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facultés perceptives, vingt-sept mémoires, vingt-sept jugements vingt-sept imaginations, qui agissent chacune à part et pour leur compte. Cependant Gall veut qu'il y ait une âme; mais comment peut-il y avoir une âme, s'il n'y a plus de moi. Broussais est plus conséquent et plus hardi. II supprime formellement le moi, il s'en moque, il se moque de la conscience et de son témoignage : « Séduits par le moi de Descartes, dit»>il, des philosophes ont raisonné d'après le témoignage de » leur conscience. » Et comme il ne veut pas raisonner d'après le témoignage de sa conscience, mais seulement d'après celui de ses sens, il ne voit dans l'homme que de la matière, que des organes, qu'un cerveau, il nie l'existence de l'âme, et embrasse ouvertement le matérialisme. Le matérialisme, voilà en effet la conclusion forcée de la théorie phrénologique. -Car si la pensée est le résultat du mouvement ou de l'action des organes, elle n'est plus qu'une fonction de la matière, qu'une espèce de sécrétion de la membrane ou de la pulpe cérébrale, comme le chyle est résultat de la digestion, ainsi que le dit, en propres termes, Cabanis ; « Pour se faire une juste idée des opérations d'où résulte la pensée, il faut con» sidérer le cerveau comme un organe particulier, destiné à la produire, de même que l'estomac et les intestins à opérer >> la digestion, le foie à filtrer la bile, etc. » Les phrénologistes sans doute rejetteraient cette proposition comme ridicule; cependant est-il beaucoup plus absurde de dire que le cerveau digère des impressions, c'est-à-dire, des dilatations, des déplacements de parties matérielles, des mouvements, puisque les impressions cérébrales se réduisent à cela, et que de cette opération résulte la pensée, par la transformation des impressions en idées, en sentiments, en volitions, que de faire dépendre la pensée du développement des fibres du cerveau, ou, comme le dit Gall, des faisceaux primitifs dont le cerveau n'est que l'ensemble. S'il y a autant de sujets pensants que de fibres, ou de faisceaux de fibres, s'il y a autant de centres de sentiment et de perception que de régions dans le cerveau, nonseulement ce qui pense en nous n'est plus un et identique, mais c'est la matière qui pense; et nous avons démontré l'incompatibilité de la pensée et de la matière.

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La phrénologie, comme on le voit, conduit au matérialisme; elle conduit encore au fatalisme. C'est ce que nous allons démontrer. On a déjà vu, par le passage précédemment cité de M. Flourens, que Gall attaque directement la liberté, tout en la reconnaissant, par la fausse définition qu'il en donne. Le véritable libre arbitre n'est pas celui qu'il admet, mais celui qu'il rejette. Les déductions que nous allons tirer de sa doctrine vont prouver qu'il la détruit indirectement, si son système est vrai. La religion nous enseigne que tout homme naît sujet à l'orgueil et à la concupiscence, que le germe de certains penchants, de certaines passions existe le même au fond ducœur de tous les hommes; mais la religion et la saine philosophie nous font connaître aussi que l'homme peut résister à ses passions, combattre ses penchants et choisir entre le bien et le mal. Mais suivant le docteur Gall, la force de ces penchants, le dégré d'intensité de ces passions dépendant du plus ou moins de développement qu'a reçu de la nature la partie du cerveau dans laquelle il prétend qu'elles ont leur siége, il est impossible à l'homme d'avoir action sur ses inclinations et de modifier les formes et les tendances de sa pensée. Car, par quel moyen agirait-il sur ses propensions naturelles pour les modérer ou en changer la direction? Par le moyen de la volonté et de la liberté sans doute. Mais dans son système, les déterminations de la volonté et les décisions du libre arbitre dépendent ellesmêmes d'une certaine disposition des fibres du cerveau. En un mot, elles sont soumises à des conditions matérielles dont elles dépendent absolument. Voilà, par exemple, je suppose, un homme qui a la protubérance du vol ou de l'acquisivité trèsprononcée. Naturellement il doit suivre ce penchant, et agir, selon sa conformation, et cette protubérance elle-même doit se développer, s'accroître, de même que s'accroît et se développe la force musculaire par l'exercice et l'action. Mais à mesure que la partie du cerveau où le penchant à son siége se développe, le penchant doit se fortifier en proportion, jusqu'à ce qu'il ait acquis son plus haut degré d'extension, jusqu'à ce qu'il soit devenu invincible. Car, qui est-ce qui l'arrêterait dans ce progrès, qui n'est qu'une conséquence du progrès même de l'organe? Encore une fois ce n'est pas la liberté,

puisque d'abord la liberté n'est qu'un jeu, qu'un mouvement de la matière, et que d'ailleurs l'organe de la liberté peut manquer. Supposons cependant que la liberté d'un individu aussi malheureusement conformé que nous le supposons, conserve quelque indépendance et quelque action; voici ce qui devrait logiquement arrriver. A mesure que la volonté agirait pour combattre le penchant, la protubérance ou l'organe devrait diminuer ou s'effacer graduellement. Car il est rationnel de dire que si elle ne diminuait pas, le penchant devrait conserver lui-même toute son intensité, puisque la cause subsistant, les effets devraient nécessairement s'ensuivre. Or, quelle est ici la cause du penchant ? c'est l'organe; si donc vous ne retranchez pas l'organe, vous aurez toujours le penchant et les actes dont il est la source. Et ne dites pas que d'autres penchants contraires pourraient faire équilibre à celui-là et le neu traliser ce ne serait là qu'un équilibre purement matérile entre des forces matérielles, ce qui exclut toute moralité, toute imputabilité, toute notion de mérite et de démérite. Au reste, toutes ces conséquences sont avouées par les phrénologistes. << Il n'y a point de Dieu, dit Gall, pour les êtres dont l'organisation n'est pas originellement empreinte de facultés déterminées. » De même, selon ses principes, il n'y a point de liberté pour celui qu'une organisation fatale emporte vers le vol ou l'assassinat.

Imaginons, dit-il encore, une femme dans laquelle l'amour » de la progéniture soit peu développé.... Si malheureusement » l'organe du meurtre est développé en elle, faudra-t-il s'éton»ner que de sa main, etc. »

Ainsi l'organisation explique tout, le crime comme la vertu. « Ces derniers faits nous montrent, dit Gall, que ce pen» chant détestable (il s'agit du penchant au meurtre) a sa » source dans un vice de l'organisation.

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«Que ces hommes si glorieux, dit-il encore, qui font égor» ger les nations par milliers, sachent qu'ils n'agissent point » de leur propre chef, que c'est la nature qui a placé dans leur » cœur la rage de la destruction. »

« Eh, non! s'écrie M. Flourens, ce n'est pas là ce qu'il faut qu'ils sachent, car, grâce à Dieu, cela n'est pas. Ce qu'il faut

qu'ils sachent, ce qu'il faut leur dire, c'est que, si la Providence a laissé à l'homme la possibilité de faire le mal, elle lui a donné aussi la force de faire le bien. Ce qu'il faut que l'homme sache, ce qu'il faut lui dire, c'est qu'il a une force libre; c'est que cette force ne doit point fléchir; et que l'être en qui elle fléchit, sous quelque philosophie qu'il s'abrite, est un être qui se dégrade. »

Eh, bien, c'est précisément le contraire que les phrénologistes s'efforcent d'établir. Par pudeur ils conservent le mot de liberté; mais ce mot dans leur bouche n'a plus aucune signification. « L'homme est-il libre, dit M. Broussais, de n'être pas » ambitieux, colère, rusé, circonspect, avide de posséder, in» différent, affectueux, orgueilleux, bon, méchant, cruel, con» fiant, crédule, chimérique?» Et il ne voit pas que c'est la justification et l'apologie de toutes les iniquités, de tous les brigandages, de toutes les lâchetés, de toutes les hypocrisies, de toutes les abominations, de tous les forfaits qui ont souillé et ensanglanté la terre, qu'il met ici en question, ou plutot qu'il ne craint pas de présenter à ses lecteurs. Car quand on lui objecte qu'il tient cependant à l'homme d'obéir ou de ne pas obéir aux penchants qui le portent au mal, il répond : « Sans doute il a » cette liberté si ses organes du moi et de la volonté auxquels >> tient cette faculté sont vigoureux mais s'ils sont faibles, » ils ne l'a pas. » Ce qui est dire qu'en réalité l'homme n'est pas libre, puisque sa liberté n'est qu'un instinct dont la nature est d'agir comme tous les autres sous l'influence des conditions organiques dont il dépend. Ainsi ce c'est plus la liberté qui, par sa puissance propre, domine les penchants, et résiste aux instigations du caractère et du tempérament; c'est au contraire l'organisation qui la soumet à sa loi, et qui l'entraîne à la suite des passions dans la voie du bien et du mal, selon les tendances de celles-ci. Maintenant, législateurs, faites donc des lois; magistrats, prononcez donc des condamnations, en présence d'une telle doctrine! N'est-il pas évident qu'il n'y a plus ni règle d'action, ni culpabilité, du moment que la volonté est tout entière impliquée dans l'organisation, et que la liberté même n'est qu'une modification cérébrale?

CHAPITRE VI.

EXAMEN DE LA QUESTION DE L'AME DES BÊTES, ENVISAGÉE DANS SES RAPPORTS AVEC CELLE DE LA SPIRITUALITÉ DU SUJET PENSANT.

Ce n'est point ici que nous traiterons des différences qui distinguent la nature humaine de la nature animale proprement dite. La preuve de l'immense supériorité de l'une sur l'autre doit trouver sa place dans une autre partie de cet ouvrage; si donc nous traitons dans ce chapitre de l'âme des bêtes, ce n'est pas que nous prétendions résoudre une question qui, selon nous, est insoluble; nous voulons seulement prouver que sa solution, soit affirmative, soit négative, n'importe en aucune manière à la question de la spiritualité de l'âme humaine, et qu'il n'y aurait qu'une seule chose à conclure de la dernière, savoir, que les bêtes ont été créées sur un autre plan que l'homme, le seul être que Dieu ait formé à son image. On peut donc sans danger abandonner les animaux aux phrénologistes; et quand même il serait vrai que tout en eux est le résultat de l'organisation physique, et des forces mécaniques du cerveau, il n'y aurait aucune induction légitime à tirer de ces faits contre l'homme, parce que l'homme est un être intelligent, raisonnable et libre, et qu'il n'y a bien certainement ni intelligence, ni raison, ni liberté dans les animaux.

Les animaux ont-ils une âme : c'est-à-dire, y a-t-il en eux comme en nous un sujet pensant, un moi doué de la conscience de lui-même, un principe spirituel, support de toutes les modifications de la pensée, doué d'activité, de volonté, de réflexion, de raison et de liberté ? Voilà le problème que les phylosophes se sont proposé, problême si diversement résolu.

Je connais ce qui se passe en moi par le sens intime. Je connais ce qui se passe dans les autres hommes par le langage; et même à défaut de communication verbale, je pourrais à la rigueur induire de ce qui se passe en moi à ce qui se passe dans les autres hommes, parce que les autres hommes sont exactement mes semblables, et qu'ayant conscience de ma pensée et de ma personnalité, je puis légitimement présumer d'après

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