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qui fait la gloire des hommes supérieurs, ce qui consacre leur génie, c'est l'admiration des siècles, et que cette admiration ne leur est acquise que parce qu'ils ont su parler à toutes les intelligences et à tous les cœurs.

Si nous posons en principe que nos songes sont des inspirations surnaturelles, comme les illuminations du génie, et que les êtres avec lesquels ils nous mettent en rapport, appartiennent à un monde réel, quoique inaccessible aux sens, pourquoi n'en disons nous pas autant de la folie, état non moins extraordinaire que le sommeil, et pendant lequel nous aurions le même droit de demander ce que devient l'âme, et avec quelles puissances supérieures et mystérieuses elle est en communication? Cicéron se moque très-ingénieusement dans son traité de la Divination de la prétendue science interprétative des songes: Quod si ita natura paratum esset, ut ea dormientes agerent, quæ somniarint; alligandi omnes essent, qui cubitum irent: majores enim, quàm ulli insani, efficerent motus somniantes. Quòd si insanorum visis fides non habenda, quia falsa sunt; cur credatur somniantium visis, quæ multò etiam perturbatiora sunt, non intelligo. (De Divinatione, libe xt, n 59.)

S 1er. Des rêves.

Ce qui précède avertit suffisamment nos lecteurs que dans l'examen du phénomène dont nous cherchons ici à donner l'explication, nous nous renfermerons avec soin dans les limites de l'observation psychologique, nous abstenant de toute hypothèse, et laissant de côté toute recherche de causes mystérieuses et surnaturelles. Et comme cette matière a été traitée avec beaucoup de sagacité par Dugald-Stewart, et qu'après lui, il y a peu de choses nouvelles et vraiment importantes à dire, nous nous bornerons à résumer ses observations.

Nous avons vu qu'à l'exception de ces moments de rêverie où nous laissons à nos pensées un libre cours, l'ordre dans lequel ces pensées se succèdent, est toujours, dans l'état de veille, plus ou moins réglé par la volonté. Non-seulement parmi cette multitude d'objets qui s'offrent d'eux-mêmes à

notre contemplation, il dépend de nous de fixer celui sur lequel nous voulons nous arrêter; mais encore nous sommes doués de la faculté de rappeler d'anciens souvenirs par un effort de mémoire soumis notre volonté; et cette faculté peut s'ac

croître par l'exercice.

Il n'en est plus de même pendant le sommeil. Premièrement, nos songes ont la plus grande analogie avec ces suites de pensées spontanées auxquelles nous nous livrons quelquefois pendant la veille : ce qui prouve qu'elles sont régies par les mêmes lois générales d'association auxquelles ces dernières sont soumises. En second lieu, les circonstances qui distinguent les pensées qui nous occupent pendant le sommeil, de celles qui nous occupent quand nous sommes éveillés, sont telles qu'elles doivent nécessairement résulter de la suspension de l'influence de la volonté.

Que la succession de nos pensées pendant le sommeil soit réglée par les mêmes lois générales d'association qui gouvernent notre esprit pendant la veille, c'est ce que Dugald-Stewart établit par les considérations suivantes :

1° Nos songes nous sont souvent suggérés par les impressions qu'éprouve le corps et par la disposition actuelle de nos organes. Il n'est personne qui n'en ait fait l'expérience. Le cauchemar et tous ces rêves pénibles qui accompagnent d'ordinaire les violents accès de fièvre, en sont la preuve.

2o Nos songes se ressentent de l'influence du caractère et des dispositions particulières de l'esprit. Ils varient dans leur espèce selon que nos habitudes nous portent à la tristesse ou à la gaieté. Cette règle n'est pas sans exception. Mais elle est assez générale pour nous convaincre que la disposition de l'âme a quelque effet sur nos songes, comme elle en a sur les pensées de la veille. En général, on peut dire que dans nos rêves nous nous retrouvons avec le degré de moralité qui dirige notre conscience pendant la veille, et que nos conceptions portent alors l'empreinte des sentiments et des croyances qui sont réellement en nous. Ainsi, l'on cite des exemples de meurtre ou de tentatives de meurtre exécutées pendant le sommeil, qui n'étaient bien certainement que la réalisation de pensées de vengeance conçues pendant la veille.

3o Nos songes sont affectés de l'influence des principes d'association qui nous dominent pendant la veille. Il y a peu de mathématiciens peut-être qui n'aient rêvé quelquefois à la solution d'un problème intéressant, et qui n'aient cru, dans un tel songe, s'en occuper avec succès, peu d'orateurs ou de poètes qui n'aient fait en rêvant des discours ou des vers, et qui ne se soient étonnés eux-mêmes de la facilité avec laquelle ils s'exprimaient, peu de plaideurs de profession, qui ne se soient trouvés dans leurs rêves engagés dans de longues et d'interminables procédures, et qui n'en aient suivi avec plus ou moins d'exactitude toutes les complications, sauf les incidents bizarres qui se mêlent toujours à cette réproduction des pensées de la veille, etc.

Or, remarquons ici combien tous ces faits sont contraires à l'hypothèse qui considère les songes comme une révélation surnaturelle, et comme une vue anticipée des événements futurs. Si les observations de Dugald-Stewart sont vraies, et elles le sont incontestablement, nos songes, bien loin d'être un pressentiment de l'avenir, une préconception de ce qui doit être, ne sont que la représentation plus ou moins travestie du passé; ils se rapportent non pas à ce qui sera, mais à ce qui a été. En un mot, c'est un jeu de mémoire et d'imagination, dans lequel ces deux éléments sont tellement confondus, si bizarrement combinés, qu'on peut à peine démêler les choses réelles des choses purement chimériques.

Tels sont les rapports que le songe présente avec la rêverie. Leur différence résulte de ce que dans celle-ci l'esprit conserve toujours ou du moins reprend de temps en temps une certaine activité, qui nous permet de modifier plus ou moins le cours de nos pensées, tandis que dans le rêve cette activité ne cesse pas d'être suspendue; c'est ce que prouvent les faits suivants :

1° L'extravagance de la plupart de nos rêves et les contradictions qu'ils renferment. Souvent en songe nous confondons des temps et des lieux séparés par de grands intervalles. Dans le cours d'un même rêve nous nous représentons la même personne comme existant en différentes parties du monde. Quelquefois nous croyons avoir un entretien avec un ami mort.

Tout cela prouve clairement que les sujets qui occupent alors nos pensées sont ceux qui s'offrent d'eux-mêmes à notre esprit; que nous n'avons pas le pouvoir d'employer notre raison à comparer entr'elles les différentes parties de nos rêves, ni même de faire aucun acte de rappel volontaire qui nous mette en état de juger si dans de tels rêves tout est d'accord ou possible. Non-seulement la raison perd son empire sur ces associations d'idées, puisque l'esprit ne s'aperçoit plus que très-rarément de ce qu'elles ont de contraire au bon sens, et accorde aux objets de ses conceptions une foi aussi pleine et aussi entière que celle qu'il accorde dans l'état de veille aux objets de ses perceptions; mais encore la conscience de la personnalité est souvent alterée au point que le moi, au milieu des métamorphoses qu'il subit, semble perdre son identité et quelquefois même son unité; comme dans ce rêve d'un homme qui, se croyant mort et dans le cercueil, suivait le convoi funèbre, et pleurait amèrement la perte de celui dont il accompagnait les dépouilles mortelles au cimetière, se séparant ainsi de lui-même par une abstraction bien extraordinaire, et ne laissant pas cependant de se croire l'objet des regrets que les assistants exprimaient sur le défunt.

2o L'impuissance où nous sommes de diriger nos pensées dans les rêves, d'en changer le cours, de passer à notre gré d'un sujet à un autre, de bannir de nos songes les sujets qui nous troublent, ou de retenir celles qui nous sont agréables; ce qui suppose nécessairement l'état passif de l'âme.

3o La vivacité des conceptions que renferment nos songes, et la force de la croyance à l'existence actuelle des objets qu'ils nous représentent.

Tous ces faits, du reste, prouvent que si nous n'avons aucun moyen direct d'empêcher les divagations et les combinaisons irrationnelles de nos pensées dans les rêves, nous pouvons cependant poser en principe que mieux nous savons régler pendant la veille nos idées et nos actions selon les lois de la conscience et de la raison, plus nous avons de chances pour prévenir les désordres de notre imagination pendant le sommeil.

S II. Du Somnambulisme naturel.

et

Les observations que nous venons de présenter nous paraissent ne rien laisser à désirer sous le rapport de l'exactitude. Toutefois, elles ne sont parfaitement vraies que dans l'hypothèse d'un sommeil complet. Mais il y a bien des cas dans lesquels le sommeil ne semble avoir lieu qu'en partie, et où par conséquent il est impossible d'admettre que l'esprit perd son influence sur toutes les facultés dont l'exercice dépend de la volonté. Ainsi ce n'est que par la supposition d'un sommeil partiel, qu'on explique le somnambulisme. Il faut bien que la volonté conserve son pouvoir sur quelques membres, pour que le somnambule puisse mouvoir les jambes et marcher. On est encore obligé d'accorder que l'esprit retient son influence sur quelques facultés volontaires et sur les organes soumis à leur action, pour rendre compte des rêves à haute voix, surtout des rêves avec paroles et conversation. Nous avons connu des personnes qui, en dormant, répondaient avec une parfaite présence d'esprit, à toutes les questions qu'on leur adressait, distinguant avec beaucoup de sagacité celles de ces questions qui leur paraissaient indiscrètes, et refusant d'y répondre, en exprimant leur mécontentement; ce qui supposerait l'usage de la réflexion. Il y a même des somnambules qui agissent avec une telle suite, et dont certains actes paraissent tellement le résultat du calcul et du raisonnement, qu'il serait bien difficile de marquer avec précision les limites qui séparent cette espèce de sommeil de l'état de veille. Et cependant on ne peut admettre qu'ils agissent avec la pleine jouissance de leur raison et de leur liberté. On a vu, dit Richerand dans sa Physiologie, des somnambules se lever, se vêtir, sortir de la maison, en ouvrant et en refermant soigneusement toutes les portes, bêcher au jardin, tirer de l'eau d'un puits, tenir des discours raisonnables et suivis, puis se réveiller sans conserver aucun souvenir de tout ce qu'ils avaient fait ou dituant leur sommeil. Cet état, ajoute-t-il, est tous bien dangereux; car les somnambules, n'étant point avertis par leurs sens des choses qui menacent leur existence, ne peuvent éviter aucun des dangers qui se trouvent sous leurs pas.

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