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gent quelquefois les philosophes d'outrager le bon sens. Oui, dirons-nous, c'est dans le moi, c'est dans l'âme, qu'il faut placer le siége de tous les penchants, de toutes les inclinations, de tous les désirs de l'homme, quels qu'ils soient, comme c'est dans la chair qu'il faut placer le siége de toutes les impressions qui éveillent en lui l'amour de la volupté. L'âme est sous l'influence de la chair et des sens; qui ne sait cela? Mais lors même qu'elle n'est pas la cause et le principe des états ou des modes que l'homme éprouve, elle en est toujours le sujet; voilà ce qui est incontestable. L'âme, la personne, le moi, c'est l'homme tout entier, c'est l'homme par excellence. Car l'homme, c'est ce qui sent, connaît et veut. Hors de là, il n'y a plus qu'une agrégation de molécules qui ne constituent pas plus l'homme que les lettres de l'alphabet ne constituent le génie.

Cependant M. Broussais, qui prétend qu'il n'est pas nécessaire pour l'homme d'avoir le sentiment personnel pour exister et même pour se reproduire, est bien forcé de rendre hommage à l'existence du moi, quelque pénible que lui soit cette concession. « Le sentiment de notre personne, de notre identité, dans le passé comme dans le présent; la prévision de cette identité dans l'avenir, la faculté de nous distinguer de tout ce qui n'est pas nous, le moi en un mot, puisque cette expression est adoptée, dépend-il de l'organe de la causalité, de celui de la comparaison générale, ou des deux réunies?» Cette question l'embarrasse. Après avoir long-temps balancé, il finit par conclure que l'organe de la causalité est autant nécessaire que la faculté comparative générale à la distinction du moi ou de la personne, puisque, d'un côté, il faut, pour établir l'existence de la personne, un mouvement intérieur de comparaison, et de comparaison générale, et que, d'un autre côté, la personne ne peut exister sans sentir et agir, ce qui implique le sentiment de causalité. Or, si ce moi, toujours le même, sujet toujours identique du sentiment et de l'action, n'est pas quelque chose de distinct des organes, évidemment M. Broussais ne se comprend pas lui-même.

Nous prouverons donc d'abord que la théorie phrénologique, en ce qu'elle a de raisonnable et de vrai ne contredit

pas la spiritualité de l'âme, et que ce qu'elle a de faux rentre dans la doctrine matérialiste dont nous aurons à démontrer la fausseté 1o par l'absurdité de la doctrine en elle-même, 2° par l'immoralité des conséquences où elle conduit.

Mais afin de mettre nos lecteurs plus en état de juger la théorie phrénologique et sa réfutation, nous donnerons d'abord une description sommaire du cerveau, que nous emprunterons aux phrénologistes eux-mêmes.

Description du cerveau.

Nous n'entrerons dans aucun détail sur les os nombreux dont l'assemblage régulier forme les diverses parties de la tête humaine, sur la place qu'ils occupent, leur grandeur respective, les éminences qui s'élèvent de leur surface, les enfoncements dont ils sont creusés, les cavités dont ils servent à former les parois, en un mot, sur la structure intime du crâne. Nous nous bornerons à faire remarquer avec Richerand que s'il est vrai qu'on puisse estimer l'importance d'un organe par les soins qu'a pris la nature pour le mettre à l'abri des lésions extérieures, nul ne paraîtra plus essentiel que le cerveau; car il n'en est point qui paraisse avoir été l'objet d'une prévoyance plus attentive. La substance de ce viscère a si peu de consistance que la moindre injure eût altéré sa structure et dérangé son action. Aussi se trouve-t-il puissamment protégé par plusieurs enveloppes dont la plus solide est la boîte osseuse qui le renferme.

Outre cette enceinte résistante et dure, la masse cérébrale est recouverte d'une triple enveloppe membraneuse formée par la dure-mère, qui tapisse non-seulement l'intérieur du crâne et du canal vertébral, mais qui, s'interposant entre les diverses parties de la masse cérébrale, les soutient dans les diverses positions de la tête, et prévient leur compression mutuelle; l'arachnoïde, membrane transparente, de la nature des séreuses, ainsi appelée, à cause de l'extrème ténuité de son tissu ; et la pie-mère, espèce de réseau vasculaire qui adhère immédiatement à la substance cérébrale, et qui provient en grande

partie de la subdivision des artères carotides et vertébrales qui fournissent le sang à l'appareil encéphalique.

Deux substances entrent dans la composition de l'encéphale : l'une, blanche comme le lait, présente toujours une disposition linéaire; l'autre, de couleur grise ou cendrée, qui s'entremêle avec la première et qui paraît en être le soutien et l'origine. Le docteur Gall remarque en effet que chaque fois qu'un faisceau de substance blanche se divise en lignes ou en fascicules pour traverser une masse de substance grise, il en sort plus volumineux qu'il n'y était entré, parce que de nouvelles lignes blanches, qui prennent naissance dans cette masse grise, ne manquent jamais de s'ajouter aux premières et d'en grossir le faisceau. C'est pour cela qu'il regarde la substance grise comme la matière nourricière des nerfs. Si d'ailleurs les deux substances reçoivent des vaissaux sanguins, il est constaté que la grise en admet un bien plus grand nombre que la blanche, et l'on pourrait soupçonner que c'est principalement à cette particularité qu'elle doit la couleur qui la distingue.

La masse cérébrale se divise en trois parties: le cerveau, proprement dit, le cervelet, et la moelle allongée, dont la moelle épinière est un prolongement.

Le cerveau proprement dit est partagé par un sillon longitudinal en deux hémisphères d'un volume égal, dont chacun se divise en trois lobes non entièrement détachés les uns des autres. La périphérie du cerveau surpasserait de beaucoup le volume de la tête, si la nature n'avait pas pris soin de le replier sur lui-même, à la manière des intestins roulés autour du mésentère : ce qui donne les circonvolutions du cerveau. C'est par cet artifice que la membrane qui l'enveloppe peut être contenue dans les limites de la cavité crânienne. Cette disposition est prouvée par l'hydrocéphale; et l'on peut avec un peu de patience pratiquer un déplissement qui la rend également sensible sur le cadavre. Il résulte de ces circonvolutions et de ces duplicatures, un grand nombre d'éminences et d'anfractuosités qui apparaissent à la surface de cet organe, et dont on n'a pu encore constater la régularité. Quand on dissèque le cerveau, en le coupant par tranches de haut en bas, ou quand on le déroule à la manière de Gall, on aperçoit un

grand nombre de parties remarquables, mais dont l'usage est resté inconnu aux physiologistes.

La moelle allongée, qui est, suivant Gall, le point central de tous les nerfs du corps humain, laisse voir sur sa partie supérieure quatre gros cordons blancs qui viennent s'y dessiner et dans le centre desquels se trouve la substance grise, ainsi que dans toute l'étendue de la médulle spinale. Ces quatre cordons sont les aboutissants de tous les nerfs qui sortent par les trous du rachis, ou, si l'on veut, des nerfs qui de toutes les parties se rendent de concert à ce centre commun.

De ces quatre cordons, les deux inférieurs, qui portent le nom d'éminences pyramidales, traversent le mésocéphale, et deviennent les cuisses ou pédoncules du cerveau. Bientôt ils se divisent en faisceaux et traversent deux masses de substance grise, dont l'une est improprement appelée couche de nerfs optiques, et l'autre corps cannelés ou striés : nous disons improprement, parce que les nerfs optiques passent sur les parties latérales de ces corps sans se confondre avec eux, pour se rendre aux tubercules quadrijumeaux antérieurs. Ces tubercules eux-mêmes font partie du cordon dont il s'agit, et sont aussi continus avec les cuisses et les éminences pyramidales, après s'être divisés dans ces renflements de substance grise.

Pour se faire une idée de la structure du cervelet, il faut revenir aux quatre cordons qui apparaissent à l'extrémité de la moelle allongée. Tandisque les deux inférieurs, les éminences pyramidales, grossis par un grand nombre d'autres faisceaux, qui ont pris naissance dans ces mêmes renflements, vont, en s'élargissant, en s'épanouissant, former les hémisphères du cerveau, les deux supérieurs, dits éminences restiformes vont fournir la substance blanche et linéaire du cervelet. En effet, ces deux cordons ne tardent pas à s'épanouir, et viennent s'unir à la substance grise qui est placée à la périphérie du cervelet. On ne saurait douter, dit M. Broussais, que la réunion de ces deux substances, qui constitue ce qu'on appelait autrefois l'arbre de vie, ne soit une membrane repliée sur elle-même. Mais Gall n'est pas encore parvenu à la déplisser.

De cette membrane repliée sur elle-même qui constitue le cervelet, partent des fibres blanches dont l'origine et les rap

ports avec les éminences restiformes ne sont pas connus. Quoi qu'il en soit, ces fibres, en convergeant les unes vers les autres, forment les pédoncules du cervelet, et viennent se réunir à un raphé, sur la surface inférieure du mésocéphale, que l'on appelle encore pont de varolle..... Ainsi, les deux hémisphères du cervelet sont construits sur le même plan que ceux du cerveau. Les uns et les autres reçoivent des fibres blanches de la moelle allongée et en fournissent d'autres qui se réunissent à leurs centres respectifs, savoir le corps calleux pour le cerveau, le mésocéphale pour le cervelet, etc.

Quant au système nerveux, il est facile de se le figurer d'après cette description, si on se le représente comme un arbre immense dont la masse encéphalique est la racine ou le tronc, et dont les ramifications innombrables, les divisions et subdivisions presque infinies vont se distribuer, à travers tout l'organisme, en filets de plus en plus ténus et déliés dans toutes les parties du corps et jusqu'aux extrémités, pour y répandre partout la sensitivité, le mouvement et la vie, et fournir à l'intelligence et à la volonté les moyens physiques d'expression et de réalisation qui leur sont nécessaires.

Tel est donc l'organe qu'il s'agit de mettre en rapport avec la pensée. Or, quelle fonction remplit-il dans la production de ce phénomène? Voilà la question que les phrénologistes prétendent résoudre.

« Le centre cérébral, dit M. Broussais, reçoit des impressions par des nerfs qu'on peut considérer comme des conducteurs ; ces impressions, nous pouvons les appeler des stimulations, puisqu'elles réveillent et exaltent la fonction cérébrale. Les nerfs qui transmettent ces émotions à l'encéphale sont visibles, leur rôle est démontré par des expériences probantes, l'effet produit est manifeste; nous pouvons donc admettre ces premières informations comme avérées.

>> Le cerveau étant stimulé réagit; c'est-à-dire, pour n'employer qué des expressions claires et définies avec exactitude, il agit après avoir reçu une stimulation. Les actes ainsi produits peuvent être divisés en quatre ordres : 1o instincts, que nous subdivisons, avec les phrénologistes, en deux espèces:

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