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M'embrassant en maint tour
Tout à l'entour;

Et la vigne tortisse
Mon sepulchre embellisse,
Faisant de toutes pars
Un ombre espars.

Là viendront chaque année
A ma feste ordonnée,
Avecques leurs troupeaux,
Les pastoureaux:
Puis, ayans fait l'office
De leur beau sacrifice,
Parlans à l'isle ainsi,

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Diront ceci :

Que tu es renommée

D'estre tombeau nommée
D'un de qui l'univers
Chante les vers,

"Et qui oncque en sa vie
Ne fut brulé d'envie,
Mendiant les honneurs

Des grands seigneurs;

"Ny n'enseigna l'usage
De l'amoureux breuvage,
Ny l'art des anciens
Magiciens;

"Mais bien à nos compagnes
Fit voir les Sœurs compagnes
Foulantes l'herbe aux sons
De ses chansons.
"Car il fit à sa lyre
Si bons accords eslire
Qu'il orna de ses chants
Nous et nos champs!
"La douce manne tombe
A jamais sur sa tombe,
Et l'humeur que produit
En may la nuit!

"Tout à l'entour l'emmure L'herbe et l'eau qui murmure

L'un tousjours verdoyant,
L'autre ondoyant !
"Et nous, ayans memoire
Du renom de sa gloire,
Luy ferons, comme à Pan,
Honneur chaque an."

Ainsi dira la troupe,
Versant de mainte coupe
Le sang d'un agnelet
Avec du lait,

Dessus moy, qui à l'heure
Seray par la demeure
Où les heureux esprits
Ont leur pourpris.

La gresle ne la nége

N'ont tels lieux pour leur siege,
Ne la foudre oncques là

Ne devala:

Mais bien constante y dure

L'immortelle verdure,

Et constant en tout temps

Le beau printemps...

-Id., livre iv, ode iv; tome ii, p. 249.

L'AMOUR ET L'ABEILLE

Le petit enfant Amour
Cueilloit des fleurs alentour
D'une ruche, où les avettes
Font leurs petites logettes.
Comme il les alloit cueillant,
Une avette sommeillant
Dans le fond d'une fleurette,
Luy piqua la main tendrette.

Si tost que piqué se vit,
"Ah! je suis perdu", ce dit;
Et s'en courant vers sa mere,
Luy monstra sa playe amere:

"Ma mère, voyez ma main", Ce disoit Amour, tout plein

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"Nenny, c'est un serpenteau,
Qui vole au printemps nouveau
Avecques deux ailerettes
Çà et là sur les fleurettes."

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"Ah! vraiment je le cognois,
Dit Venus; les villageois
De la montagne d'Hymette
Le surnomment une avette.
Si doncques un animal
Si petit fait tant de mal,
Quand son halesne espoinçonne
La main de quelque personne,
"Combien fais-tu de douleurs
Au prix de luy, dans les cœurs
De ceux contre qui tu jettes
Tes homicides sagettes."

-Id., ibid., ode xiv; tome ii, p. 270.

CONTRE LES BUCHERONS DE LA FOREST DE GASTINE

Escoute, Bucheron, arreste un peu le bras; Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas; Ne vois-tu pas le sang lequel degoute à force Des Nymphes qui vivoient dessous la dure escorce? Sacrilege meurdrier, si on pend un voleur Pour piller un butin de bien peu de valeur,

Combien de feux, de fers, de morts et de détresses Merites-tu, meschant, pour tuer nos Déesses?

Forest, haute maison des oiseaux bocagers
Plus le Cerf solitaire et les Chevreuls legers
Ne paistront sous ton ombre, et ta verte criniere
Plus du Soleil d'Esté ne rompra la lumiere.

Plus l'amoureux Pasteur sus un tronq adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous persé,
Son mastin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette;
Tout deviendra muet, Echo sera sans vois;
Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue;
Tu perdras ton silence et haletans d'effroy
Ny Satyres ny Pans ne viendront plus chez toy.
Adieu, vieille Forest, le jouet de Zephyre,
Où premier j'accorday les langues de ma Lyre,
Où premier j'entendi les fleches resonner
D'Apollon, qui me vint tout le cœur estonner;
Où premier admirant la belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta,
Et de son propre laict Euterpe m'allaita.

Adieu, vieille Forest, adieu testes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées,
Maintenant le desdain des passans alterez,
Qui, bruslez en l'Esté des rayons etherez,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent tes meurtriers et leur disent injures.

Adieu, chesnes, couronne au vaillans citoyens,
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,

Qui premiers aux humains donnastes à repaistre; Peuples vrayment ingrats, qui n'ont sceu recognoistre Les biens receus de vous, peuples vrayment grossiers, De massacrer ainsi leurs pères nourriciers.

Que l'homme est malheureux qui au monde se fie! O Dieux, que veritable est la Philosophie,

Qui dit que toute chose à la fin perira,

Et qu'en changeant de forme une autre vestira!

De Tempé la valée un jour sera montagne, Et la cyme d'Athos une large campagne;

Neptune quelquefois de blé sera couvert:
La matiere demeure et la forme se perd.

-Elégies, xxx; tome iv, p. 347.

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