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ses sens d'une manière spéciale. Selon que celle-ci l'exige, exerce plus particulièrement sa vue, son ouïe, son toucher, on odorat ou son goût, et cette action, cet exercice développe des sentiments et des idées analogues.

CHAPITRE IV.

ÉLÉMENTS DE LA PERCEPTION.

L'analyse de la perception en général nous fera connaître une autre loi de l'esprit humain, qu'il n'est pas moins important de constater: c'est la triplicité d'éléments dont toute perception se compose.

Cette pluralité d'éléments est incontestable. Elle est reconnue par toutes les logiques, et démontrée par la plus simple analyse du langage. En effet, percevoir, c'est à la fois connaître, croire et affirmer. Prenons pour exemple soit la perception externe, soit la perception de conscience. Qu'estce que percevoir la solidité dans un corps que nous touchons? c'est 1° avoir la notion ou l'idée de cette solidité; 2° c'est croire qu'elle doit être affirinée comme réellement existante au moment où elle nous oppose résistance; 3o c'est affirmer intérieurement qu'elle existe en effet. Qu'est-ce que percevoir en soi une sensation? c'est 1° avoir la notion ou l'idée de la douleur dont on est affecté; 2o c'est croire que cette douleur doit être affirmée comme réelle au moment où on l'éprouve ; 3° c'est affirmer mentalement qu'elle existe en effet. Notion, croyance, affirmation mentale, tels sont les trois. éléments dont se compose invariablement toute perception. Chacun de ces trois éléments sera l'objet d'un examen particulier,

ARTICLE Iez. De la notion ou idée.

Et d'abord qu'est-ce que l'idée ? ce n'est pas la croyance ; ear toute croyance s'appuie sur une notion et ne se confond pas avec elle; on ne croit pas sans une connaissance quelconque. Ce n'est pas non plus l'affirmation; car l'affirmation, étant l'adhésion de l'esprit à une chose, suppose une croyance,

et par conséquent une idée qui en soit la base. L'esprit n'adhère qu'à ce qu'il croit. Il ne peut y avoir adhésion proprement dite là où manquent absolument la foi et la connaissance.

D'un autre côté, l'idée n'est pas un acte de l'esprit. L'attention donne à l'idée la clarté qui lui manque; mais elle ne la crée pas. Il est bien vrai que toute idée sensible est le produit d'une pluralité d'impressions organiques ramenées à l'unité; mais cette unification des impressions s'explique sans recourir à l'intervention de l'activité de l'âme, puisque, étant une et simple, il est dans sa nature de tout concevoir sous la forme de l'unité. Dire que l'idée est un acte de l'esprit, ce serait dire que l'esprit se fait à lui-même ses idées, qu'il en est lui-même le créateur, qu'il est par conséquent tout-à-fait indépendant des objets dans la formation de ses connaissances; il en résulterait que cette unification des impressions serait une opération factice, relevant uniquement du libre arbitre, et n'exprimant par conséquent rien autre chose que la volonté se faisant à elle-même sa vérité, son monde et son univers. Si l'idée était un acte d'affirmation, comme le prétend M. Buchez, c'està-dire, selon sa définition, un acte volontaire, que prouverait cet acte par rapport à la réalité des objets de la pensée ? Rien autre chose que le moi affirmant de telle ou telle manière. Un pareil système conduit tout droit au scepticisme. Il est vrai que M. Buchez, après avoir défiai l'idée un acte d'affirmation, ajoute, en vertu d'une connaissance préexistante. Il reconnaît donc que pour pouvoir affirmer, il faut une notion préalable. Mais cette notion, mais cette connaissance préexistante, n'est-ce pas là précisément ce qu'il faut appeler idée.

Concluons donc de toutes ces considérations que l'idée est une modification passive de l'esprit, qu'elle se forme d'abord dans l'âme indépendamment de la volonté, mais qu'elle y est à l'état de notion ou de conception vague et obscure, jusqu'à ce que l'attention, ce soleil de l'intelligence, en réagissant sur elle, vienne en préciser, pour ainsi dire, les formes et les contours, par la lumière qui lui est propre.

La notion, ou idée, n'est pas seulement un élément de toute perception; elle se trouve encore dans tout sentiment d'amour ou de haine, de désir ou de crainte, comme dans tout acte

d'attention ou de volition : car l'amour et la haine, le désir et la crainte supposent nécessairement la connaissance de leur objet ignoti nullus amor, nulla cupido. Il en est de même de la volition, qui suppose la conception du but que l'on se propose, et de l'attention, qui suppose un objet déjà connu, au moins d'une manière imparfaite. Ainsi distinguée de tous les modes de l'esprit auxquels elle est unie et sans lesquels elle peut exister, elle est alors ce que les scolastiques appelaient simple appréhension : ce que nous devons toutefois nous garder d'entendre dans le sens de l'hypothèse qui considérait l'idée comme une entité intermédiaire entre l'esprit et les objets. L'idée n'a point d'existence hors de l'âme, c'est un mode de l'âme qui lui est identique; en un mot, l'idée, c'est le sujet connaissant, comme la sensation, c'est le sujet sentant. Toute autre manière de la concevoir nous ferait retomber dans les erreurs de l'ancienne scolastique.

SIer. Division des idées.

Les idées peuvent être considérées soit dans leur objet, soit dans leur rapport de conformité avec leur objet, soit enfin en elles-mêmes ou dans leur nature.

1oQuel que soit l'objet de nos reconnaissances, ce ne peut être qu'une qualité corporelle, ou un phénomène spirituel, ou un étre, ou un rapport.

Nous appellerons idées sensibles, celles qui nous viennent par les sens externes, et qui ont pour objet les phénomènes du monde matériel. Exemple : l'idée de solidité est une idée sensible.

Nous appellerons idées spirituelles celles que nous devons au sens intime, et qui ont pour objet, les états, ou les opérations de l'esprit. Exemple: l'idée de sensation est une idée spirituelle.

Nous donnerons le nom d'idées intellectuelles à celles que nous devons à la raison, et qui ont pour objet soit les étres, soit leurs rapports. Exemple: les idées de substance et de cause, de temps et d'espace, d'unité et d'infini, de ressemblance et de différence, de supériorité, et d'infériorité, etc. sont des idées intellectuelles,

Enfin nous appellerons idées morales, celles que nous devons au sens moral, et qui ont pour objet la distinction du bien et du mal, du juste et de l'injuste, du mérite et du démérite. Éxemple: les idées de devoir, de vertu et de vice, sont des idées

morales.

Outre cette première division des idées considérées dans leur objet, on peut encore les diviser en simples et complexes, en abstraites et concrètes, en factices et adventices, en individuelles et générales, en nécessaires et contingentes, en absolues et relatives.

L'idée simple est celle dont l'objet est rigoureusement un et indécomposable : Par exemple, l'idée de négation, d'affirmation, d'unité; mais celles de machine, d'horloge, d'animal, sont complexes, par la raison contraire.

L'idée est abstraite, quand son objet est ou une qualité conçue abstraction faite de la substance à laquelle elle est unie; ou une substance conçue indépendamment des qualités qui lui sont inhérentes. L'idée est concrète quand elle a pour objet la qualité et la substance réunies l'une à l'autre, comme elles le sont dans la réalité. L'idée de solidité est abstraite, celle de solide ou de corps est concrète.

On appelle idée adventice celle qui est le produit de la nature et de l'action des objets avec lesquels nous sommes en rapport; et idée factice, celle qui est le produit de l'imagination et des combinaisons de l'esprit.

L'idée est individuelle, quand elle a pour objet un individu, et générale, quand elle a pour objet une chose commune à un plus ou moins grand nombre d'êtres, c'est-à-dire une espèce ou un genre. L'idée de Pierre est individuelle. L'idée d'homme est générale.

On entend par idées nécessaires, celles dont l'objet est conçu comme ne pouvant pas ne pas être ; et par idées contingentes celles dont l'objet est conçu comme pouvant être ou n'être pas, indifféremment. Ainsi, l'idée de Dieu est nécessaire, celle du monde est contingente.

Enfin, l'idée absolue est celle dont l'objet n'admet ni plus, ni moins ; et l'idée relative celle dont l'objet est susceptible de

plus ou de moins. L'idée de l'infini est absolue, celle du fini relative.

2o Les idées, considérées dans leur rapport avec leur objet, sont réelles ou chimériques, selon que l'objet conçu existe ou n'existe pas réellement; vraies ou fausses, selon qu'elles sont conformes ou non conformes à leur objet; complètes ou incomplètes, selon que l'objet qu'elles représentent est conçu avec tous les caractères ou tous les éléments qui lui appartiennent dans la réalité, ou avec quelques caractères ou quelques éléments de moins.

3o Enfin les idées, considérées en elles-mêmes et dans leur nature, se divisent en réfléchies et spontanées, claires et obscures, distinctes et confuses. L'idée claire et distincte est celle que nous apercevons tout entière, ou plutôt celle dont nous connaissons nettement les rapports, ce qui n'a lieu que lorsqu'elle a été l'objet du travail de la réflexion. L'idée obscure et confuse est celle qui naît spontanément en nous, avant tout acte d'attention. La clarté doit appartenir plus spécialement aux idées simples, tandis que l'obscurité est plus particulièrement le caractère des idées complexes.

SII. Des idées complexes ou compréhensibles.

Parmi les idées dont nous venons de donner la division, il en est plusieurs qui, en raison de leur importance, méritent une attention particulière ce sont les idées complexes, les idées abstraites et les idées générales. Nous allons d'abord nous occuper des idées complexes.

:

L'idée complexe, avons-nous dit, est celle dont l'objet est décomposable, c'est-à-dire formé d'éléments qui existent au mème point de l'espace et du temps et qui sont unis et impliqués les uns dans les autres. Ainsi, l'ensemble des facultés de l'âme, ou des qualités d'un même corps forment ce qu'on appelle un complexe; et il en est de même de tous les objets de la création et de tous les produits de l'activité humaine qui ne peuvent pas être ramenés rigoureusement à l'unité. Ainsi une maison, une ville, un royaume pris individuellement sont des objets complexes.

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