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TROISIÈME PARTIE.

DÉTERMINATION ET CLASSIFICATION DES FACULTÉS DE L'AME; ORDRE DE LEUR DÉVELOPPEMENT.

Jusqu'à présent nous nous sommes horné à faire l'analyse de la pensée, et à indiquer les lois en vertu desquelles les divers éléments dont elle se compose, s'associent et se combinent dans l'esprit. Nous avons montré les rapports de ces phénomènes entre eux; leur ordre de succession; la manière dont ils se groupent, dont ils s'appellent, pour ainsi dire, les uns les autres, soit dans la pensée, soit dans le langage; leur action et leur réaction mutuelle, et ce qui résulte de leur fréquente réitération. En un mot, nous avons d'abord considéré les faits de l'esprit en eux-mêmes, nous avons cherché à les distinguer par le caractère qui leur est propre; puis nous les avons envisagés sous le point de vue des conditions selon lesquelles ils se produisent et des circonstances générales qui les accompagnent. Il nous reste à rattacher systématiquement tous ces faits aux pouvoirs qu'ils supposent, aux puissances qu'ils manifestent. Car la même loi d'unification qui ramène à l'unité d'idée ou de sentiment les impressions multiples dont le concours sert à les former, nous force de ramener à l'identité de cause tous les faits semblables.

CHAPITRE Ier.

QU'EST-CE QUE DÉTERMINER L'EXISTENCE D'une
FACULTÉ ?

Les facultés de l'âme doivent se déterminer par les faits qui s'y passent. Ce n'est que par la connaissance des phénomènes internes que je puis acquérir celle des pouvoirs où ils ont leur source; de même que je ne puis connaître la force corpo

relle d'un homme que par les résultats qu'elle est capable de produire, et que je lui ai vu produire. Les facultés de l'àme doivent donc être définies Certains pouvoirs permanents et inhérents à sa nature, en vertu desquels elle peut toujours être modifiée ou se modifier elle-même de telle manière, dans telles circonstances, et moyennant certaines conditions. Car en raison de la stabilité des lois qui le régissent, nous jugeons que l'esprit qui est actuellement le sujet de certains faits, doit être invariablement le sujet de faits semblables, toutes les fois qu'il se trouve dans les mêmes circonstances; et ce jugement, fondé sur l'induction et l'analogie, est confirmé tous les jours par l'expérience. Nous n'hésitons pas à croire qu'en nous plaçant dans telles conditions, nous ne puissions déterminer en nous telle ou telle manière d'être, et il en est effectivement ainsi.

Il en résulte que nous ne devons rapporter qu'à une seule et même puissance tous les faits analogues; en d'autres termes, qu'il n'y a de facultés dans l'àme qu'autant qu'il y a de classes de faits, comme il n'y a qu'une seule cause pour tous les faits identiques. L'observation de conscience nous donne d'abord les éléments de la pensée; la comparaison rapproche ces divers phénomènes pour en saisir les ressemblances ou les différences, et la classification les unit ou les sépare selon l'analogie ou la diversité de leurs caractères. Ainsi la classification des facultés de l'âme dépend de la classification des modes de la pensée; vraie, si l'analyse des faits est exacte, fausse, si elle est inexacte ou incomplète. Comme chaque faculté résume toute une classe de faits, la synthèse participe à la vérité de l'observation et à la justesse du point de vue.

Si donc il est vrai de dire que les facultés préexistent aux faits, ce n'est toutefois que par la connaissance des faits que nous sommes conduits à celle des facultés. Mais une fois les faits bien connus et bien classés, le système des facultés est une conséquence naturelle de cette première opération. Ainsi, quoique les facultés soient innées, la conscience ne nous les révèle que lorsqu'elles sont entrées en exercice. Mais une fois qu'elles se sont manifestées par les faits qui résultent de leur développement, elles restent présentes à la pensée, même en

l'absence des phénomènes dont elles sont le principe. Je n'ai pas besoin de souffrir actuellement pour savoir que je suis sujet à la douleur, ni de percevoir tel ou tel objet de connaissance, pour me savoir doué de la faculté de connaître. J'induis de ce que j'ai été à ce que je puis être encore, et j'agis en conséquence: je préjuge l'avenir d'après le passé. Mais ce n'est pas l'expérience seulement qui m'avertit de ma liberté. Ma liberté, ou le pouvoir que j'ai de vouloir, c'est moi-même; je la sens directement, comme je sens mon existence; et c'est dans le repos même de cette faculté que ma conscience la constate.

CHAPITRE II.

EXAMEN DES DIVERS SYSTÈMES SUR LES FACULTÉS De l'ame.

Avant d'exposer la théorie à laquelle nous ont conduit l'examen et la classification des phénomènes de la pensée, nous croyons devoir résumer d'abord les divers systèmes adoptés par les philosophes sur les facultés de l'âme, en y joignant quelques courtes observations critiques.

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Descartes n'a pas présenté de système complet et régulier sur les facultés de l'âme. Toutefois, voici l'exposition abrégée de sa doctrine telle qu'elle résulte de l'ensemble de ses ouvrages, et surtout des traités de philosophie qui ont été écrits sous l'influence de ses principes et de sa méthode.

1o L'homme a des facultés de deux espèces : les unes appartenant en propre à l'esprit, savoir : l'entendement, faculté de connaître le vrai, et la volonté, faculté de pratiquer le bien; les autres résultant de l'union de l'esprit et du corps, savoir: la sensibilité physique, l'imagination, la mémoire et la faculté de contracter des habitudes.

2o L'entendement connaît au moyen des idées et à l'aide de la réflexion, de l'attention, de la contemplation,, de l'abstraction, de la composition, de la décomposition, de la comparaison et du discernement.

3o La volonté se divise en faculté de vouloir simplement, et faculté de vouloir librement; en faculté de produire des actes extérieurs oumouvements corporels, et faculté de produire des actes intérieurs, tels que le jugement, le raisonnement, le désir, l'amour, la haine. Les jugements, produits de la volonté, ne sont jamais voulus que pour certains motifs, qui sont le sens intime, le témoignage des sens, l'évidence, le témoignage des hommes, la mémoire et l'analogie.

Il nous semble d'abord que la division des facultés en facultés propres à l'esprit et facultés résultant de l'union de l'esprit et du corps, n'est pas heureuse; outre que toutes les facultés appartiennent en propre à l'esprit, on peut nier que la mémoire, l'imagination, etc. dépendent absolument de l'union de l'esprit et du corps. La mémoire du passé est une faculté générale qui s'applique aux objets de la raison, comme aux objets des sens. Nous ne voyons pas comment l'esprit ne se souviendrait qu'à la condition d'être uni à un corps. S'il en était ainsi, l'âme perdrait donc la mémoire, par l'effet de sa séparation d'avec le système d'organes auquel elle est unie. Or, nous concevons comme très-possible que l'intelligence, en passant de cette vie à l'autre, emporte avec elle assez de germes de souvenirs, pour retrouver dans ce nouvel état une idée de celui qui a précédé. Et comme d'ailleurs, dit M. Damiron, l'immortalité n'est morale qu'à la condition de la récompense ou de la peine, et qu'il n'y a peine ou récompense qu'à la condition de la mémoire, cette possibilité de se rappeler ses actes antérieurs n'est pas simplement admissible, elle est probable au dernier point, elle l'est comme toute chose qui est nécessaire à l'ordre, et qui se prouve et se justifie par le bien qu'elle peut produire. Quant à l'imagination, nous avons déjà fait remarquer qu'elle ne s'exerce pas seulement sur les données des sens, mais qu'elle combine toutes sortes d'idées, même les plus métaphysiques. L'imagination n'est pas moins nécessaire au mathématicien, pour résoudre certains problèmes par des combinaisons numériques, qu'au poète pour composer ses descriptions par des combinaisons d'images. L'habitude résultant de la fréquente réitération des mêmes sentiments, des mêmes jugements et des mêmes volitions, nous croyons qu'il n'est pas plus

exact de dire que le corps est indispensable, pour contracter des habitudes; reste donc la sensibilité physique qui, entendue dans le sens que nous lui avons donné, ne peut effectivement exister que par l'union de l'âme à des organes matériels par lesquels lui arrivent ses sensations et auxquels elle les rapporte.

En second lieu, dire que l'entendement connaît au moyen des idées, c'est ne rien dire, ou c'est dire que l'opium fait dormir, parce qu'il a une vertu dormitive. En outre réfléchir et contempler, c'est être attentif. Tous les actes de l'esprit à l'aide desquels l'entendement connaît sont donc classés sans ordre, et mal distingués.

Enfin, le jugement, le désir, l'amour, la haine, ne sont pas des actes. Ce sont des faits sur lesquels la volonté peut influer sans doute, mais qui n'en sont pas le produit. On ne juge pas comme on le veut; on juge de telle ou telle manière en présence des objets, parce que la force de l'évidence et l'entraînement de la vérité vous obligent à juger ainsi. Si le jugement était volontaire, il n'y aurait pour l'homme ni vrai ni faux. La volonté, en s'appuyant sur des considérations fournies par l'intelligence, peut également exciter l'âme à s'attacher à tel objet ou à s'en détourner. Mais le désir, l'amour, la haine, ont leur source dans la sensibilité et non dans la volonté. On ne désire pas, on n'aime pas toujours quand on veut, et comme on le veut. Cela se prouve par la résistance que certains désirs, certaines passions opposent au vouloir qui s'efforce de les comprimer. Il n'en serait pas ainsi si ces faits dépendaient de la volonté, s'ils étaient le résultat du développement libre de l'activité humaine. Nous ferons encore observer que les motifs pour lesquels les jugements sont voulus, sont aussi mal classés que les facultés. L'évidence n'est pas un motif particulier, mais général, qui s'attache à nos diverses perceptions, et qui détermine les croyances qu'elles renferment. Il y a évidence de raison, comme il y a évidence de sens intime, comme il y a évidence des sens.

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Selon ce philosophe, l'esprit est doué de deux sortes de fa

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