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Si vous saviez ce que fait naître
Dans l'âme triste un pur regard,
Vous regarderiez ma fenêtre
Comme au hasard.

Si vous saviez quel baume apporte
Au cœur la présence d'un cœur,
Vous vous assoiriez sous ma porte
Comme une sœur.

Si vous saviez que je vous aime,
Surtout si vous saviez comment,
Vous entreriez peut-être même
Tout simplement.

-Les Vaines Tendresses.

ROSTAND (born 1864)

CYRANO ET DE GUICHE

Cyrano. J'arrive—excusez-moi !—par la dernière trombe Je suis un peu couvert d'éther. J'ai voyagé! J'ai les yeux tout remplis de poudre d'astres. J'ai Aux éperons, encor, quelques poils de planète !

[Cueillant quelque chose sur sa manche. Tenez, sur mon pourpoint, un cheveu de comète!...

[Il souffle comme pour le faire envoler.

De Guiche (hors de lui). Monsieur!...

Cyrano (au moment où il va passer, tend sa jambe comme pour y montrer quelque chose, et l'arrête.

Dans mon mollet je rapporte une dent De la Grande Ourse,-et comme, en frôlant le Trident, Je voulais éviter une de ses trois lances,

Je suis allé tomber assis dans les Balances,—

Dont l'aiguille, à présent, là-haut, marque mon poids! [Empêchant vivement de Guiche de passer

et le prenant à un bouton du pourpoint.

Si vous serriez mon nez, Monsieur, entre vos doigts,

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Non! croiriez-vous, je viens de le voir en tombant,
Que Sirius, la nuit, s'affuble d'un turban! [Confidentiel.
L'autre Ourse est trop petite encor pour qu'elle morde.

J'ai traversé la Lyre en cassant une corde!
Mais je compte en un livre écrire tout ceci,
Et les étoiles d'or qu'en mon manteau roussi
Je viens de rapporter à mes périls et risques,
Quand on l'imprimera, serviront d'astérisques!
De Guiche. A la parfin, je veux.....
Cyrano.

De Guiche. Monsieur!
Cyrano.

[Riant. [Superbe.

Vous, je vous vois venir!

Vous voudriez de ma bouche tenir

Comment la lune est faite, et si quelqu'un habite

Dans la rotondité de cette cucurbite?

De Guiche (criant). Mais non! Je veux...

Cyrano.

Savoir comment j'y suis monté?

Ce fut par un moyen que j'avais inventé.

De Guiche (découragé). C'est un fou!

Cyrano (dédaigneux). Je n'ai pas refait l'aigle stupide De Regiomontanus, ni le pigeon timide

D'Archytas!...

De Guiche. C'est un fou,-mais c'est un fou savant. Cyrano. Non, je n'imitai rien de ce qu'on fit avant! -Cyrano de Bergerac, iii. 11.1

1 By kind permission of the author and publishers, Messrs. Charpentier & Fasquelle; Paris, 1898.

LES CADETS DE GASCOGNE

Cri de Tous. J'ai faim!

Cyrano (se croisant les bras). Ah ça! mais vous ne pensez qu'à manger?...

-Approche, Bertrandou, le fifre, ancien berger;
Du double étui de cuir tire l'un de tes fifres,
Souffle, et joue à ce tas de goinfres et de piffres
Ces vieux airs du pays, au doux rythme obsesseur,
Dont chaque note est comme une petite sœur,
Dans lesquels restent pris des sons de voix aimées,
Ces airs dont la lenteur est celle des fumées
Que le hameau natal exhale de ses toits,
Ces airs dont la musique a l'air d'être en patois!...
[Le vieux s'assied et prépare son fifre.
Que la flûte, aujourd'hui, guerrière qui s'afflige,
Se souvienne un moment, pendant que sur sa tige
Tes doigts semblent danser un menuet d'oiseau,
Qu'avant d'être d'ébène, elle fut de roseau;

Que sa chanson l'étonne, et qu'elle y reconnaisse
L'âme de sa rustique et paisible jeunesse!...

[Le vieux commence à jouer des airs languedociens.
Écoutez, les Gascons... Ce n'est plus, sous ses doigts,
Le fifre aigu des camps, c'est la flûte des bois.
Ce n'est plus le sifflet du combat, sous ses lèvres,
C'est le lent galoubet de nos meneurs de chèvres !...
Écoutez... C'est le val, la lande, la forêt,

Le petit pâtre brun sous son rouge béret,
C'est la verte douceur des soirs sur la Dordogne,
Écoutez, les Gascons: c'est toute la Gascogne!

-Cyrano de Bergerac, iv. 3.

1 By kind permission of the author and publishers, Messrs. Charpentier & Fasquelle; Paris, 1898.

SECTION II.-VERS LIBRES

MOLIÈRE

MERCURE ET AMPHITRYON

Mercure (sur le balcon de la maison d'Amphitryon, san être vu ni entendu d'Amphitryon)

Je m'en vais égayer mon sérieux loisir

A mettre Amphitryon hors de toute mesure.
Cela n'est pas d'un dieu bien plein de charité;
Mais aussi n'est-ce pas ce dont je m'inquiète;
Et je me sens, par ma planète,

A la malice un peu porté.

Amphitryon

D'où vient donc qu'à cette heure on ferme cette porte?

Mercure

Hola! tout doucement. Qui frappe?

Amphitryon (sans voir Mercure)

Mercure

Moi.

Qui, moi?

Amphitryon (apercevant Mercure, qu'il prend pour Sosie)

Ah! ouvre.

Mercure

Comment, ouvre? Et qui donc es-tu, toi

Qui fais tant de vacarme et parles de la sorte?

Amphitryon

Quoi? tu ne me connais pas?

Mercure

Non,

Et n'en ai pas la moindre envie.

Amphitryon (à part)

Tout le monde perd-il aujourd'hui la raison?
Est-ce un mal répandu? Sosie! holà, Sosie!

Mercure

Eh bien, Sosie! oui, c'est mon nom;
As-tu peur que je ne l'oublie?

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Fort bien. Qui peut pousser ton bras

A faire une rumeur si grande?

Et que demandes-tu là-bas?

Amphitryon

Moi, pendard! ce que je demande?

Mercure

Que ne demandes-tu donc pas?
Parle, si tu veux qu'on t'entende.

Amphitryon

Attends, traître! avec un bâton
Je vais là-haut me faire entendre,
Et de bonne façon t'apprendre

A m'oser parler sur ce ton.

Mercure

Tout beau! si pour heurter tu fais la moindre instance, Je t'enverrai d'ici des messagers fâcheux.

Amphitryon

O Ciel! vit-on jamais une telle insolence?

La peut-on concevoir d'un serviteur, d'un gueux?

Mercure

Eh bien, qu'est-ce? M'as-tu tout parcouru par ordre?
M'as-tu de tes gros yeux assez considéré?
Comme il les écarquille, et paraît effaré!

Si des regards on pouvait mordre,
Il m'aurait déjà déchiré.

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