genoux;
Quand les petits enfans, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
La face du Seigneur se détourne de vous

Donnez! afin que Dieu, qui dote les familles,
Donne à vos fils la force et la grâce à vos filles;
Afin que votre vigne ait toujours un doux fruit;
Afin qu'un blé plus mûr fasse plier vos granges;
Afin d'être meilleurs; afin de voir les anges

Passer dans vos rêves la nuit !

Donnez! il vient un jour où la terre nous laisse.
Vos aumônes là-haut vous font une richesse.
Donnez! afin qu'on dise: "Il a pitié de nous !"
Afin que l'indigent que glacent les tempêtes,
Que le pauvre qui souffre à côté de vos fêtes,
Au seuil de vos palais fixe un œil moins jaloux.

Donnez! pour être aimés du Dieu qui se fit homme,
Pour que le méchant même en s'inclinant vous nõmme,
Pour
que votre foyer soit calme et fraternel :

Donnez! afin qu'un jour, à votre heure dernière
Contre tous vos péchés vous ayez la prière

D'un mendiant puissant au ciel !

(Feuilles d'automne.)

LES FANTÔMES.

Hélas! que j'en ai vu mourir, de jeunes filles !
C'est le destin. Il faut une proie au trépas.
Il faut que l'herbe tombe au tranchant des faucilles ;
Il faut que dans le bal les folâtres quadrilles
Foulent des roses sous leurs pas.

Il faut que l'eau s'épuise à courir les vallées ;
Il faut que l'éclair brille, et brille peu d'instans ;
Il faut qu'avril jaloux brûle de ses gelées
Le beau pommier, trop fier de ses fleurs étoilées,
Neige odorante du printemps.

Oui, c'est la vie.

Après le jour, la nuit livide.

Après tout, le réveil, infernal ou divin.

Autour du grand banquet siége une foule avide;
Mais bien des conviés laissent leur place vide,
Et se lèvent avant la fin.

Que j'en ai vu mourir ! l'une était rose et blanche;
L'autre semblait ouïr de célestes accords;

L'autre, faible, appuyait d'un bras son front qui penche,
Et comme en s'envolant l'oiseau courbe sa branche
Son âme avait brisé son corps.

Une, pâle, égarée, en proie au noir délire,
Disait tout bas un nom dont nul ne se souvient;
Une s'évanouit, comme un chant sur la lyre ;
Une autre en expirant avait le doux sourire
D'un jeune ange qui s'en revient.

Toutes fragiles fleurs, sitôt mortes que nées
Alcyons engloutis avec leurs nids flottans!

Colombes, que le ciel au monde avait données !
Qui, de grâce, et d'enfance, et d'amour couronnées,
Comptaient leurs ans par leurs printemps.

Une surtout un ange, une jeune Espagnole !
Blanches mains, sein gonflé de soupirs innocens,
Un œil noir, où luisaient des regards de créole,
Et ce charme inconnu, cette fraîche auréole

Qui couronne un front de quinze ans !

Elle aimait trop le bal, c'est ce qui l'a tuée.
Le bal éblouissant! le bal délicieux !
Sa cendre encor frémit, doucement remuée,
Quand dans la nuit sereine une blanche nuée
Danse autour du croissant des cieux.

Elle aimait trop le bal! Quand venait une fête,
Elle y pensait trois jours, trois nuits elle en rêvait;
Et femmes, musiciens, danseurs que rien n'arrête,
Venaient, dans son sommeil, troublant sa jeune tête,
Rire et bruire à son chevet.

Puis c'étaient des bijoux, des colliers, des merveilles ?
Des ceintures de moire aux ondoyans reflets;

Des tissus plus légers que des ailes d'abeilles ;
Des festons, des rubans, à remplir des corbeilles ;
Des fleurs à paver un palais!

La fête commencée, avec ses sœurs rieuses
Elle accourait, froissant l'éventail sous ses doigts;
Puis s'asseyait parmi les écharpes soyeuses,
Et son cœur éclatait en fanfares joyeuses,
Avec l'orchestre aux mille voix.

C'etait plaisir de voir danser la jeune fille !
Sa basquine agitait ses paillettes d'azur ;

Ses grands yeux noirs brillaient sous la noire mantille : elle une double étoile au front des nuits scintille

Sous les plis d'un nuage obscur.

Tout en elle était danse, et rire, et folle joie.
Enfant! nous l'admirions dans nos tristes loisirs :
Car ce n'est point au bal que le cœur se déploie :

La cendre y vole autour des tuniques de soie,
L'ennui sombre autour des plaisirs.

Mais elle, par la valse ou la ronde emportée,
Volait, et revenait, et ne respirait pas,

Et s'enivrait des sons de la flûte vantée
Des fleurs, des lustres d'or, de la fête enchantée,
Du bruit des voix, du bruit des pas.

Mais, hélas! il fallait, quand l'aube était venue,
Partir, attendre au seuil le manteau de satin;
C'est alors que souvent la danseuse ingénue
Sentit, en frissonnant, sur son épaule nue,
Glisser le souffle du matin.

Quels tristes lendemains laisse le bal folâtre !
Adieu, parure, et danse, et rires enfantins!
Aux chansons succédait la toux opiniâtre,

Au plaisir rose et frais, la fièvre au teint bleuâtre,
Aux yeux brillans les yeux éteints.

Elle est morte à quinze ans, belle, heureuse, adorée !
Morte au sortir d'un bal qui nous mit tous en deuil,
Morte, hélas! et des bras d'une mère égarée
La mort aux froides mains la prit toute parée,
Pour l'endormir dans le cercueil.

Pour danser d'autres bals elle était encor prête :
Tant la mort fut pressée à prendre un corps si beau!
Et ces roses d'un jour qui couronnaient sa tête,
Qui s'épanouissaient la veille en une fête,

Se fanèrent dans un tombeau.

Sa pauvre mère, hélas! de son sort ignorante,
Avait mis tant d'amour sur ce frêle roseau

Et si long-temps veillé son enfance souffrante;
Et passé tant de nuits à l'endormir pleurante
Toute petite en son berceau!

Vous toutes qu'à ses jeux le bal riant convie,
Pensez à l'Espagnole éteinte sans retour,
Jeunes filles! Joyeuse et d'une main ravie,
Elle allait moissonnant les roses de la vie,
Beauté, plaisir, jeunesse, amour!

La pauvre enfant, de fête en fête promenée,
De ce bouquet charmant arrangeait les couleurs,
Mais qu'elle a passé vite; hélas ! l'infortunée !
Ainsi qu'Ophélia par le fleuve entraînée,

Elle est morte en cueillant des fleurs !

(Orientales.)

*BARTHÉLEMY ET MÉRY.

* MĚRY est né à Marseille, le 21 Janvier 1798. Quant à son compatriote BARTHELEMY, nous n'avons pu trouver sur lui le moindre renseignement biographique. Ce fut vers 1825 que ces deux grands poètes commencèrent leur association littéraire; ils firent paraître plusieurs satires et divers poèmes. Celui de Napoléon en Egypte douna à leur nom une popularité méritée: on admira l'enthousiasme, les beautés étincelantes de ce beau chant épique. Dans la Némésis on retrouva la même verve, la même poésie vigoureuse et facile; on put regretter seulement de voir deux talents d'élite s'adonner à un genre de satire qui ne saurait vivre long-temps. Cette publication en effet ne tarda pas à être interrompue et les deux compatriotes se séparèrent. M. Barthélemy s'occupa d'une traduction en vers de l'Enéide, qui n'a point fait oublier celle de Delille; M. Méry publia des romans fort spirituels et de nombreux articles de journaux, qui l'ont placé à la tête des écrivains légers de notre époque. Ses Scènes de la vie italienne méritent une mention particulière.

LES FRANÇAIS EN ÉGYPTE

APRÈS LE DÉPART DE BONAPARTE.

Et l'armée orpheline, en sa morne attitude,
Contemplait de la mer l'immense solitude!

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