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puissant, quelque redoutable que soit un monarque, tout manque à sa gloire, s'il n'a pas l'esprit éminent. Un citoyen obscur, sans biens, qui fait de sa vertu tout son appui, est audessus du conquérant du monde.

Régnez donc, incomparable Princesse, puisque votre génie est supérieur à votre rang, régnez sur l'univers, il est votre domaine; les savants et les gens de bien sont vos sujets. Que les souverains apprennent avec admiration que la fille de Gustave est l'âme des savants et le modèle des rois.

PENSÉES.

Qu'est-ce que l'homme dans la nature ?—Un néant à l'égard de l'infini.

L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. Ainsi toute notre dignité consiste dans la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée. Travaillons donc à bien penser: voilà le principe de la morale.

......Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait le droit de me tuer, parce qu'il demeure au-delà de l'eau, et que son prince a querelle avec le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui?

Toutes les bonnes maximes sont dans le monde, on ne manque qu'à les appliquer.

Condition de l'homme : inconstance, ennui, inquiétude.

Voulez-vous qu' on dise du bien de vous? n'en dites point.

MME DE SÉVIGNÉ.

SÉVIGNÉ (MARIE DE RABUTIN-CHANTAL, marquise de), naquit à Bourbilly, près Semur, le 5 février 1626.

Elle épousa, en 1644, le marquis de Sévigné. Cette femme célèbre eut pour maîtres Ménage et Chapelain, écrivains médiocres, mais grammairiens distingués. Après la mort de son mari, tué en duel en 1651, elle se consacra exclusivement à l'éducation de ses enfants, et vécut long-temps éloignée de la cour. En 1669 elle maria sa fille au comte de Grignan, gouverneur de Provence. Obligée de vivre souvent éloignée de celle à qui elle avait voué toute sa tendresse, madame de Sévigné écrivait chaque jour à sa fille pour tromper les ennuis et les chagrins qu'elle ressentait d'une séparation si cruelle. Ses Lettres, chefs-d'œuvre de grâce, d'esprit et d'éloquence, n'ont été publiées qu'après sa mort. Jamais l'admiration publique ne fut si vivement et si unanimement excitée qu'au moment où elles parurent, et depuis on a épuisé toutes les formes de l'éloge sans pouvoir apprécier dignement ces pages, écrites sous la double inspiration de l'esprit et du cœur.

Madame de Sévigné mourut à Grignan le 18 avril 1696.

A M. DE COULANGES.

Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus digne d'envie; enfin une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste: une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment la pourrait-on croire à Lyon? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde; une chose qui comble de joie madame de Rohan et madame de Hauteville; une chose enfin qui se fera dimanche; où ceux qui la verront croiront avoir la berlue; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi.

Je ne puis me résoudre à vous la dire, devinez-la je vous la donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chiens?

Hé bien! il faut donc vous la dire: M. de Lauzun épouse dimanche, au Louvre, devinez qui? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Madame de Coulanges dit: Voilà qui est bien difficile à deviner! c'est madame de La Vallière.-Point du tout, Madame. C'est donc mademoiselle de Retz?-Point du tout, vous êtes bien provinciale !—Ah, vraiment nous sommes bien bêtes! dites-vous: c'est mademoiselle Colbert.-Encore moins.

C'est assurément mademoiselle de Créqui.Vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin vous la dire. Il épouse dimanche, au Louvre, avec la permission du roi, mademoiselle... mademoiselle... de, devinez le nom; il épouse dimanche Mademoiselle, fille de feu Monsieur; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV; mademoiselle d'Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans; Mademoiselle, cousine germaine du roi; Mademoiselle, destinée au trône; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur.

Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-mêmes, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer; si enfin vous nous dites des injures, nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous; adieu. Les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou non.

"LETTRE À BUSSY RABUTIN.

Je suis venue ici achever les beaux jours, et dire adieu aux feuilles; elles sont encore toutes aux arbres, elles n'ont fait que changer de couleur : au lieu d'être vertes, elles sont aurores, et de tant de sortes d'aurores, que cela compose un brocart d'or riche et magnifique, que nous voulons trouplus beau que du vert, quand ce ne serait que pour changer. Je suis logée à l'hôtel de Carnavalet. C'est une belle et

grande maison; je souhaite d'y être longtemps, car le dé`ménagement m'a beaucoup fatiguée. J'y attends la belle comtesse, qui sera fort aise de savoir que vous l'aimez toujours. J'ai reçu ici votre lettre de Bussy. Vous me parlez fort bien en vérité de Racine et de Despréaux. Le roi leur a dit il y a quatre jours: "Je suis fâché que vous ne soyez venus à cette dernière campagne; vous auriez vu la guerre, et votre voyage n'eût pas été long." Racine lui répondit: "Sire, nous n'avions que des habits de ville, nous en commandâmes de campagne; mais les places que vous attaquiez furent plus tôt prises que nos habits ne furent faits." Cela fut reçu agréablement.

MORT DE VATEL.

Le roi arriva jeudi au soir; la promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à souhait. On soupa; il y eut quelques tables où le rôti manqua, à cause de plusieurs dîners auxquels on ne s'était point attendu. Cela saisit Vatel; il dit plusieurs fois: "Je suis perdu d'honneur; voici une affaire que je ne supporterai pas." Il dit à Gourville: "La tête me tourne; il y a douze nuits que je n'ai dormi: aidez-moi à donner des ordres." Gourville le soulagea en ce qu'il put. Le rôti qui avait manqué, non pas à la table du roi, mais à la vingt-cinquième, lui revenait toujours à l'esprit. Gourville le dit à M. le prince qui alla jusque dans la chambre de Vatel, et lui dit: "Vatel, tout va bien; rien n'était plus beau que le souper du roi." Il répondit: "Monseigneur, votre bonté m'achève; je sais que le rôti a manqué à deux tables.-Point du tout, dit M. le prince, ne vous fâchez point: tout va bien." Minuit vient le feu d'artifice ne réussit point: il fut couvert d'un nuage; il coûtoit seize mille francs. A quatre heures du matin, Vatel s'en va partout; il trouve tout endormi. Il rencontre un petit pourvoyeur, qui lui apportait seulement deux charges de marée. Il lui demande: "Est-ce là tout? -Oui, monsieur." Il ne savait pas que Vatel avait envoyé à tous les ports de mer. Vatel attend quelque temps; les

autres pourvoyeurs ne vinrent point. Sa tête s'échauffait; il crut qu'il n'y aurait point d'autre marée. Il trouva Gourville: il lui dit : " Monsieur, je ne survivrai point à cet affront-ci." Gourville se moqua de lui. Vatel monte à sa chambre, met son épéc contre la porte, et se la passe au travers du cœur ; mais ce ne fut qu'au troisième coup (car il s'en donna deux qui n'étaient pas mortels) qu'il tomba mort. La marée cependant arrive de tous côtés; on cherche Vatel pour la distribuer; on va à sa chambre, on heurte, on enfonce la porte, on le trouve noyé dans son sang. On court à M. le prince, qui fut au désespoir. M. le duc pleura; c'était sur Vatel que tournait tout son voyage de Bourgogne. M. le prince le dit au roi fort tristement. On dit que c'était à force d'avoir de l'honneur à sa manière. On le loua fort; on loua et blâma son courage.

BOSSUET.

BOSSUET (JACQUES-BENIGNE) naquit à Dijon le 27 septembre 1627. Il n'avait que seize ans quand il soutint sa première thèse; il le fit avec tant d'éclat qu'on désira entendre le jeune orateur à l'hôtel Rambouillet; là, en présence des beaux-esprits les plus renommés, il improvisa un sermon qui frappa d'étonnement tous les auditeurs, et fit concevoir des espérances que bientôt il réalisa. Ordonné prêtre en 1652, Bossuet se retira à Metz où il avait obtenu un canonicat. Les affaires du chapitre le forçaient très souvent de faire le voyage de Paris; pendant une de ces excursions, il prêcha l'Avent et le Carême devant la cour, et attira sur lui l'attention de tous les hommes éminents qui furent non moins frappés de la puissance que de l'originalité de son éloquence. Ce fut lui qui convertit Turenne par son Exposition de la doctrine catholique. Nommé en 1669 évêque de Condom, il se démit de son évêché, l'année suivante, afin de se consacrer exclusivement à l'éducation du dauphin, pour lequel il composa le Discours sur l'Histoire universelle. En 1671 l'Académie l'appela à prendre place dans son sein. Lorsque l'éducation du dauphin fut terminée, Louis XIV nomma Bossuet évêque de Meaux.

Les Oraisons funèbres de Bossuet sont un de ses plus beaux titres à l'admiration de la postérité. La Bruyère, devançant le jugement

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