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soit en grand que ce qu'une montre est en petit, et que tout s'y conduise par des mouvemens réglés qui dépendent de l'arrangement des parties. Avouez la vérité. N'avez-vous pas eu quelquefois une idée plus sublime de l'univers; et ne lui avez-vous point fait plus d'honneur qu'il ne méritait? J'ai vu des gens qui l'en estimaient moins, depuis qu'ils l'avaient connu. Et moi, répliqua-t-elle, je l'en estime beaucoup plus, depuis que je sais qu'il ressemble à une montre il est surprenant que l'ordre de la nature, tout admirable qu'il est, ne roule que sur des choses si simples.

Je ne sais pas, lui répondis-je, qui vous a donné des idées si saines, mais en vérité il n'est pas trop commun de les avoir. Assez de gens ont toujours dans la tête un faux merveilleux enveloppé d'une obscurité qu'ils respectent. Ils n'admirent la nature que parce qu'ils la croient une espèce de magie où l'on n'entend rien ; et il est sûr qu'une chose est déshonorée auprès d'eux, dès qu'elle peut être conçue. Mais, Madame, continuai-je, vous êtes si bien disposée à entrer dans tout ce que je veux vous dire, que je crois que je n'ai qu'à tirer le rideau, et à vous montrer le monde.

De la terre où nous sommes, ce que nous voyons de plus éloigné, c'est ce ciel bleu, cette grande voûte, où il semble que les étoiles

sont attachées comme des clous. On les appelle fixes, parce qu'elles ne paraissent avoir que le mouvement de leur ciel, qui les emporte avec lui d'orient en occident. Entre la terre et cette dernière voûte des cieux sont suspendus, à différentes hauteurs, le Soleil et la Lune, et les cinq autres astres qu'on appelle planètes, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne (1). Ces planètes n'étant point attachées au même ciel, ayant des mouvemens inégaux, elles se regardent diversement et figurent

(1) En 1781, M. Herschel en a découvert en Angleterre une sixième, qui a retenu son nom. Cette planète ne paraît que comme une étoile de la sixième grandeur, même dans les lunettes; aussi Mayer l'avait mise dans son catalogue parmi les étoiles. Le 25 septembre 1756, à 10 h. 41 m. (temps moyen de Paris) elle avait 115 16° 37′ 45′′ de longitude, et 48′ 30′′ de latitude australe. Cette observation comparée avec celles qu'on a faites en 1781 et 1782, a fait trouver la révolution tropique de cette planète de 83 années communes et 52 jours 4 heures. L'auteur a donné à cette, nouvelle planète le nom de Georgium sidus, à l'honneur du roi d'Angleterre, à qui l'astronomie, et M. Herschel en particulier, ont les plus grandes obligations; mais à Berlin on s'obstine à l'appeler Uranus. Astronomie de Lalande, 1792, in-4°. tom. 1, p. 450. Lorsque la lune n'éclaire pas la terre, on peut apercevoir Herschel à la simple vue. Cette planète a six satellites. Guthrie.

diversement ensemble; au lieu que les étoiles fixes sont toujours dans la même situation les unes à l'égard des autres. Le chariot, par exemple, que vous voyez qui est formé de ces sept étoiles, a toujours été fait comme il est, et le sera encore long-temps; mais la lune est tantôt proche du soleil, tantôt elle en est éloignée, et il en va de même des autres planètes. Voilà comme les choses parurent à ces anciens bergers de Chaldée, dont le grand loisir produisit les premières observations, qui ont été le fondement de l'astronomie; car l'astronomie est née dans la Chaldée, comme la géométrie naquit, dit-on, en Égypte, où les inondations du Nil, qui confondaient les bornes des champs, furent cause que chacun voulut inventer des mesures exactes pour reconnaître son champ d'avec celui de son voisin. Ainsi l'astronomie est fille de l'oisiveté, la géométrie est fille de l'intérêt; et, s'il était question de la poésie, nous trouverions apparemment qu'elle est fille de l'amour.

Je suis bien aise, dit la Marquise, d'avoir appris cette généalogie des sciences, et je vois bien qu'il faut que je m'en tienne à l'astronomie. La géométrie, selon ce que vous me dites, demanderait une âme plus intéressée que je ne l'ai, et la poésie en demanderait une plus tendre; mais j'ai autant de loisir que l'astro

nomie en peut demander. Heureusement encore nous sommes à la campagne, et nous y menons quasi une vie pastorale; tout cela convient à l'astronomie. Ne vous y trompez pas, Madame, repris - je. Ce n'est pas la vraie vie pastorale que de parler des planètes et des étoiles fixes. Voyez si c'est à cela que les gens de l'Astrée passent leur temps. Oh! réponditelle, cette sorte de bergerie - là est trop dangereuse. J'aime mieux celle de ces Chaldéens dont vous me parliez. Recommencez un peu, s'il vous plaît, à me parler chaldéen. Quand on eut reconnu cette disposition des cieux que vous m'avez dite, de quoi fut-il question? Il fut question, repris-je, de deviner comment toutes les parties de l'univers doivent être arrangées, et c'est là ce que les savans appellent faire un système. Mais avant que je vous explique le premier des systèmes, il faut que vous remarquiez, s'il vous plaît, que nous sommes tous faits naturellement comme un certain fou athénien dont vous avez entendu parler, qui s'était mis dans la fantaisie que tous les vaisseaux qui abordaient au port de Pirée, lui appartenaient. Notre folie à nous autres, est de croire aussi que toute la nature, sans exception, est destinée à nos usages: et quand on demande à nos philosophes à quoi sert ce nombre prodigieux d'étoiles fixes, dont une partie suffir

pour faire ce qu'elles font toutes, ils vous répondent froidement qu'elles servent à leur réjouir la vue. Sur ce principe on ne manqua pas d'abord de s'imaginer qu'il fallait que la terre fût en repos au centre de l'univers, tandis que tous les corps célestes qui étaient faits pour elle, prendraient la peine de tourner alentour pour l'éclairer. Ce fut donc au-dessus de la terre qu'on plaça la lune, et au-dessus de la lune on plaça mercure, ensuite vénus, le soleil, mars, jupiter, saturne. Au-dessus de tout cela était le ciel des étoiles fixes. La terre se trouvait justement au milieu des cercles que décrivent ces planètes; et ils étaient d'autant plus grands, qu'ils étaient plus éloignés de la terre, et par conséquent les planètes plus éloignées employaient plus de temps à faire leur cours, ce qui effectivement est vrai. Mais je ne sais pas, interrompit la Marquise, pourquoi vous semblez n'approuver pas cet ordre-là dans l'univers ; il me paraît assez net et assez intelligible, et pour moi je vous déclare que je m'en contente. Je puis me vauter, répliquai-je, que je vous adoucis bien tout ce système. Si je vous le donnais tel qu'il a été conçu par Ptolomée, son auteur, ou par ceux qui y ont travaillé après lui, il vous jetterait dans une épouvante horrible. Comme les mouvemens des planètes ne sont pas si réguliers, qu'elles n'aillent tantôt

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