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chose le tact. Nous distinguons par le tact ce qui est chaud ou froid, mais nous ne touchons pas la sensation du tact, et elle n'est ni chaude ni froide. Autre est l'organe par lequel nous sentons, et la sensation que nous sentons. »

A coup sûr, dit M. Guizot, en rapportant ce passage, ni l'élévation ni la profondeur ne manquent à ces idées. Elles feraient honneur à tous les philosophes de tous les temps, et rarement la nature propre de l'âme et son unité ont été vues de plus près et décrites avec plus de précision.

CHAPITRE III.

INCOMPATIBILITÉ DE LA PENSÉE AVEC LA MATIÈRE,
PROUVÉE PAR LA NATURE MÊME DE LA PENSÉE.

Ce que nous avons dit dans le chapitre précédent nous laissera peu de choses à dire dans celui-ci sur une question qui se trouve déjà résolue par le fait. Nous n'aurons en quelque sorte besoin que de résumer les preuves qui se trouvent implicitement renfermées dans l'argumentation de M. Pariset et de Claudien Mamert.

Rien de plus simple, rien de plus indivisible que la pensée. Prenez un sentiment, une idée, une volition; cherchez à décomposer chacun de ces faits, et vous vous convaincrez qu'il n'existe et ne peut exister comme sentiment, comme idée, comme volition que sous, la condition absolue de l'unité et de l'identité. Et qu'on ne dise pas qu'il y a des sentiments complexes, des idées complexes, des volitions complexes : le phénomène interne le plus complexe est toujours un, toujours identique à lui-même. Car en supposant qu'il y ait des affections qui se composent de plusieurs autres affections, des jugements qui se composent de plusieurs autres jugements, des déterminations qui se composent de plusieurs autres déterminations, il faut toujours admettre le procédé de simplification qui ramène à l'unité d'émotion cette pluralité de sentiments, à l'unité de croyance cette pluralité de jugements, à l'unité de décision cette pluralité de déterminations, pour n'en faire qu'une seule et même affection, qu'un seul et même ju

gement, un seul et même acte, désormais indivisibles, puisqu'ils ne sauraient subsister comme sentiment, comme jugement, comme acte sui generis, dans leur état de composition ou de complexité. Considérés seulement dans les circonstances qui ont concouru à les former, ces faits peuvent paraître complexes; mais ils sont parfaitement simples, si on les considère en eux-mêmes, et comme résumant sous la loi de l'identité les divers éléments qui sont venus se confondre en eux et avec eux. Ainsi, vous aurez beau prouver que l'amour maternel est un sentiment composé de plusieurs autres sentiments, que l'idée d'homme est une idée composée de plusieurs autres idées, que la volonté de marcher est un composé de plusieurs autres volontés; vous serez obligé de convenir que l'amour maternel, en tant qu'amour maternel, que l'idée d'homme en tant qu'idée d'homme, que la volonté de marcher en tant que volonté de marcher, est une, simple, indécomposable, puisque, si vous essayez de les décomposer, vous n'avez plus l'amour maternel, mais tout autre sentiment, vous n'avez plus l'idée d'homme, mais toute autre idée, vous n'avez plus la volonté de marcher, mais toute autre volition. L'unité, la simplicité, l'indivisibilité, tels sont incontestablement les caractères de la pensée, de même que la pluralité, la multiplicité, la divisibilité sont les caractères de la matière. Or, deux choses dont la nature est si différente, dont les caractères sont si opposés, sont nécessairement inconciliables. C'est ce que nous allons démontrer par l'examen de l'hypothèse qui considèrerait la pensée comme un attribut de la matière.

Prenons d'abord nos exemples parmi les phénomènes de la sensibilité. Soit une seule sensation de douleur: cette sensation ne peut être éprouvée que par un sujet simple; car dans l'hypotèhse où le sujet sentant serait étendu et multiple, il arriverait, ou que chacune des parties dont il se compose éprouverait la sensation, et alors il n'y aurait plus une seule sensation, comme dans notre hypothhèse, mais un nombre indéfini de sensations; ou que chaque partie du sujet sentant éprouve rait une partie de la sensation; ce qui est absurde, puisqu'outre l'impossibilité évidente de diviser une sensation en tiers, quarts, cinquièmes, dixièmes de sensation, il resterait tou

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jours à dire où la totalité se trouverait réunie; ou enfin qu'une seule partie du sujet sentant éprouverait la sensation à l'exclusion de toutes les autres, et cette dernière hypothèse n'est pas moins inadmissible, car cette partie étant elle-même étendue et divisible, comme toute portion de la matière, il resterait toujours à concevoir comment cette divisibilité pourrait se concilier avec l'unité de la sensation. Si, au contraire, on suppose cette partie simple, on reconnaît ce que l'on prétendait nier, c'est-à-dire l'unité du sujet sentant, seule compatible avec l'unité de la sensation

Ce que nous avons dit des phénomènes de la sensibilité peut se dire de ceux de l'intelligence, de l'idée, du jugement, du raisonnement, etc. Soit, par exemple, l'idée de la ressemblance qui existe entre deux objets : nul ne peut percevoir un rapport de ressemblance sans avoir deux choses ou deux idées à comparer. Si le sujet qui compare et qui doit prononcer sur le rapport de ressemblance est étendu et composé de parties, ne fût-ce que de deux, où placerez-vous les deux idées, dit M. Laromiguière ? Seront-elles toutes deux dans chaque partie, ou l'une dans une partie et l'autre dans l'autre ? Choisissez : il n'y a pas de milieu. Si les deux idées sont séparées, la comparaison est impossible. Si elles sont réunies dans chaque partic, il y a deux comparaisons à la fois, deux substances, deux moi, mille, si vous supposez l'âme composée de mille parties. Mais d'ailleurs cette dernière hypothèse est impossible, puisque chaque partie étant de même nature que le tout, c'est-àdire, composée et divisible, ne peut par conséquent constituer ce centre indivisible de perception qui est absolument nécessaire pour saisir dans toute sa simplicité le rapport des deux idées; car rien n'est plus simple, plus indécomposable qu'une idée de rapport.

Le même raisonnement s'applique avec la même évidence à l'attention et à la volonté. Rien de plus simple, rien de plus indivisible que l'acte par lequel l'âme est attentive et se détermine. D'abord, c'est une chose bien démontrée, que l'attention ne peut se partager, et qu'elle se détruirait par l'effort même que ferait l'âme pour diviser son regard et le repartir en même temps sur plusieurs objets différents. Il en est de

même de la volition: elle peut être plus ou moins forte, plus ou moins faible; mais forte ou faible, elle est certainement identique à elle-même, et suppose à la fois la parfaite simplicité du sujet voulant, et l'unité du but vers lequel il tend. En un mot, le vouloir suppose nécessairement une force unique d'où part le développement d'activité qui le constitue, et une direction unique que cette force lui imprime; car cette force ne pourrait se diviser dans son action et dans son but, sans être contraire à elle-même et sans se neutraliser. Or, cette unité d'action et de tendance est incompatible avec la matière. Si le sujet voulant était composé de parties, où serait le centre d'action, où serait le principe d'activité. Si on le place dans chaque partie, l'action est divergente, en même temps que multiple; car alors il n'y a plus une seule force, une seule direction, une seule volition; mais il y a autant de volitions que de parties, autant que de principes d'activité. Si on morcelle la volition, pour en distribuer les fractions entre les diverses parties de l'âme,on divise ce qui est indivisible, on tente l'impossible, on tombe dans l'absurdité.

CHAPITRE IV.

UNITÉ ET SIMPLICITÉ DU SUJET PENSANT PROuvée par l'ideENTITÉ DU MOI ET L'UNITÉ INDIVISIBLE DE LA PERSONNE HUMAINE.

Ce que personne ne contestera, ce que la conscience affirme à chacun de nous avec une irrésistibie autorité, c'est qu'il n'y a en nous qu'un seul moi, toujours un, toujours le même, au milieu de la perpétuelle mobilité de ses émotions, de ses idées et de ses actes; c'est que la personne humaine est aussi indivisible, aussi indécomposable que chacun des faits qui se succèdent à chaque instant en elle. Nous savons d'une science certaine que les phénomènes de la pensée sont dans une continuelle instabilité; que chacun d'eux ne dure qu'un moment, pour faire place à un autre qui disparaît avec la même rapidité. Mais ce que nous savons avec une égale certitude, c'est qu'au sein de cette variété infinie, il y a quelque chose de permanent, quelque chose qui ne change pas, qui demeure tou

jours identique, qui n'admet dans son existence aucune solution de continuité, quelque chose enfin qui est le soutien indélébile de tous les phénomènes internes, et comme le lien indissoluble sans lequel tous les éléments fugitifs et isolés de la pensée ne pourraient former cette trame unie et continue qui constitue la vie intellectuelle et morale de l'homme.

Les principes que nous venons d'exprimer peuvent se résumer dans les trois propositions suivantes, dont le seul énoncé équivaut à une démonstration : 1o Quel que soit le mode actuel du moi, il en est affecté tout entier; 2o quelque nombreuses que soient les modifications éprouvées par le moi dans un même moment, il est simultanément affecté tout entier par chacune d'elles; 3° enfin quel que soit le temps qui s'est écoulé entre les différents modes qui se succèdent en nous, c'est toujours le même moi qui en est le sujet.

Nous disons d'abord que le moi est affecté tout entier par chacun des modes dont il a conscience. En effet, qui oserait soutenir que quand il est sous l'influence d'une émotion quelconque, ou quand il acquiert une connaissance, ou enfin quand il prend une détermination, ce n'est que la moitié, ou le tiers, ou le quart de lui-même qui souffre ou qui jouit, qui connaît ou qui veut ? Qui oserait dire que sa personne n'est pas engagée tout entière par la responsabilité morale d'une mauvaise action, ou d'une mauvaise intention, n'est pas tout entière atteinte par le remords qui en est le premier châtiment ? Qui oserait dire que le moi peut se diviser, de manière que le même acte ne serait imputable qu'à une partie du moi, tandis que les autres parties en seraient parfaitement innocentes ?

En second lieu, on ne peut nier que chacun de nous ne puisse simultanément éprouver cinq sensations différentes. Il est même certain que le moi n'est jamais borné à une seule sensation; car il est bien rare que les cinq sens ne soient pas affectés en même temps, chacun selon sa nature et par les causes qui ont la propriété d'agir sur lui. On ne peut nier non plus que ces cinq sensations simultanées n'aboutissent à un centre commun. Car il n'y a pas un moi qui sente par le tact, un autre par la vue, un autre par l'ouïe, un autre par l'odorat, un autre enfin par le goût. C'est un seul et même

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