Page images
PDF
EPUB

Quand je vois de tes murs leur armée et la nôtre,

Mes trois frères dans l'une, et mon mari dans l'autre, Puis-je former des vœux, et sans impiété

Importuner le ciel pour ta félicité ?

Je sais que ton État, encore en sa naissance,

Ne saurait, sans la guerre, affermir sa puissance;
Je sais qu'il doit s'accroître, et que tes grands destins
Ne le borneront pas chez les peuples latins;
Que les dieux t'ont promis l'empire de la terre,
Et que tu n'en peux voir l'effet que par la guerre ;
Bien loin de m'opposer à cette noble ardeur
Qui suit l'arrêt des dieux et court à ta grandeur,
Je voudrais déjà voir tes troupes couronnées,
D'un pas victorieux franchir les Pyrénées.
Va jusqu'en l'Orient pousser tes bataillons,
Va sur les bords du Rhin planter tes pavillons,
Fais trembler sous tes pas les colonnes d'Hercule,
Mais respecte une ville à qui tu dois Romule.
Ingrate, souviens-toi que du sang de ses rois,
Tu tiens ton nom, tes murs, et tes premières lois.
Albe est ton origine; arrête et considère
Que tu portes le fer dans le sein de ta mère.
Tourne ailleurs les efforts de tes bras triomphants;
Sa joie éclatera dans l'heur de ses enfants,
Et, se laissant ravir à l'amour maternelle,
Ses vœux seront pour toi, si tu n'es plus contre elle.
(Horace, act. 1. sc. 1.)

AUGUSTE RAPPELLE À CINNA SES BIENFAITS.

Tu vois le jour, Cinna, mais ceux dont tu le tiens
Furent les ennemis de mon père et les miens.
Au milieu de leur camp tu reçus la naissance;
Et lorsqu'après leur mort tu vins en ma puissance,
Leur haine, enracinée au milieu de ton sein,
T'avait mis contre moi les armes à la main;
Tu fus mon ennemi même avant que de naître,
Et tu le fus encor quand tu pus me connaître,

Et l'inclination jamais n'a démenti

Ce sang qui t'avait fait du contraire parti.
Autant que tu l'as pu les effets l'ont suivie;
Je ne m'en suis vengé qu'en te donnant la vie.
Je te fis prisonnier pour te combler de biens :
Ma cour fut ta prison, mes faveurs tes liens;
Je te restituai d'abord ton patrimoine ;
Je t'enrichis après des dépouilles d'Antoine;
Et tu sais que, depuis, à chaque occasion
Je suis tombé pour toi dans la profusion;
Toutes les dignités que tu m'as demandées,
Je te les ai sur l'heure et sans peine accordées;
Je t'ai préféré même à ceux dont les parents
Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs;
A ceux qui de leur sang m'ont acheté l'empire,
Et qui m'ont conservé le jour que je respire;
De la façon enfin qu'avec toi j'ai vécu,

Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.
Quand le ciel me voulut, en rappelant Mécène,
Après tant de faveurs montrer un peu de haine,
Je te donnai sa place en ce triste accident,
Et te fis après lui mon plus cher confident.
Aujourd'hui même encor, mon âme irrésolue
Me pressant de quitter ma puissance absolue,
De Maxime et de toi j'ai pris les seuls avis,
Et ce sont, malgré lui, les tiens que j'ai suivis.
Bien plus, ce même jour je te donne Emilie,
Le digne objet des vœux de toute l'Italie,

Et qu'ont mise si haut mon amour et mes soins,
Qu'en te couronnant roi je t'aurais donné moins.
Tu t'en souviens, Cinna, tant d'heur et tant de gloire
Ne peuvent pas sortir si tôt de ta mémoire ;
Mais ce qu'on ne pourrait jamais s'imaginer,
Cinna, tu t'en souviens... et veux m'assassiner.

Tu veux m'assassiner, demain, au Capitole,
Pendant le sacrifice; et ta main,
pour signal,
Me doit, au lieu d'encens, donner le coup fatal.

La moitié de tes gens doit occuper la porte,
L'autre moitié te suivre et te prêter main-forte.
Ai-je de bons avis, ou de mauvais soupçons ?
De tous ces meurtriers te dirai-je les noms ?
Procule, Glabrion, Virginian, Rutile,
Marcel, Plaute, Lénas, Pompone, Albin, Icile,
Maxime, qu'après toi j'avais le plus aimé ;
Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé:
Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes,
Que pressent de mes lois les ordres légitimes,
Et qui, désespérant de les plus éviter,

Si tout n'est renversé ne sauraient subsister.
Tu te tais maintenant et gardes le silence,
Plus par confusion que par obéissance.
Quel était ton dessein et que prétendais-tu,
Après m'avoir, au temple, à tes pieds abattu?
Affranchir ton pays d'un pouvoir monarchique!
Si j'ai bien entendu tantôt ta politique,
Son salut désormais dépend d'un souverain
Qui pour tout conserver tienne tout en sa main ;
Et si sa liberté te faisait entreprendre,
Tu ne m'eusses jamais empêché de la rendre ;
Tu l'aurais acceptée au nom de tout l'Etat,
Sans vouloir l'acquérir par un assassinat.
Quel était donc ton but? d'y régner en ma place?
D'un étrange malheur son destin le menace,
Si pour monter au trône et lui donner la loi
Tu ne trouves dans Rome autre obstacle que moi;
Si jusques à ce point son sort est déplorable
Que tu sois après moi le plus.considérable,
Et que ce grand fardeau de l'empire romain

Ne puisse, après ma mort, tomber mieux qu'en ta main.
Apprends à te connaître, et descends en toi-même.
On t'honore dans Rome, on te courtise, on t'aime ;
Chacun tremble sous toi, chacun t'offre des vœux;
Ta fortune est bien haut, tu peux ce que tu veux;
Mais tu ferais pitié même à ceux qu'elle irrite,
Si je t'abandonnais à ton peu de mérite.

Ose me démentir: dis-moi ce que tu vaux;
Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux,
Les rares qualités par où tu m'as dû plaire,
Et tout ce qui t'élève au-dessus du vulgaire.
Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient,
Elle seule t'élève, et seule te soutient;

C'est elle qu'on adore, et non pas ta personne ;
Tu n'as crédit ni rang qu'autant qu'elle t'en donne ;
Et pour te faire choir je n'aurais aujourd'hui
Qu'à retirer la main qui seule est ton appui.
J'aime mieux toutefois céder à ton envie :
Règne, si tu le peux, aux dépens de ma vie.
Mais oses-tu penser que les Serviliens,
Les Cosses, les Métels, les Pauls, les Fabiens,
Et tant d'autres enfin, de qui les grands courages
Des héros de leur sang sont les vives images,
Quittent le noble orgueil d'un sang si généreux
Jusqu'à pouvoir souffrir que tu règnes sur eux ?

(Cinna, act v, sc. 1.)

ROTROU.

ROTROU (JEAN) naquit à Dreux en 1609. Son premier ouvrage, l'Hypocondriaque, ou lo Mort amoureux, fut donné en 1628, c'est-àdire trois ans après Mélite : Corneille l'a donc précédé dans la carrière, et ne s'est pas engagé, comme l'ont dit quelques écrivains, dans une route que Rotrou lui avait frayée. Ce poète, qui se montra en tout temps le noble émule de Corneille, rendit jusque sur la scène hommage au génie de l'auteur du Cid. Dans le Véritable Saint-Genest, tragédie représentée en 1646, l'empereur demandant quels sont les meilleurs ouvrages dramatiques, Saint-Genest répond: Ces ouvrages

Portent les noms fameux de Pompée et d'Auguste.

Dans la ligue formée par Richelieu contre Corneille, Rotrou, quoique pensionnaire du cardinal, refusa de se joindre aux détracteurs du Cid. Des trente-trois pièces qu'il a composées, la tragédie de Venceslas (1647) est la seule qui soit restée à la scène.

Rotrou, atteint d'une maladie contagieuse qui ravageait Dreux, mourut le 27 juin 1650, victime de son dévouement à ses concitoyens.

DIEU.

C'est Dieu qui du néant a tiré l'univers ;
C'est lui qui sur la terre a répandu les mers;
Qui de l'air étendit les humides contrées;
Qui sema de brillants les voûtes azurées,
Qui fit naître la guerre entre les éléments,
Et qui régla des cieux les divers mouvements.
La terre à son pouvoir rend un muet hommage;
Les rois sont ses sujets, le monde est son partage.
Si l'onde est agitée, il la peut affermir;

S'il querelle les vents, ils n'osent plus frémir;
S'il commande au soleil, il arrête sa course;
Il est maître de tout, comme il en est la source.
Tout subsiste par lui, sans lui rien n'eût été,
Et lui seul des mortels est la félicité.

(Poésies diverses.)

MOLIÈRE.

POQUELIN (JEAN-BAPTISTE) naquit à Paris le 15 janvier 1622, dans une maison de la rue Saint-Honoré. Il s'associa fort jeune à quelques bourgeois qui avaient formé une troupe de comédiens sous le nom d'Illustre théâtre. Le public les ayant accueillis avec peu de faveur, ils se dispersèrent, et Poquelin, qui prit alors le nom de MOLIERE, forma une nouvelle troupe avec laquelle il parcourut quelque temps la province. Ce fut à Lyon qu'il donna pour la première fois, en 1653, l'Etourdi, et à Béziers qu'il fit jouer, en 1654, le Dépit amoureux. Ces deux ouvrages ne furent représentés à Paris qu'en 1658, époque où Molière y revint. Sa troupe, établie d'abord au Petit-Bourbon, et installée définitivement au Palais-Royal, prit, en 1665, le titre de Troupe du roi. Les Précieuses ridicules, jouées en 1659, eurent une vogue qui se soutint pendant quatre mois entiers. L'Ecole des maris et les Fâcheux en 1661, l'Ecole des femmes (1662), le Festin de Pierre (1665), le Misanthrope (1666), le Tartuffe et l'Avare (1667), Amphitryon (1668), et les Femmes savantes (1672), présentèrent au public une série d'ouvrages étincelants de beautés si neuves et si origi

« PreviousContinue »