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imaginaire, qui ne conçoit que ce qu'elle ne peut se dispenser de concevoir ?

A la vérité, elle s'applique un peu ; mais qu'est-ce ici que s'appliquer? Ce n'est pas pénétrer à force de méditation une chose obscure d'elle-même, ou expliquée obscurément; c'est seulement ne point lire sans se représenter nettement ce qu'on lit. Je ne demande aux dames, pour tout ce système de philoso phie, que la même application qu'il faut donner à la Princesse de Clèves, si on veut en suivre bien l'intrigue, et en connaître toute la beauté. Il est vrai que les idées de ce livre-ci sont moins fami. lières à la plupart des femmes, que celles de la Princesse de Clèves, mais elles n'en sont pas plus obscures, et je suis sûr qu'à une seconde lecture, tout au plus, il ne leur en sera rien échappé.

Comme je n'ai pas prétendu faire un système en l'air, et qui n'eût aucun fondement, j'ai employé de vrais raisonnemens de physique, et j'en ai em*A B S

MAY 5, 1938

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ployé autant qu'il a été nécessaire. Mais il se trouve heureusement dans ce sujet, que les idées de physique y sont riantes d'elles-mêmes, et que dans le même temps qu'elles contentent la raison, elle donnent à l'imagination un spectacle qu lui plaît autant que s'il était fait exprè pour elle.

Quand j'ai trouvé quelques morceau qui n'étaient pas tout-à-fait de cette e pèce, je leur ai donné des ornemen étrangers. Virgile en a us ainsi dans se Géorgiques, où il sauve le fond de matière, qui est tout-à-fait sèche, p des digressions fréquentes et souvent fo agréables. Ovide même en a fait auta dans l'art d'aimer, quoique le fond sa matière fût infiniment plus agréal que tout ce qu'il y pouvait mêler. App remment il a cru qu'il était ennuye de parler toujours d'une même chos fût-ce de préceptes de galanterie. Po moi, qui avais plus besoin que lui secours des digressions, je ne m'en su

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cant servi qu'avec assez de ménageJe les ai autorisées par la liberté elle de la conversation; je ne les cées que dans les endroits où j'ai u'on serait bien aise de les trouver; i mis la plus grande partie dans les nencemens de l'ouvrage, parce qu'a 'esprit n'est pas encore assez accou→ aux idées principales que je lui ; enfin je les ai prises dans mon suvême, ou assez proche de mon sujet. n'ai rien voulu imaginer sur les tans des mondes, qui fût entièreimpossible et chimérique. J'ai tâde dire tout ce qu'on en pouvait er raisonnablement, et les visions es que j'ai ajoutées à cela ont quelfondement réel. Le vrai et le faux mêlés ici, mais ils y sont toujours à distinguer. Je n'entreprends point istifier un composé si bizarre; c'est point le plus important de cet ou, et c'est cela justement dont je is rendre raison.

Il ne me reste plus, dans cette Préface, qu'à parler à une sorte de personnes, mais ce seront peut-être les plus difficiles à contenter; non que l'on n'ait à leur donner de fort bonnes raisons 7 mais parce qu'elles ont le privilége de ne se payer pas, si elles ne veulent, de toutes les raisons qui sont bonnes. Ce sont les gens scrupuleux, qui pourront s'imaginer qu'il y a du danger par rapport à la religion, à mettre des habitans ailleurs que sur la terre. Je respecte jusqu'aux délicatesses excessives que l'on a sur le fait de la religion, et celle-là même, je l'aurais respectée au point de ne la vouloir pas choquer dans cet ouvrage, si elle était contraire à mon sentiment; mais ce qui va peut-être vous paraître surprenant, elle ne regarde pas seulement ce système, où je remplis d'habitans une infinité de mondes. Il ne faut que démêler une petite erreur d'imagination. Quand on vous dit que la lune est habitée, vous vous y représentez aus

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sitôt des hommes faits comme nous; et puis, si vous êtes un peu théologien, vous voilà plein de difficultés. La postérité d'Adam n'a pas pu s'étendre jusque dans la lune, ni envoyer des colonies dans ce pays-là. Les hommes qui sont dans la lune ne sont donc pas fils d'Adam. Or il serait embarrassant, dans la théologie, qu'il y eût des hommes qui ne descendissent pas de lui. Il n'est pas besoin d'en dire davantage toutes les difficultés imaginables se réduisent à cela, et les termes qu'il faudrait employer dans une plus longue explication sont trop dignes de respect pour être mis dans un livre aussi peu grave que celui-ci. L'objection roule donc toute entière sur les hommes de la lune ; mais ce sont ceux qui la font à qui il plaît de mettre des hommes dans la lune. Moi, je n'y en mets point; j'y mets des habitans qui ne sont point du tout des hommes. Que sont-ils donc ? Je ne les ai point vus, ce n'est pas pour les avoir vus que

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