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conséquence il adressa, dans le courant de janvier, une nouvelle note à Clarke qui l'autorisait à signer la paix à condition que l'empereur renoncerait à la Belgique et au pays de Luxembourg; 2° qu'il reconnaîtrait comme territoire de la république Liége et les autres petits enclaves qui avaient été faits; 3o qu'il promettrait d'user de son influence pour faire donner en Allemagne une indemnité au stathouder; 40 que, de son côté, la république restitucrait à l'Autriche tous ses états d'Italie. Ces propositions ne furent heureusement pas acceptées. Bientôt l'épéo victorieuse de Bonaparte fera une plus large part à la domination de la république.

Avant de continuer le récit des mouvemens militaires, il nous reste à raconter quelques événemens de l'intérieur, que la rapidité de nos triomphes en Italie nous a empêché de pouvoir faire connaître. Nous avons laissé Babeuf et ses coaccusés déclarés justiciables d'une hautecour, à cause de la complicité présumée de Drouet, qui, ainsi que nous l'avons dit, était parvenu à s'enfuir de sa prison. Les procédures devant la haute-cour commencèrent en vendémiaire an V (octobre 96). Babeuf débuta par récuser ses juges sans pouvoir leur faire adopter les moyens déclinatoires qu'il présentait. Sa défense, qui attira sur lui seul le poids de l'accusation, sans qu'il fût toutefois déserté par ses compagnons d'infortune, se distingua par le sang-froid, l'adresse, la verve et le courage. Les autres accusés, particulièrement Germain, qui fit preuve de beaucoup d'esprit, montrèrent une rare énergie, qu'ils poussèrent quelquefois trop loin, en se livrant, comme Danton et les siens, à des emportemens toujours dangereux pour des accusés; mais leur défense n'en produisait pas moins beaucoup d'effet sur le peuple, qui, à la fin de chaque séance, répétait avec eux l'Hymne des Marseillais. Réal, alors rédacteur du Journal des Patriotes de 1789, très éloigné de partager les

CONDAMNATION DE BABEUF,

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opinions démocratiques, déploya le plus grand talent dans son oraison pour Babeuf, qui lui-même termina son propre plaidoyer, en montrant les femmes des accusés qui avaient voulu les suivre jusque devant le tribunal : << Elles nous suivront, dit-il, jusque sur le Calvaire, parce que la cause de notre supplice ne saurait les faire rougir. >> Malgré le verdict du jury, qui déclara qu'il n'y avait pas eu de conspiration, Babeuf et Darthé furent, sur une question incidente, condamnés à mort, après un procès de cinq mois (le 5 prairial an V, 25 mai 1797).

Lorsqu'on eut fait connaître cet arrêt aux deux condamnés, ils se frappèrent de plusieurs coups de poignard. On laissa celui de Babeuf dans la plaie; par ce raffinement de cruauté, qui prolongea sa vie, on put le conduire, ainsi que son ami, sur l'échafaud! Tous deux montrèrent beaucoup de calme et de sang-froid dans leurs derniers instans. Quand nous raconterons les événemens de 97, nous verrons si la mort de Babeuf ajouta quelque chose à la puissance directoriale.

Dans l'intervalle qui sépare l'affaire de Grenelle de la triste issue du procès de Babeuf, les royalistes impatiens voulurent mettre à exécution un projet qui avait trompé les espérances de conspirateurs plus fermes et plus habiles qu'eux. L'abbé Brottier, mathématicien et littérateur, Duverne de Presle, ancien officier de marine, conduisant depuis long-temps, sous le nom de Dunan, toutes les intrigues du parti; complices de ces deux hommes, la Villeurnoy, ancien maître des requêtes, et Poly, projetèrent d'attirer à cux une partie de la garnison de la capitale; ils croyaient pouvoir amener une révolution à l'aide de quelques soldats qui seraient bientôt soutenus par les sectionnaires de vendémiaire, qui avaient toujours la révolte dans le cœur. Comme le colonel Malo avait montré beaucoup d'ardeur contre les jacobins, les conspirateurs pensèrent que, détesté des révolution

naires, cet officier se jetterait avec joie dans les bras des partisans de la cause royale. En conséquence ils résolurent de s'ouvrir à lui, ainsi qu'à l'adjudant-général Ramel, commandant les grenadiers de la garde du Corps législatif. Mathieu Dumas se trouvait très lié avec ces deux officiers ; c'était lui qui, comme membre de la commission des inspecteurs de la salle, avait fait attacher au Corps législatif le 21e de dragons, commandé par Malo, et appeler Ramel de l'armée du Rhin, pour le porter au poste de confiance qu'il occupait. Mathieu Dumas, connu par ses combats contre les Girondins et contre la montagne, sous l'Assemblée législative, passait pour un ami de la constitution de 1791 et des Bourbons. Cette circonstance augmentait encore la confiance des imprudens royalistes. Malo et Ramel, après avoir reçu leurs ouvertures, en firent confidence au Directoire, ainsi qu'au ministre de la police, qui les engagea à continuer de feindre des dispositions favorables, d'abonder dans les projets des royalistes, et à rendre compte au gouvernement de tout ce qui se passerait. Par suite de cette ténébreuse manœuvre, Brottier et ses complices s'étant trouvés à une conférence chez Malo, à laquelle ils apportérent leurs pouvoirs et leurs papiers, furent saisis et jetés en prison. Le plan de ce directoire d'insurrection royale, était le même que celui de Babeuf pour saisir tous les moyens du pouvoir; ils mettaient à prix la tête des directeurs, rétablissaient la juridiction prévôtale et les anciens supplices, et promettaient une amnistie générale après les exécutions qui auraient confirmé la contre-révolution. Dans la formation du nouveau ministère, ils laissaient Benezech à l'intérieur et Cochon à la police générale ; le premier choix était bon pour eux, le second, malgré l'indigne conduite de Cochon dans l'affaire de Grenelle, était une erreur; toutefois quand un homme s'est engagé ainsi dans une route contraire à la sienne, elle peut le

CONSPIRATION ROYALISTE.

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mener bien loin. Le message du Directoire sur cette affaire excita une vive discussion dans l'assemblée, où la véracité de Ramel et de Malo fut attaquée, parce que leurs révélations faisaient planer des soupçons sur beaucoup de personnes d'une opinion différente; et que d'ailleurs un rôle pareil au leur a toujours quelque chose de bas et d'odieux. Le Directoire avait décidé que les accusés seraient jugés militairement comme prévenus d'embauchage; on les traduisit effectivement devant ce tribunal exceptionnel, malgré de fortes réclamations dans le conseil des CinqCents et un arrêt de cassation annulé par le Directoire. Il y eut quatorze acquittés. Brottier, Duverne de Presle, La Villeurnoy et Poly furent déclarés coupables et condamnés å mort, mais le conseil commua la peine capitale en plusieurs années de détention. Sans doute, après la boucherie de Grenelle, on pouvait voir ici de l'indulgence; le Directoire n'en commit pas moins une faute en voulant que les condamnés fussent poursuivis de nouveau pour crime de conspiration. Le rapport du ministre de la justice, quoique fondé sur plusieurs raisons assez puissantes, n'en était pas moins un scandale et un tissu des plus effrayantes inventions de l'art de trouver des moyens de condamnation.

Cette malheureuse affaire jeta des germes de divisions sérieuses entre le Directoire, prévenu fortement contre les royalistes, et les conseils où ce parti semblait avoir trouvé de zélés défenseurs. Le bruit s'était répandu, d'après une déclaration de l'un des conjurés à Cochon, qu'il y avait, dans la conspiration, des députés des deux côtés; et notamment toute la société de Clichy, que cent quatre-vingtquatre députés avaient traité avec Louis XVIII. Carnot auquel on parla de ces révélations, répondit que le fait était vrai, que le Directoire avait la liste, et que, puisque dans les conseils on voulait attaquer le Directoire, il prendrait les devans. Le 18 fructidor est dans ce mot; mais

qui aura rendu ce coup d'état nécessaire, si ce n'est la réaction conventionnelle, et ensuite la faiblesse du Direetoire, qui ne sut pas se mettre franchement à la tête des patriotes pour faire rentrer les royalistes dans le devoir et leur interdire toute espérance de retour?

Heureux en Italie, malheureux sur le Rhin, le Directoire allait avoir encore un sujet de deuil sur un autre point. Nous voulons parler de l'expédition d'Irlande préparée par le général Hoche et par le Directoire, avec une persévérance, une précision et une activité dignes de celles de Bonaparte, qui excellait dans cette partie de l'art militaire comme dans celles qui jettent le plus d'éclat:

L'escadre, forte de quinze vaisseaux de haut bord, de vingt frégates, de six gabares et de cinquante vaisseaux de transport, placée sous les ordres de Morard de Galles, mit à la voile en frimaire (16 décembre 96). Elle portait à peu près vingt mille hommes qui devaient débarquer dans la baie de Bantry. Protégée par une grosse mer et par une brume épaisse, l'escadre sortit de la rade de Brest sans être aperçue des croisières anglaises; mais malheureusement, dans la nuit du 16 au 17 (26 au 27 frimaire), une tempête violente sépara tous nos bâtimens ; plusieurs souffrirent beaucoup, et l'un d'eux se perdit. Pendant deux jours le contre-amiral Bouvet manœuvra pour rallier la flotte; il parvint à la réunir tout entière, à l'exception d'un vaisseau et de trois frégates; c'est sur une de ces dernières que se trouvaient Hoche et Morard de Galles. Bouvet fit voile vers le cap Clear; il espérait à chaque instant être rejoint par l'amiral. Le 4 nivose l'escadre entra dans la baie de Bantry, et le débarquement fut résolu. Un ouragan vint encore au secours de la Grande-Bretagne; nos vaisseaux furent forcés de s'éloigner. Bouvet, craignant de manquer de vivres, effrayé de sa responsabilité, et, ne voyant point paraître les deux chefs, tourna ses voiles vers la France. A peine fut

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