Page images
PDF
EPUB

Comment expliquer tous ces faits? Car on en cite de véritablement prodigieux. Dans les exemples que rapporte Richerand, rien ne sort de la sphère des habitudes ordinaires de la vie, et par conséquent tout s'explique aisément par elles. Ainsi c'est par l'habitude qu'on peut rendre raison des actes de cet avare somnambule qui toutes les nuits allait cacher de petites sommes dans un trou de son grenier, et qui chaque jour, s'étonnait en comptant son argent, de trouver un nouveau déficit. C'est encore par l'habitude que s'explique ce qu'on raconte de plusieurs écoliers, qui se levaient la nuit pour travailler, et qui le lendemain matin étaient fortsurpris de trouver leur devoir achevé, et même mieux fait qu'à l'ordinaire. Mais l'habitude n'explique pas l'action de ces somnambules qu'on a trouvés marchant sur les toits avec une adresse et un aplomb qu'on n'attendrait même pas d'un couvreur de profession, et encore moins celle de ce prisonnier qui pendant son somnambulisme, par une des plus froides nuits d'hiver, prépara et exécuta la plus périlleuse descente le long d'un mur extrêmement élevé, couvert de verglas, et qui se serait ainsi échappé, si au moment où il était près de poser le pied sur le sol, il n'avait été saisi et réveillé en sursaut par des personnes que le ha sard avait rendues témoins de son évasion. Sans doute pour ce dernier fait surtout, l'un des plus extraordinaires que l'on puisse citer, les fortes préoccupations de la veille peuvent rendre raison des suites de pensées qui se combinèrent dans l'esprit de ce prisonnier pendant son sommeil. Le voyage presque miraculeux qu'il exécuta dans son rêve ne fut bien certainement que la réalisation d'un projet d'évasion conçu d'avance et long-temps médité. Mais c'est cette exécution même qui est inexplicable dans le sommeil des sens. Qu'on ne dise pas que le somnambule, n'étant distrait par rien, et n'ayant plus la conscience de sa faiblessse ou du danger qu'il court, peut beaucoup mieux que dans l'état de veille suivre l'impulsion qui le pousse, recueillir toutes ses forces et concentrer toutes les facultés dont il dispose sur l'objet qu'il poursuit. Il reste toujours à faire connaître comment l'application extraordinaire de l'esprit et l'énergie de la volonté peuvent dans ces cas suppléer aux indications des sens endormis, et diriger les mouvements du corps avec une préci

sion si sûre. Il faut que les représentations de la mémoire et de l'imagination soient si vives, si claires, si présentes, qu'elles équivalent aux lumières de la perception; ce qui suppose du reste que ces intuitions somnambuliques seraient impossibles si les lieux qui sont le théâtre des excursions du somnambule lui étaient absolument inconnus. il nous paraît évident qu'il agit éclairé, guidé par ses souvenirs, et que là où ce flambeau lui manque, là doit l'abandonner le merveilleux instinct qui le conduit.

[blocks in formation]

Il est probable que ce sont les phénomènes, vraiment étonnants et jusqu'ici inexpliqués, du somnambulisme naturel, qui ont suggéré de nos jours la pensée de reproduire ces phénomènes et d'autres plus prodigieux encore par des moyens artificiels ; et il faut avouer que le mystère dont ils restent enveloppés prêtait singulièrement au merveilleux et aux inventions du charlatanisme. Nous ne discuterons pas la vérité des faits qu'on cite en faveur du magnétisme animal; jusqu'à ce que des expériences bien constatées, publiques, et admises par l'universalité des savants, comme faits tout aussi indubitables que les phénomènes électriques, aient séparé ce qui appartient à l'ordre des choses naturelles, de ce qu'y ajoutent la passion, l'esprit de système, la crédulité, l'ignorance, et d'autres causes moins honorables encore, il nous sera permis de reléguer les prétendus prodiges opérés par le magnétisme animal au nombre des fables qui dans tous les siècles ont été en possession d'une vogue momentanée, depuis les miracles du thaumaturge Apollonius de Tyane, jusqu'à la découverte du transport des sens dans l'épigastre, par le docteur Pététin.

Ici encore, un passage de la psychologie de M. Bautain, qui semble être la consécration d'un système sur lequel tant de contradictions se sont élevées, nous donne lieu d'exprimer notre étonnement. Nous pensons qu'avant de prononcer des affirmations aussi absolues sur des faits qui sont loin d'avoir pour eux l'autorité de la science et de la croyance universelle, il serait prudent d'attendre que l'authenticité en fût incon

testablement reconnue. « Dans le somnambulisme, dit-il, la partie spirituelle de l'homme semble plus dégagée du corps, exaltée au-dessus des organes dont elle dépend moins; elle excrce ses facultés, accomplit ses fonctions sans leur secours et paraît plus indépendante des conditions de l'espace et du temps. Ainsi, des somnambules voient à de grandes distances et à travers des milieux opaques; ils aperçoivent dans l'intérieur du corps les causes des maladies, indiquent les remèdes convenables et la place où ils se trouvent ; ils pénètrent les pensées les plus secrètes de leurs semblables; ils semblent quelquefois converser avec des êtres d'un autre monde, etc. » Certes voilà des faits prodigieux, des faits hors nature, et qui valaient bien la peine qu'on les fit reposer sur des preuves plus solides qu'une simple assertion, qu'il est permis à chacun de révoquer en doute. L'auteur continue : << Ici, plus encore que dans les états précédents, la conscience est suspendue, et il n'y a aucun souvenir au réveil, ou quand l'esprit revient à lui-même. Comme dans le sommeil, ces personnes se voient objectivement, et de même que les enfants qui n'ont point encore la conscience du moi, elles parlent d'elles à la troisième personne; quelquefois même elles se partagent en deux, et aucune des deux n'est appelée je ou moi; mais c'est l'une qui voit l'autre et qui en parle. Voilà encore une face de la vie transcendante ou surnaturelle de l'humanité. Dans tous les temps, chez tous les peuples, on rencontre des faits de ce genre. Les maladies où ils se produisent le plus fréquemment; car c'est toujours un état maladif, causé par la rupture de l'équilibre entre l'âme et le corps; ces maladies étaient regardées par les anciens comme ayant quelque chose de sacré, morbus sacer, et de nos jours encore, chez certains peuples, ceux qui en sont affectés passent dans les familles pour des êtres privilégiés, portant bonheur à ceux qui les entourent, comme si par eux il y avait une communication plus particulière avec un monde supérieur.

[ocr errors]

Qu'on rapproche de ces considérations ce que l'histoire nous rapporte des religions de l'antiquité, des superstitions païennes, de leurs mystères, de leurs initiations, des oracles, des augures, de la divination, des sibylles, de la fureur reli

gieuse, de l'enthousiasme qui saisissait les prêtres et les prétresses et les poussait à se déchirer, à s'entretuer, à verser le sang, etc., on verra dans ces faits autant de preuves de cet état surnaturel dont nous parlons qui s'est manifesté de diverses manières dans tous les temps, et que la psychologie doit expliquer par la méthode transcendante, puisqu'il échappe à la conscience et à la réflexion de ceux qui l'éprouvent. >>

Quand une doctrine importante par elle-même et par ses conséquences se produit dans le monde, avec la prétention d'apporter de nouvelles lumières et de nouveaux bienfaits à l'humanité, et que non-seulement la science rejette comme douteux les faits sur lesquels elle s'appuie, mais que la philosophie déclaré elle-même que ces faits, en les supposant réels, sortent de l'ordre des choses naturelles, il est permis sans doute, à défaut d'une autorité purement humaine, de tenir compte des jugements de cette autorité divinement instituée, dont les décisions même provisoires sont toujours respectables, parce qu'elles sont toujours portées dans une intention morale, et à la lumière du flambeau de la religion. Or, le chef de l'Eglise a cru devoir, dans sa sagesse et dans sa prévoyance, se prononcer contre les pratiques du magnétisme. Nous n'entendons pas préjuger les motifs de haute convenance morale, qui ont déterminé l'intervention de l'autorité religieuse dans les questions dont il s'agit; mais c'est une raison de plus pour nous de soumettre à une critique sévère les théories du magnétisme, de discuter les principes et les faits dont on argumente pour les établir, de tirer des unes et des autres les conséquences qui s'en déduisent logiquement, et de mettre le lecteur en état de juger de la vérité ou de la fausseté, de l'innocence ou du danger de ces théories, ainsi que des pratiques qui en sont l'application. Il nous suffira d'exposer l'une de ces nombreuses théories, pour faire apprécier la valeur scientifique de toutes les autres, car si le système a été modifié de nos jours dans quelques-unes de ses parties, il n'en est pas moins resté fondamentalement le même que celui dont les bases ont été posées dans l'ouvrage intitulé: Entretiens sur le Magnétisme animal et le Sommeil magnétique dit somnambulisme.

L'auteur suppose l'existence d'un fluide spirituel et éthé

ré, espèce de phosphore électrico-magnétique, qui n'est visible que pour l'individu qui est en rapport magnétique avec le magnétiseur. La volonté de ce dernier, agissant sur la portion de ce fluide qui est en lui, le dirige sur l'individu avec lequel il est en rapport, et dès que le magnétisé a reçu le fluide que lui envoie le magnétiseur, il est à la disposition de celuici, qui le doue par là même d'un sixième sens, au moyen duquel il peut voir à travers les corps les plus denses, lire ce qui se passe dans l'intérieur du corps, indiquer les causes et les remèdes des maladies les plus opiniâtres, et opérer beaucoup d'autres prodiges de ce genre.

Pour rendre une personne somnambule par les moyens magnétiques, il faut que le magnétiseur mette son fluide, son feu magnétique en rapport avec celui du magnétisé, en le lui communiquant par des attouchements ou des passes réitérées. Quand par cette communication, le magnétiseur est parvenu à opérer un sommeil somnambulique complet, c'est-à-dire un sommeil pendant lequel le magnétisé puisse parler, voir, marcher, et enfin agir comme en état de veille, il existe alors un rapport tel, que le magnétiseur n'a plus besoin d'employer aucun attouchement, aucun geste pour endormir somnambuliquement le magnétisé; il lui suffit pour cela d'un mot, d'un regard exprimant sa volonté, ou simplement d'une volonté fortement sentie. Souvent même cette volonté peut agir à des distances plus ou moins éloignées, selon le plus ou moins de susceptibilité magnétique du sujet, et son plus ou moins rapport sympathique avec le magnétiseur.

Quelle peut être la cause d'un phénomène aussi étonnant? Elle me paraît très-simple, répond l'auteur. Le magnétisé a reçu par la communication électrico-magnétique une portion du fluide spirituel éthéré du magnétiseur. Cette portion du fluide l'a en quelque sorte identifié avec le magnétiseur; de manière que ce dernier conserve sur cette portion de son fluide le même pouvoir qu'il aurait sur elle, si elle existait encore dans son être. C'est l'effet d'une électricité spirituelle et éthérée dont la volonté seule du magnétiseur forme le principe d'action. Cette cause est tellement évidente, que le magnétiseur ne peut exercer ce pouvoir qu'autant que le magnétisé conserve par ses rap

« PreviousContinue »