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Vomit sa fange vagabonde,

N'en saurait altérer le cours. . . .

Flatté de plaire aux goûts volages,
L'esprit est le dieu des instants;
Le génie est le dieu des âges,
Lui seul embrasse tous les temps.
Qu'il brûle d'un noble délire
Quand la gloire, autour de sa lyre,
Lui peint les siècles assemblés,
Et leur suffrage vénérable
Fondant son trône inaltérable
Sur les empires écroulés.

Ceux dont le présent est l'idole
Ne laissent point de souvenir :
Dans un succès vain et frivole
Ils ont usé leur avenir.
Amants des roses passagères,
Ils ont les grâces mensongères
Et le sort des rapides fleurs;
Leur plus long règne est d'une aurore :
Mais le temps rajeunit encore

L'antique laurier des neuf sœurs.

Jusques à quand de vils Procustes
Viendront-ils au sacré vallon,
Souillant ces retraites augustes,
Mutiler les fils d'Apollon?
Le croirez-vous, races futures?
J'ai vu Zoïle aux mains impures,
Zoile outrager Montesquieu!
Mais quand la Parque inexorable
Frappa cet homme irréparable,
Nos regrets en firent un dieu.

Quoi! tour à tour dieux et victimes,
Le sort fait marcher les talents
Entre l'Olympe et les abîmes,

Entre la satire et l'encens!

Malheur au mortel qu'on renomme !
Vivant, nous blessons le grand homme;
Mort nous tombons à ses genoux.
On n'aime que la gloire absente:
La mémoire est reconnaissante;
Les yeux sont ingrats et jaloux.

Buffon, dès que, rompant ses voiles
Et fugitive du cercueil,

De ces palais peuplés d'étoiles
Ton âme aura franchi le seuil,
Du sein brillant de l'empyrée
Tu verras la France éplorée
T'offrir des honneurs immortels,
Et Le temps, vengeur légitime,
De l'envie expier le crime,

Et l'enchaîner à tes autels.

* EPIGRAMMES.

SUR LE DICTIONNAIRE DE L'ACADEMIE.

(Odes.)

On fait, défait, refait ce beau dictionnaire,
Qui, toujours très bien fait, sera toujours à faire.

DIALOGUE ENTRE UN PAUVRE POETE ET L'AUTEUR.

On vient de me voler.—Que je plains ton malheur ! Tous mes vers manuscrits—Que je plains le voleur!

Chloé, belle et poète, a deux petits travers :
Elle fait son visage et ne fait point ses vers.

En prose, en vers Lubin compose,
Et je ne sais par quel travers
Il met trop de vers dans sa prose,

Et trop de prose dans ses vers.

DUCIS.

DUCIS (JEAN-FRANÇOIS) naquit à Versailles le 14 aout 1733. I avait trente ans lorsqu'il donna au théâtre Amélise, sa première tragédie. Cet ouvrage n'annonçait pas le talent dont il fit preuve dans la suite. Ducis s'éleva en effet jusqu'à la hauteur de la véritable tragédie dans un grand nombre de scènes d'Hamlet, de Roméo et Juliette, du Roi Léar, de Macbeth et d'Othello, pièces imitées de Shakspeare; Œdipe chez Admète, tragédie imitée de Sophocle, est remarquable surtout par la manière large et profonde dont le poète français a tracé le personnage d'Edipe. Ducis a donné une tragédie pleine d'intérêt et qui lui appartient tout entière, c'est Abufar, ou la Famille arabe. Il a publié des poésies fugitives pleines de grâce et de naïveté, et qui toutes portent l'empreinte d'une âme forte et indépendante.

Thomas, son ami, l'appelait le Bridaine de la tragédie.

Ducis, qui avait succédé, comme membre de l'Académie française, à Voltaire, mourut à Versailles dans les premiers jours de janvier 1817.

MONOLOGUE D'HAMLET.

Quoi! ce vil Claudius a donc eu la constance
De voir son propre crime avec indifférence,

Sans remords, sans terreur, comme un crime étranger!
Son cœur n'a pu gémir, son front n'a pu changer!
S'ils étaient innocents! Non, l'ombre de mon père,
Exprès pour m'égarer n'eût point percé la terre.
Si mon esprit pourtant n'eût cru, n'eût adopté
Qu'un mensonge effrayant par lui-même enfanté !
Si mes sens m'abusaient! si cette main fumante
Offrait au ciel le sang d'une mère innocente !...

Je ne sais que résoudre : immobile et troublé,
C'est trop souffrir long-temps de mon doute accablé,
C'est trop souffrir la vie et le poids qui me tue.
Eh! qu'offre donc la mort à mon âme abattue?
Un asile assuré, le plus doux des chemins,
Qui conduit au repos les malheureux humains.
Mourons! que craindre encor quand on a cessé d'être ?
La mort, c'est le sommeil... c'est le réveil peut-être !

Peut-être... Ah! c'est ce mot qui glace épouvanté
L'homme au bord du cercueil par le doute arrêté ;
Devant ce vaste abîme il se jette en arrière,
Ressaisit l'existence, et s'attache à la terre.
Dans nos troubles pressants qui peut nous avertir
Des secrets de ce monde où tout va s'engloutir?
Sans l'effroi qu'il inspire et la terreur sacrée
Qui défend son passage, et siège à son entrée,
Combien de malheureux iraient, dans le tombeau,
De leurs longues douleurs déposer le fardeau !
Ah! que ce port souvent est vu d'un œil d'envie
Par le faible, agité sur les flots de la vie !
Mais il craint dans ses maux, au-delà du trépas,
Des maux plus grands encore, et qu'il ne connaît
Redoutable avenir, tu glaces mon courage!
Va, laisse à ma douleur achever son ouvrage.

pas.

(Hamlet, act. IV. sc. 1.)

VISION DE MACBETH.

C'était l'heure fatale où le jour qui s'enfuit
Appelle avec effroi les erreurs de la nuit,

L'heure où souvent trompés nos esprits s'épouvantent.
Près d'un chêne enflammé devant moi se présentent
Trois femmes. Quel aspect! Non, l'œil humain jamais
Ne vit d'air plus affreux, de plus difformes traits.
Leur front sauvage et dur, flétri par la vieillesse,
Exprimait par degrés leur féroce allégresse.
Dans les flancs entr'ouverts d'un enfant égorge,
Pour consulter le sort, leur bras s'était plongé.
Ces trois spectres sanglants, courbés sur leur victime,
Y cherchaient et l'indice et l'espoir d'un grand crime;
Et ce grand crime enfin se montrant à leurs yeux,
Par un chant sacrilége ils rendaient grâce aux dieux.
Etonné, je m'avance. "Existez-vous, leur dis-je,
Ou bien ne m'offrez-vous qu'un effrayant prestige ?"
Par des mots inconnus ces êtres monstrueux

S'appelaient tour à tour, s'applaudissaient entre eux,

;

S'approchaient, me montraient avec un ris farouche;
Leur doigt mystérieux se posait sur leur bouche.
Je leur parle, et dans l'ombre ils s'échappent soudain,
L'un avec un poignard, l'autre un sceptre à la main
L'autre d'un long serpent serrait le corps
livide :
Tous trois vers ce palais ont pris un vol rapide,
Et tous trois dans les airs, en fuyant loin de moi,
M'ont laissé pour adieux ces mots, "Tu seras roi.”
Ma langue s'est glacée.

Un exécrable espoir entrait dans ma pensée.
Si loin du trône encor, comment y parvenir!
Je n'osais sans trembler regarder l'avenir.

Enfin dans mes exploits, dans ma propre innocence,
Ma timide vertu trouvait quelque assurance.
Je cherchais dans moi-même un secret défenseur,
Et déjà du repos je goûtais la douceur :

A l'instant j'ai senti, sous ma main dégouttante,
Un corps meurtri, du sang, une chair palpitante:
C'était moi, dans la nuit, sur un lit ténébreux,
Qui perçais à grands coups un vieillard malheureux.
(Macbeth, act. II, sc. 6.)

DELILLE.

DELILLE (JACQUES) naquit à Aigue-Perse (Auvergne), le 22 juin 1738. Après avoir fait de brillantes études au collège de Lisieux, il fut obligé d'accepter les modestes fonctions de maître élémentaire au collége de Beauvais, puis il passa en qualité de professeur d'humanités au collége d'Amiens. C'est dans cette ville qu'il commença la traduction des Géorgiques. Nommé professeur à Paris au collége de la Marche, il y acheva cet ouvrage, dont la publication fut une sorte d'événement littéraire. Voltaire, frappé d'étonnement et d'admiration, écrivit aussitôt à l'Académie pour l'engager à réunir ses suffrages sur un poète qui s'annonçait par un début si éclatant. Les Jardins, l'Imagination, l'Homme des champs, les Trois Règnes, la Pitié, poèmes descriptifs dans lesquels Delille a déployé tout le luxe des formes et des images poétiques, ont été moins favorablement accueillis d'abord. En rendant

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