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ou elle n'est pas. Si elle est, elle est pleine et entière; si elle n'est pas, il y a doute, il y a suspension de l'affirmation, c'està dire tout le contraire de la certitude.

Selon que l'objet du jugement ou de la croyance est une vérité nécessaire ou contigente, la certitude est inconditionnelle et absolue, ou conditionnelle et hypothétique. La certitude qui s'attache aux objets de l'induction est conditionnelle; celle qui s'attache aux objets de la raison intuitive est absolue.

On divise encore la certitude en médiate et immédiate. La certitude médiate est celle que l'on acquiert par voie d'induction et de déduction, lorsque l'esprit est conduit de l'observation des faits particuliers à la loi qui les régit, ou d'un principe déjà connu à ses conséquences, par la liaison intime qui les unit. La certitude immédiate est celle qui se produit dans l'âme, sans intermédiaire, de première vue, et par l'effet de la clarté soudaine qui manifeste l'objet, et qui emporte irrésistiblement l'adhésion de l'esprit. La certitude est immédiate à l'égard de toutes les données de l'intuition, de tous ces faits primitifs, de toutes ces vérités premières et indémontrables qui sont le fondement de toutes les autres et le point de départ de la connaissance humaine, en un mot, de tout ce qui dans l'esprit humain est antérieur à toutes les combinaisons de la raison, et est la base de tout raisonnement et de toute démonstration.

Enfin la certitude s'appelle physique, métaphysique ou morale, suivant la différence des objets auxquels elle s'applique, c'est-à-dire, selon que le jugement se rapporte, ou aux phénomènes qui nous sont connus par la perception sensible, ou aux êtres et aux rapports dont la connaissance nous est transmise par la raison, ou aux faits qui nous sont attestés par le sens intime, et que nous admettons sur l'autorité du témoignage des hommes.

Quelques philosophes distinguent la certitude subjective de la certitude objective, en se fondant sur le langage vulgaire, qui consacre cette double locution: Je suis certain de telle chose, et talle chose est certaine. Nous rejetons ce double sens, comme pouvant donner lieu à des équivoques. Ce qu'on appelle ici certitude objective n'est autre chose que ce que nous

appelons évidence. Dire d'une chose qu'elle est certaine, c'est dire qu'elle est évidente, c'est-à-dire qu'elle est vraie, puisqu'il n'y a d'évident que la vérité, c'est-à dire qu'elle se montre si clairement à l'esprit, qu'elle l'entraîne invinciblement à croire à la réalité de son existence ou de ses caractères. Nous conserverons donc au mot certitude le sens subjectif que nous lui avons donné.

On comprend d'ailleurs que l'évidence étant relative, la certitude doit l'être par conséquent. Ce qui est évident pour l'un, ce qui se fait voir très clairement à son intelligence, peut être très-obscur pour l'autre. Mais il n'en résulte pas que nous ayons droit de nier tout ce qui ne se montre pas clairement à nous. Il ne suffit pas qu'une chose soit perceptible pour être perçue, il faut encore que le sujet soit capable de la percevoir. Il y a donc des conditions préalables à remplir de la part de l'intelligence, pour qu'elle puisse se mettre en rapport avec la vérité. La lumière qui éclaire un objet ne se révèle que par la lumière de la connaissance qui est dans l'esprit; il faut que l'esprit soit apte à se laisser pénétrer par la lumière de l'objet, et c'est souvent cette aptitude ou cette préparation qui manque. Ainsi parce qu'un ignorant ne saisit pas telle vérité, ne comprend pas, par exemple, tel problème de géométrie, s'ensuit-il qu'il pourra s'autoriser de l'absence de la certitude en lui, pour nier la solution de ce problème, qu'un mathémɛticien comprend parfaitement, et qui est pour lui d'une complète évidence? Il y a dans le monde une foule de réalités qui manquent d'évidence pour quelques-uns, mais qui n'en sont pas moins des réalités. Ceux auxquels n'apparaît pas cette évidence n'ont qu'une chose à faire ; c'est de se mettre dans la situation d'esprit où sont tous ceux auxquels cette évidence s'est manifestée pleinement, c'est-à-dire, d'étudier, d'examiner, d'acquérir enfin les lumières indispensables pour que la vérité pénètre dans leur âme et brille aux yeux de leur intelligence.

Nous n'admettons pas que la certitude puisse nous tromper, c'est-à-dire, qu'elle puisse s'établir dans l'esprit autrement que par la force même de la vérité. Car la vérité seule peut y déterminer ce calme absolu qui exclut tout ce qui ressemble

au doute. Si ce calme absolu pouvait accompagner l'erreur, nous n'aurions plus aucun moyen de distinguer le faux et le vrai. Que tout homme descende au fond de sa conscience, et il reconnaîtra que toutes les fois qu'il n'a pas été pleinement en possession de la vérité, il n'a jamais été exempt de quelque anxiété, de quelque soupçon d'erreur, de quelque incertitude; que jamais sa croyance n'a été aussi ferme, aussi invincible, aussi inébranlable que celle qui naît de l'évidence. La certitude, quoique subjective de sa nature, est donc un criterium de vérité, non pas par elle-même et prise isolément, mais comme signe d'évidence, comme fait révélateur de la présence et de la réalité de l'objet. Entre l'évidence et la certitude il y a le même rapport qu'entre la cause et l'effet. L'une n'est pas possible sans l'autre. Toute supposition contraire nous conduirait à cette conséquence, que Dieu lui-même pourrait nous induire en erreur, par des croyances fausses et cependant irrésistibles.

6o De la Conviction.

Quand nous avons la certitude, nous nous sentons attachés à l'objet de notre croyance d'une manière invincible. Cette attachement que nous ne pouvons vaincre, ce lien intellectuel que nous ne pouvons rompre, recoit le nom de conviction. La conviction est donc un acquiescement de l'esprit fondé sur la force d'une évidence irrésistible et victorieuse. Il en résulte que la conviction ne trompe jamais; ce dont on est parfaitement convaincu ne peut être faux. Car la conviction étant l'effet de l'évidence, et l'évidence n'étant que la manifestation de la vérité ou de ce qui est réellement, si la conviction pouvait tromper, il faudrait dire que la vérité elle-même pourrait n'être pas vraie et nous induire en erreur: ce qui est absurde.

S II. De la croyance résistible.

La croyance résistible est celle qui résulte de certains accidents de l'esprit, tels que les passions, les préjugés de naissance, de secte ou de parti, les intérêts individuels, les préventions fondées sur la haine ou l'amour, certaines préoccupations, certaines habitudes qui nous portent à envisager les choses sous

tel aspect plutôt que sous tel autre, à associer nos idées de telle ou telle manière, ou qui nous empêche de donner aux objets l'attention nécessaire. Sous l'influence de ces causes se forment en nous des croyances plus ou moins durables, plus ou moins résistibles, mais dont aucune n'est inébranlable. La croyance résistible n'est autre chose que l'opinion, qui s'appuie sur la probabilité, comme le jugement s'appuie sur l'évidence, et qui est accompagnée de confiance et de persuasion, comme le jugement l'est lui-même de certitude et de conviction.

1° De l'Opinion.

Une opinion est toujours fondée sur quelque motif; mais elle diffère du jugement, en ce que la volonté proprement dite n'entre pour rien dans la formation de celui-ci, tandis qu'elle entre toujours pour quelque chose dans la formation de nos opinions. En un mot, le jugement est un fait qui résulte de la constitution même de l'esprit humain et de ses rapports naturels avec les choses; l'opinion est quelque chose de factice, qui dépend de l'usage volontaire que nous faisons de notre raison et de la manière dont il nous plaît d'associer et de combiner nos idées.

Les motifs sur lesquels se fonde le plus ordinairement l'opinion sont de fausses analogies et des inductions hasardées. Très-souvent l'inattention, la légèreté, l'amour-propre, la honte d'avouer notre ignorance, la précipitation, quelquefois même la nécessité d'agir nous portent à donner notre assentiment, sans attendre que la volonté soit forcée irrésisti– I lement par l'évidence. Alors, au lieu de suspendre notre adhésion, et d'épuiser tous les moyens d'observation, en envisageant l'objet sous toutes ses faces, nous nous hâtons de former notre synthèse, lorsque nous ne possédons encore que quelques portions de vérité, nous contentant de quelques lueurs imparfaites, et prenant la vraisemblance pour la vérité, la partie pour le tout, et souvent nos propres désirs pour l'évidence.

L'opinion se forme aussi très-fréquemment sous l'influence du témoignage d'autrui. Lorsque ce témoignage est soumis au

contrôle légitime de la raison, il peut déterminer en nous une certitude aussi inébranlable que celle qu'y détermine la perception directe. La vérité des faits qui nous sont attestés par les autres peut être aussi évidente pour l'esprit que celle des faits dont nous sommes nous-mêmes les témoins. Ainsi, je crois à l'existence d'Athènes et de Rome que je n'ai jamais vues, avec autant de force que je crois à l'existence de Paris et de Versailles que je connais par moi-même. Mais tant que le témoignage d'autrui n'a pas été contrôlé, il ne peut produire en nous qu'une opinion plus ou moins probable, qu'une croyance plus ou moins résistible, que la vérification des motifs de crédibilité peut ou confirmer pleinement et changer en certitude, ou faire évanouir d'un instant à l'autre.

Mais quelques exemples feront mieux comprendre la distinction que nous établissons entre le jugement et l'opinion. Je suppose qu'un homme accusé d'un crime soit amené devant un tribunal composé de deux juges, dont l'un ait pris une exacte connaissance de l'affaire, ait prêté, pendant tout le cours des débats, une religieuse attention à tout ce qui a été dit de part et d'autre, soit pour le soutien de l'acte d'accusation, soit pour la défense de l'accusé, aux dépositions des témoins, soit à charge, soit à décharge, aux déclarations des experts, etc., ait enfin acquis toutes les lumières nécessaires pour pouvoir seiemment prononcer, soit sur le point de fait, soit sur le point de droit; dont l'autre, au contraire, ait été constamment distrait, préoccupé de choses étrangères à la cause, ou même ait été plongé dans le sommeil pendant toute la durée des assises. Cependant les débats sont terminés, et le moment est venu de décider du sort du prévenu. Le premier, sans aucun doute, aura senti se former en lui une certaine croyance, soit en faveur de l'innocence, soit en faveur de la culpabilité de l'accusé; croyance irrésistible, si nous supposons que l'ensemble des faits et des témoignages forme une masse de preuves suffisante pour déterminer la certitude et la conviction. Celui-là donc sera en état de condamner ou d'absoudre avec une pleine et entière connaissance de cause, et sa sentence, motivée sur l'évidence même, sera un véritable jugement, un jugement tiré du fond mê:ne de la conscience.

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