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Devant l'urne funèbre on portait ses aïeux :
Entre tous les héros qui, présents à nos yeux,
Provoquaient la douleur et la reconnaissance,
Brutus et Cassius brillaient par leur absence.
Que dis-je ? Le tyran ne peut dormir en paix :
Quand la nuit sur nos murs étend son voile épais.
Des regrets importuns fatiguent son oreille;
Des Romains opprimés la douleur se réveille ;
Et leurs cris menaçants, par Tibère entendus,
Vont lui porter ces mots: "Rends-nous Germanicus!"
(Tibère, act. I, sc. 1.)

*ARNAULT.

* ARNAULT (ANTOINE-VINCENT) est né à Paris le 1er janvier 1766. Marius à Minturnes, les Vénitiens et Germanicus lui assurent à jamais un rang honorable parmi nos auteurs tragiques; ses Fables et ses Mémoires sont écrits avec autant d'esprit et de finesse que de talent. Admirateur et partisan dévoué de Napoléon, Arnault fut exilé de France au commencement de la Restauration et perdit par conséquent le fauteuil qu'il occupait à l'Académie depuis 1795. Après quelques années passées en Belgique et en Hollande, Arnault rentra dans sa patrie, fut réélu membre de l'Académie en 1829 et termina paisiblement son existence. Il mourut à Goderville, le 16 Septembre 1834.

Quelques critiques, tout en reconnaissant à Arnault de l'élan et de l'inspiration, lui reprochent un style peu travaillé et souvent inégal. Ce blame porte surtout sur ses tragédies.

LA FEUIlle.

De ta tige détachée,
Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu ?—Je n'en sais rien :
L'orage a frappé le chêne

Qui seul était mon. soutien.
De son inconstante haleine,
Le zéphyr ou l'aquilon

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Sans ami, comme sans famille,
Ici-bas vivre en étranger;
Se retirer dans sa coquille
Au signal du moindre danger;
S'aimer d'une amitié sans bornes;
De soi seul emplir sa maison;
En sortir, suivant la saison,

Pour faire à son prochain les cornes ;
Signaler ses pas destructeurs.

Par les traces les plus impures ;
Outrager les plus belles fleurs

Par ses baisers ou ses morsures;
Enfin, chez soi comme en prison,

Vieillir, de jour en jour plus triste;
C'est l'histoire de l'égoïste,
Et celle du colimaçon.

(Fables.)

LEMERCIER.

LEMERCIER (NEPOMUCENÉ-LOUIS) naquit à Paris, en 1771. Il fit représenter, en 1797, Agamemnon, tragédie qui est restée son chefd'œuvre. On lui doit cependant une foule d'ouvrages très distingués, entre lesquels nous citerons les tragédies d'Ophis, de Charlemagne, do Saint-Louis, de Charles VI, de Frédégonde et Brunehaut, la comé

die de Pinto, le poème d'Homère et Alexandre et celui de la Panhypocrisiade. Lemercier, que le beau succès d'Agamemnon aurait dû engager à rester fidèle au langage noble et sévère des écrivains du xviie siècle, contracta des habitudes de style singulières contre lesquelles le public s'éleva avec d'autant plus de raison, qu'elles ouvraient une voie fatale où des écrivains médiocres devaient se hâter d'entrer après lui. La nouvelle langue qui s'est introduite au théâtre procède directement du style dans lequel Lemercier a écrit sa comédie de Richelieu ou la Journée des dupes, et cette poésie brisée, dure, incorrecte et sans rhythme, que le parterre a applaudie un moment, et dont le bon goût a fait prompte justice, n'est que l'exagération de la forme adoptée par Lemercier dans plusieurs de ses ouvrages.

Reçu membre de l'Académie française en 1811, N. Lemercier mourut à Paris en 1840. On lui doit un Cours analytique de littérature générale qui renferme des appréciations critiques dignes d'éloges.

APPARITION DU SPECTRE DE THYESTE À ÆGISthe.

O mon père !... pourquoi ton spectre errant, livide,
Assiège-t-il mes pas ? Il me parle, il me suit,
Sous ce même portique, au milieu de la nuit.
Ne crois pas qu'une erreur, dans le sommeil tracée,
De sa confuse image ait troublé ma pensée ;
Je veillais sous ces murs, où de son souvenir
Ma douleur recueillie osait s'entretenir ;
Le calme qui régnait à cette heure tranquille
Environnait d'effroi ce solitaire asile ;

Mes regards sans objet dans l'ombre étaient fixés ;
Il vint, il m'apparut, les cheveux hérissés,
Pâle, offrant de son sein la cicatrice horrible;
Dans l'une de ses mains brille un acier terrible,
L'autre tient une coupe... ô spectacle odieux !
Souillée encor d'un sang tout fumant à mes yeux.
L'air farouche, et la lèvre à ses bords abreuvée :
66 Prends, dit-il, cette épée à ton bras réservée ;
Voici, voici la coupe où mon frère abhorré
Me présenta le sang de mon fils massacré ;
Fais-y couler le sien que proscrit ma colère,
Et qu'à longs traits encor ma soif s'y désaltère."

Il recule à ces mots, me montrant de la main
Le Tartare profond, dont il suit le chemin.
Le dirai-je sa voix, perçant la nuit obscure,
Ce geste, et cette coupe, et sa large blessure,
Ce front décoloré, ses adieux menaçants...
J'ignore quel prestige égara tous mes sens...
Entraîné sur ses pas vers ces demeures sombres,
Gouffre immense où gémit le peuple errant des ombres,
Vivant, je crus descendre au noir séjour des morts.
Là, jurant et le Styx et les dieux de ses bords,
Et les monstres hideux de ses rives fatales,
Je vis, à la pâleur des torches infernales,
Les trois sœurs de l'enfer irriter leurs serpents,
Le rire d'Alecton accueillir mes serments;
Thyeste les reçut, me tendit son épée,

Et je m'en saisissais, quand à ma main trompée
Le vain spectre échappa poussant d'horribles cris.
Je fuyais... Je ne sais à mes faibles esprits
Quelle flatteuse erreur présenta sa chimère.
Il me sembla monter au trône de mon père;
Que, de sa pourpre auguste héritier glorieux,

Tout un peuple en mon nom brûlait l'encens des dieux;
Je vis la Grèce entière à mon joug enchaînée,
La reine me guidant aux autels d'hyménée,
Et mes fiers ennemis, consternés et tremblants,
Abjurer à mes pieds leurs mépris insolents.

(Agamemnon, act. i, sc. 1.)

BÉRANGER.

BERANGER (PIERRE-JEAN) naquit à Paris, le 17 Août 1780. Ce fut dans une imprimerie qu'il passa ses premières années, et qu'il fit sa première éducation. Entraîné vers la poésie par un penchant irrésistible, il en étudia seul les règles, ou plutôt il les devina. Il composa d'abord des idylles dont la censure impériale arrêta la publication. Ce fut en 1815 que parurent ses premières Chansons : des milliers de copies

qui en avaient été faites les avaient popularisées en Europe long-temps avant que l'auteur les livrât à l'impression. Béranger, comme l'a dit Benjamin-Constant, a fait des odes sublimes en ne croyant faire que des chansons. Dans des poèmes lyriques de fort peu d'étendue, ce poète a toujours su allier avec bonheur le sentiment à la gaieté, la raison sévère et élevée à la satire vive et mordante, la grâce enfin la plus exquise à l'esprit le plus délicat et le plus fin.

Béranger est le créateur de la chanson nationale; et comme il fut sans modèles, il restera sans rivaux.—Aujourd'hui, retiré à Passy, il occupe les heures tranquilles de sa vieillesse à écrire ses mémoires, auxquels il a donné la forme d'un Dictionnaire historique.

LE RETOUR DANS LA PATRIE.

Qu'il va lentement le navire
A qui j'ai confié mon sort!
Au rivage où mon cœur aspire,

Qu'il est lent à trouver un port!

France adorée !

Douce contrée !

Mes yeux cent fois ont cru te découvrir.
Qu'un vent rapide
Soudain nous guide

Aux bords sacrés où je reviens mourir.
Mais enfin le matelot crie;

Terre, terre, là-bas, voyez !

Ah! tous mes maux sont oubliés.

Salut à ma patrie !!

Oui, voilà les rives de France;
Oui, voilà le port vaste et sûr,

Voisin des champs où mon enfance
S'écoula sous un chaume obscur !

France adorée !

Douce contrée !

Après vingt ans enfin je te revois;

De mon village

Je vois la plage,

Je vois fumer la cime de mes toits.

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