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SONGE DE THYESTE.

Sauvez-moi, par pitié, de ces bords dangereux;
Du soleil à regret j'y revois la lumière ;
Malgré moi le sommeil y ferme ma paupière.
De mes ennuis secrets rien n'arrête le cours :
Tout à de tristes nuits joint de plus tristes jours.
Une voix, dont en vain je cherche à me défendre,
Jusqu'au fond de mon cœur semble se faire entendre:
J'en suis épouvanté. Les songes de la nuit
Ne se dissipent point par le jour qui les suit:
Malgré ma fermeté, d'infortunés présages
Asservissent mon âme à ces vaines images.
Cette nuit même encor, j'ai senti dans mon cœur
Tout ce que peut un songe inspirer de terreur.
Près de ces noirs détours que la rive infernale
Forme à replis divers dans cette île fatale,
J'ai cru long-temps errer parmi des cris affreux
Que des mânes plaintifs poussaient jusques aux cieux.
Parmi ces tristes voix, sur ce rivage sombre,

J'ai cru d'Ærope en pleurs entendre gémir l'ombre;
Bien plus, j'ai cru la voir s'avancer jusqu'à moi,
Mais dans un appareil qui me glaçait d'effroi :
"Quoi! tu peux t'arrêter dans ce séjour funeste!
Suis-moi, m'a-t-elle dit, infortuné Thyeste."
Le spectre, à la lueur d'un pâle et noir flambeau,
A ces mots m'a traîné jusque sur son tombeau.
J'ai frémi d'y trouver le redoutable Atrée,
Le geste menaçant et la vue égarée,

Plus terrible pour moi, dans ces cruels moments,
Que le tombeau, le spectre et ses gémissements.
J'ai cru voir le barbare entouré des Furies;
Un glaive encor fumant armait ses mains impies;
Et, sans être attendri de ses cris douloureux,
Il semblait dans son sang plonger un malheureux.
Ærope, à cet aspect, plaintive et désolée,

De ses lambeaux sanglants à mes yeux s'est voilée.

Alors j'ai fait pour fuir des efforts impuissants;
L'horreur a suspendu l'usage de mes sens.
A mille affreux objets l'âme entière livrée,
La frayeur m'a jeté sans force aux pieds d'Atrée.
Le cruel, d'une main, semblait m'ouvrir le flanc,
Et de l'autre, à longs traits, m'abreuver de mon sang ;
Le flambeau s'est éteint, l'ombre a percé la terre,

Et le songe a fini par un coup de tonnerre

(Atrée et Thyeste, act. II, sc. 2.)

PIRON.

PIRON (ALEXIS) naquit à Dijon en 1689. Il fit jouer plusieurs petites pièces sur les théâtres secondaires avant d'aborder la scène qu'il devait enrichir d'un chef-d'œuvre. Il donna au Théâtre-Français les comédies de l'Ecole des pères et de la Métromanie, et les tragédies de Callisthène, de Gustave et de Fernand Cortez. Piron fut élu par l'Académie française à une grande majorité; mais Louis XV refusa de sanctionner sa nomination. La Métromanie, un grand nombre d'épigrammes excellentes, et quelques pièces fugitives pleines de talent et d'originalité, sont des titres durables sur lesquels sa réputation est établie. Piron mourut le 21 janvier 1773.

LE MÉTROMANE.

Ce mélange de gloire et de gain m'importune;
On doit tout à l'honneur, et rien à la fortune.
Le nourrisson du Pinde, ainsi que le guerrier,
A tout l'or du Pérou préfère un beau laurier.
L'avocat se peut-il égaler au poète ?

De ce dernier la gloire est durable et complète.
Il vit long-temps après que l'autre a disparu :
Scarron même l'emporte aujourd'hui sur Patru.
Vous parlez du barreau de la Grèce et de Rome;
Lieux propres autrefois à produire un grand homme!
L'encre de la chicane, et sa barbare voix,
N'y défigurait pas l'éloquence et les lois.

Que des traces du monstre on purge la tribune,
J'y monte; et mes talents, voués à la fortune,
Jusqu'à la prose encor voudront bien déroger;
Mais l'abus ne pouvant sitôt se corriger,

Qu'on me laisse à mon gré, n'aspirant qu'à la gloire,
Des titres du Parnasse ennoblir ma mémoire,
Et primer dans un art plus au-dessus du droit,
Plus grave, plus sensé, plus noble qu'on ne croit.
La fraude impunément, dans le siècle où nous sommes,
Foule aux pieds l'équité, si précieuse aux hommes:
Est-il pour un esprit solide et généreux,

Une cause plus belle à plaider devant eux ?
Que la fortune donc me soit mère ou marâtre,
C'en est fait pour barreau je choisis le théâtre,
Pour client la vertu, pour loi la vérité,

Et pour juges mon siècle et la postérité.
Infortuné! je touche à mon cinquième lustre,
Sans avoir publié rien qui me rende illustre !
On m'ignore; et je rampe encore, à l'âge heureux
Où Corneille et Racine étaient déjà fameux!
Ils ont dit, il est vrai, presque tout ce qu'on pense;
Leurs écrits sont des vols qu'ils nous ont faits d'avance.
Mais le remède est simple; il faut faire comme eux:
Ils nous ont dérobé, dérobons nos neveux;
Et, tarissant la source où puise un beau délire,
A tous nos successeurs ne laissons rien à dire.
Un démon triomphant m'élève à cet emploi:
-Malheur aux écrivains qui viendront après moi !
(La Métromanie, act. III, sc. 7.)

* MORALITÉ.

Travaille sans songer au gain,
Ne sois intéressé ni vain ;
Aime, ne hais, ni ne dédaigne :

Sois sobre et gai; bois de bon vin:
Ta vie arrivée à la fin

Aura valu plus qu'un long règne.

(Poésies diverses.)

EPITAPHE DE PIRON, COMPOSÉE PAR LUI-MÊME.

Ci-gît Piron, qui ne fut rien,

Pas même académicien !

(Epigrammes.)

L. RACINE.

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RACINE (LOUIS) naquit à Paris le 6 novembre 1692. Il eut Rollin pour professeur. Boileau, qui ne croyait pas à la succession du talent poétique, s'efforça de le détourner de la carrière des lettres ; mais Louis Racine cédant à son penchant, composa dans le couvent des frères de l'Oratoire de Notre-Dame-des-Vertus où il s'était retiré, son poème de la Grâce, qui parut en 1720. Le succès de ce premier ouvrage lui fit abandonner sa retraite ; le cardinal de Fleury lui procura dans les finances un poste lucratif, et lui fournit ainsi les moyens de se livrer sans inquiétude à ses goûts littéraires. Le poème de la Religion, qu'il publia en 1742, est l'œuvre sur laquelle est fondée sa réputation. Cet ouvrage renferme de nombreux passages dont le style pur, noble et harmonieux prouve que Louis Racine était non seulement un habile écrivain, mais encore un grand poète. La monotonie de cette belle composition peut être imputée en partie à la sévérité du sujet.

Louis Racine mourut d'une attaque d'apoplexie le 29 janvier 1763.

PREUVES PHYSIQUES DE L'EXISTENCE DE DIEU.

Oui, c'est un Dieu caché que le Dieu qu'il faut croire;
Mais, tout caché qu'il est, pour révéler sa gloire,
Quels témoins éclatants devant moi rassemblés !
Répondez, cieux et mers; et vous, terre, parlez.
Quel bras peut vous suspendre, innombrables étoiles?
Nuit brillante, dis-nous qui t'a donné tes voiles?
O cieux, que de grandeur, et quelle majesté !
J'y reconnais un maître à qui rien n'a coûté,
Et qui dans vos déserts a semé la lumière,
Ainsi que dans nos champs il sème la poussière.

Toi qu'annonce l'aurore, admirable flambeau,
Astre toujours le même, astre toujours nouveau,
Par quel ordre, ô soleil, veins-tu du sein de l'onde
Nous rendre les rayons de ta clarté féconde ?

Tous les jours je t'attends, tu reviens tous les jours:
Est-ce moi qui t'appelle et qui règle ton cours?
Et toi, dont le courroux veut engloutir la terre,
Mer terrible, en ton lit quelle main te resserre ?
Pour forcer ta prison tu fais de vains efforts;
La rage de tes flots expire sur tes bords.
Fais sentir ta vengeance à ceux dont l'avarice
Sur ton perfide sein va chercher son supplice.
Hélas! prêts à périr, t'adressent-ils leurs vœux ?
Ils regardent le ciel, secours des malheureux.
La nature, qui parle en ce péril extrême,
Leur fait lever les mains vers l'asile suprême;
Hommage que toujours rend un cœur effrayé
Au Dieu que jusqu'alors il avait oublié.

(La Religion, chant 1.)

VOLTAIRE.

VOLTAIRE (FRANÇOIS-MARIE AROUET DE) naquit à Châtenay, près de Sceaux, le 20 février 1694. Il changea à vingt ans son nom d'Arouet contre celui de Voltaire, pour voir disait-il, s'il lui réussirait mieux. La popularité que ce nom a acquise a certainement dépassé l'espérance qu'avait pu concevoir celui qui le choisit.

Poèmes, tragédies, satires, épîtres, poésies lègères, contes, épigrammes, histoire, philosophie, romans, critique, enfin tous les genres littéraires les plus divers et les plus opposés semblent avoir été le domaine de cet esprit universel qui a produit presque autant de chefs-d'œuvre que d'ouvrages. La Henriade, Edipe, Zaire, Alzïre, Mahomet, Mérope, le Temple du goût, etc., sont des œuvres admirables qui assurent à Voltaire, sinon la première place, du moins un rang très distingué parmi nos plus grands poètes; aucun écrivain n'a eu sur son siècle une influence aussi grande que celle qu'a exercée Voltaire sur le sien, et l'on peut dire que pendant cinquante ans les hommes les plus distingués ont abdiqué leurs propres opinions pour assurer le triomphe de celles qu'il voulait faire prévaloir.

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