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s'étaient attiré l'animadversion générale par les excès de leur fureur et de leur vengeance. Outre la troupe soldée qui se tenait prête à donner, on avait, comme nous l'avons dit, fourni des armes aux patriotes; ils furent enrégimentés et formèrent un bataillon sacré, que l'on mit sous les ordres du général Berruyer. Cet acte de la Convention faillit lui coûter cher. Beaucoup de citoyens avaient refusé de marcher lorsque les agitateurs des sections les avaient harangués; mais dès qu'on leur eût dit que les représentans organisaient des bandes de terroristes, ils coururent aux sections. Les négocians, se rappelant leurs pertes et leurs souffrances, et attribuant aux hommes seuls le mal qui venait surtout des circonstances, voyaient dans les patriotes des ennemis personnels et se distinguaient par un zèle imprudent et coupable. Ce zèle inattendu accrut singulièrement les espérances des rebelles prêts à lever l'étendard. D'ailleurs, le général qui se trouvait à la tête des forces conventionnelles leur inspirait peu de crainte. Brave de sa personne, Menou s'était montré assez résolu contre les Vendéens; mais on savait que la même fermeté ne le soutiendrait pas lorsqu'il aurait à combattre non plus des hommes marchant sous le drapeau blanc, mais toute la brillante jeunesse sur laquelle reposaient les espérances de la grande réaction, dont il partageait les principes avec une certaine modération qui tenait à la nature de son esprit et de son caractère. Cependant il n'y avait plus à tergiverser, il fallait que la Convention ou se retirât, ou triomphât de la résistance qu'elle rencontrait dans Paris.

Le 12 vendémiaire, Menou reçut l'ordre de marcher sur le couvent des Filles-Saint-Thomas, où siégeait la section qui avait pris les armes avec plus d'audace. Menou mit ses colonnes en marche quand déjà la journée était fort avancée; il traînait de l'artillerie après lui. Au lieu d'aborder vivement le lieu où délibérait la section, il amoncela

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ses troupes dans la rue Vivienne, et commença à parlementer secrètement avec les ennemis. Ceux-ci continuaient à répandre des proclamations, à faire battre la générale. Reprenant enfin un peu d'énergie, Menou plaça ses canons devant la porte du couvent, qui se trouvait bâti sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui la Bourse. Le général, avec le député Laporte, entra dans la salle de réunion des membres de la section, qu'ils trouvèrent armés et rangés sur une ligne, ayant à leur tête le président Delalot. Laporte somma les sectionnaires de rendre leurs armes; ils refusèrent avec énergie. Menou, au lieu d'agir, faiblit encore, et une capitulation fut signée entre les rebelles et les chefs des forces de la Convention. On promit d'une part que les soldats se retireraient, et de l'autre que la séance de la section serait levée le soir même. A cette heure, la Convention put se croire perdue, car ses troupes reculaient devant les sections fières de ce premier succès qui, dans les luttes civiles, entraîne presque toujours la victoire. En effet, la section Lepelletier, dès que Menou eut replié ses colonnes, rentra en séance, et, comme l'on devait s'y attendre, reprit le cours de ses déclamations et de sa révolte contre la représentation nationale. Celleci ayant été informée de la honteuse capitulation et de ses conséquences, plusieurs membres s'écrièrent que Menou trahissait, et qu'il fallait le mander à la barre. On se contenta d'appeler les comités pour qu'ils eussent à rendre compte des événemens qui venaient de se passer, et des moyens d'en prévenir les fâcheux résultats. On voulut d'abord faire arrêter Menou; mais on pensa sagement qu'il serait toujours temps de prendre ce parti après la victoire, qu'il valait mieux pourvoir à la nomination d'un homme capable de faire triompher la cause de la loi. Les comités songèrent à Barras, qui, en acceptant la mission offerte, demanda pour second un jeune officier, général de brigade, maltraité par le réacteur Au

bry. Cet officier était celui auquel on devait en grande partie la reprise de Toulon.

Bonaparte, que je vis monter à cheval dans la cour des Tuileries, était d'une taille frèle et petite; son corps semblait raide et sans grâce; il avait la figure maigre, le teint pâle; de longs cheveux pendant des deux côtés de son visage, lui donnaient un air inculte et négligé; son front était pensif et sévère; ses yeux, lorsqu'on le regardait attentivement, lançaient de vifs éclairs que la vue avait peine à soutenir; quelque chose de mécontent régnait dans toute sa personne, et rien de son extérieur n'annonçait le grand homme. Connu de Barras, qui l'avait vu dans la société de madame Tallien, il venait d'être remis en activité de service, et le 12 vendémiaire, il se trouvait chargé de la rédaction des dépêches du comité de la guerre. Les membres du gouvernement se présentèrent dans la nuit pour annoncer à la Convention les deux choix qu'ils avaient faits, et qu'elle se hâta de sanc

tionner.

Vers la pointe du jour, Fréron courut à la section des Quinze-vingts, pour chercher à ranimer le zèle du faubourg Saint-Antoine, qui se montra assez disposé à oublier le passé. Bonaparte, instruit de cette bonne volonté, envoya sur-le-champ des caisses d'armes aux patriotes du faubourg, et prit toutes les autres dispositions nécessaires pour défendre victorieusement la représentation nationale. L'initiative des hostilités lui était interdite; il devait attendre l'attaque, car, depuis la retraite si maladroite de Menou, les choses avaient, dans les sections, changé complétement d'aspect du côté des rebelles : ils avaient pris de l'audace. Un comité central d'opérations militaires s'était formé. La section Lepelletier, présidée par le journaliste Richer - Serizy, avait osé mettre hors la loi les comités du gouvenement, et créer une sorte de tribunal révolutionnaire destiné à juger ceux qui s'opposeraient

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au peuple dont on invoquait le nom. Le comte de Maulevrier, un émigré rentré, nommé Lafond, les généraux Duhoux et Danican, vinrent offrir de se mettre à la tête des bataillons sectionnaires, qui, malheureusement pour leur cause, donnèrent la préférence à un étourdi comme Danican. Bonaparte, de son côté, après avoir reçu le décret de la Convention et les pleins pouvoirs de Barras, s'était hâté d'appeler quelques forces au secours du petit nombre de défenseurs demeurés fidèles à l'assemblée. Par ses ordres, le chef d'escadron Murat était allé, avec trois cents cavaliers, au camp des Sablons, chercher le parc d'artillerie, qui aurait pu causer tant de mal entre les mains des révoltés. Le futur roi de Naples fit une diligence extrême, et déjà il était maître des pièces, lorsqu'un bataillon sectionnaire se présenta pour s'en saisir. Un engagement aurait pu avoir lieu ; de part et d'autre, on s'évita: Murat conduisit le parc aux Tuileries, où se trouvaient déjà les quinze cents patriotes qui étaient venus prendre les armes pour la défense de la Convention.

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Bonaparte plaça ses troupes et son canon à toutes les issues des Tuileries, au Pont-Neuf, au Pont-Royal, au pont de la Révolution, à la place Vendôme, à l'Impasse Dauphin, dans les rues de l'Échelle et de Rohan. Il ordonna de s'emparer de tous les vivres qui se trouvaient chez les marchands de comestibles, et de les apporter aux Tuileries. Il fit aussi établir une ambulance pour les blessés; en même temps, on occupa la route de Saint-Germain pour intercepter toute l'artillerie qui pourrait arriver aux révoltés; et les hauteurs de Meudon furent garnies de troupes qui devaient protéger la retraite de la Convention en cas de revers.

Les rebelles, de leur côté, se disposaient à prendre l'offensive ; ils étaient près de trente mille, et semblaient pouvoir compter sur une victoire facile et complète. Les sections de la rive gauche avaient l'ordre d'enlever les

ponts et d'attaquer les Tuileries par les quais, tandis que les sections de la rive droite déboucheraient par toutes les issues qui mènent de la rue Saint-Honoré au Palais-National. Les forces conventionnelles ainsi enveloppées, les insurgés ne doutaient pas de les voir poser les armes. Bonaparte fut heureux de cette résolution de ses adversaires; il craignait, au lieu d'une attaque générale et par masse, une guerre de tirailleurs dans laquelle tout l'avantage eût été aux révoltés qui, de chaque coin de rue, de chaque maison, de chaque fenêtre, de chaque porte, auraient pu détruire sa petite armée presque sans courir aucun danger.

Dans la matinée du 13, les insurgés obtinrent quelque avantage. Des armes envoyées à la section des QuinzeVingts furent enlevées par la section Poissonnière, tandis que le jeune Lafond s'emparait du Pont-Neuf, que le général Carteaux n'avait pas voulu défendre pour ne point engager la lutte. Ce chef s'était replié, avec ses quatre cents soldats et ses quatre pièces de canon, sur le quai du Louvre.

Danican, voulant éviter un combat, quoiqu'il en crût le succès assuré, essaya de décider la Convention à capituler. A cet effet, un parlementaire se présenta de sa part à Barras et à Bonaparte; ceux-ci déclarèrent qu'il ne leur appartenait pas d'ouvrir des conférences, et renvoyèrent le sectionnaire devant les comités réunis. Le négociateur demanda le rapport des décrets de fructidor, cause apparente de tout le mouvement, et le désarmement des patriotes, ce qui équivalait, pour la Convention, à un arrêt de mort. C'était déjà un tort d'écouter de semblables propositions. Quoi qu'il en soit, les comités voulaient aussi faire preuve du désir d'éviter une collision; et tout en repoussant les insolentes prétentions, ils envoyèrent vingt-quatre députés pour fraterniser avec les sections. On se rappelait que ce moyen avait déjà tiré la

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