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puissance intellectuelle, et de pénétrer, autant qu'il est possible à notre nature bornée, dans les abîmes de l'infini et de l'éternité.

Alors, en présence de ces vérités surhumaines, on a vu des hommes animés d'un saint enthousiasme, transportés sur les ailes de la foi et de l'amour, jusque dans les régions célestes, et comme illuminés par un rayon d'en haut, entrer, pour ainsi dire, en communication avec l'esprit de Dieu même, et trouver accès dans un monde où nulle intelligence d'homme n'avait encore pénétré. Alors l'auteur des livres Des Noms divins et De la céleste Hiérarchie, nous introduit en quelque sorte dans le secret de la nature divine, et nous ouvre les portes du ciel. Alors les saint Anselme, les saint Bonaventure, les sainte Hildegarde nous transmettent les résultats de leurs contemplations sublimes, et nous prouvent que rien n'est impossible à celui qui croit et qui aime. Alors l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ, de ce livre le plus parfait qui soit sorti de la main des hommes, puisque l'évangile n'en vient point, pose en principe, dans chacune de ses pages immortelles, que la souveraine sagesse consiste à tendre au royaume du ciel par le mépris du monde, à détacher son cœur de l'amour des choses visibles, pour le porter tout entier vers les invisibles; que tout vient du Verbe éternel; que de lui procède toute parole, qu'il en est le principe, et que c'est lui qui parle au dedans de nous, que plus un homme est recueilli en lui-même et dégagé des choses extérieures, plus son esprit s'étend et s'élève sans aucun travail, parce qu'il reçoit d'en-haut la lumière de l'intelligence. Heureux, dit-il, celui que la vérité instruit ellemême, non par des figures et des paroles qui passent, mais en se montrant telle qu'elle est ! O vérité, s'écrie-t-il, plus loin, ô vérité qui êtes Dieu, faites que je sois avec vous dans un amour éternel!

Ainsi, dans le moyen-âge, l'école contemplative s'efforçait de ranimer dans les âmes la vie du cœur que l'école logique, par ses froides dissections de l'intelligence, tendait à éteindre et à dessécher complètement. Ses travaux et ses tendances furent une réaction nécessaire contre les abstractions de la métaphysique aristotélicienne, qui avaient envahi tout l'enseigne

ment, et au milieu desquelles l'esprit humain aurait fini par se perdre. Tandis que l'école dialecticienne, se revêtant des formes rigoureuses de la philosophie grecque, s'occupait de la vérité uniquement dans ses rapports avec l'intelligence, et fondait ses spéculations sur des combinaisons abstraites, s'inquiétant fort peu de mettre la science en harmonie avec les besoins intimes de l'âme, l'école mystique, se rapprochant par sa méthode de la philosophie indienne et platonicienne, cherchait à établir l'harmonie de l'esprit et du cœur, de la puissance de connaître et de la puissance d'aimer, et, dédaignant la vérité abstraite, ramenait toutes les spéculations à l'amour, et ne se reposait que dans les méditations qui sont à la fois esprit et vie.

SECONDE SECTION.

DE LA VOLONTÉ EN GÉNÉRAL.

De même, avons-nous dit, que l'attention est l'auxiliaire et le complément de la perception, de même la volition est l'auxilaire et le complément du désir. La volition est donc à l'action ce que l'attention est à la connaissance, c'est-à-dire un moyen de réalisation, sans lequel l'homme serait complètement inerte. Il en résulte que la volition peut être définie : l'effort de l'esprit pour déterminer dans les organes un mouvement conforme aux désirs et aux tendances quelconques qui se manifestent en lui, soit qu'il s'agisse de satisfaire aux besoins du corps, et d'éloigner ou de rapprocher de lui ce qui peut lui nuire ou lui être utile, soit qu'il se propose un but purement intellectuel ou moral. La volition étant un déploiement d'énergie interne, la mise en action du principe de causalité qui est en nous suppose nécessairement un pouvoir inhérent à l'âme, celui d'agir par sa propre force, celui de mouvoir à son gré le système d'organes qui lui est uni, et de réagir au moyen de l'instrument dont elle dispose, sur les causes extérieures.

Ce pouvoir, c'est la volonté, faculté supérieure, qui lui assure le gouvernement de sa vie, mais qui toutefois ne la rend véritablement maîtresse d'elle-même, que lorsque la réflexion lui a donné la pleine conscience de ce qu'elle est et de ce

qu'elle peut. Car la volonté se déploie de deux manières : spontanément ou librement, et elle est spontanée avant d'être libre. La spontanéité elle-même se produit sous deux formes diverses, sous la forme de l'instinct et sous celle de l'habitude. Nous traiterons successivement des volitions instinctives, des volitions libres et des volitions d'habitude.

CHAPITRE PREMIER.

DES VOLITIONS INSTINCTIVES..

Parmi les mouvements qui s'opèrent dans nos organes, et qui constituent le phénomène de la vie physiologique, il en est un certain nombre qui sont entièrement soustraits à l'empire de la volonté, tels que la circulation du sang, le travail de la digestion et de l'assimilation des aliments, l'agitation fébrile, le tremblement nerveux qui se manifeste sous l'influence de la terreur ou d'une violente colère, les contractions musculaires qui ont lieu soit dans les convulsions, soit dans les attaques d'épilepsie, l'irritation nerveuse qui constitue le tétanos, Dans tous ces cas, la force d'impulsion est hors de l'âme, qui sent alors que le corps est soustrait à son empire, et qu'il est. entièrement gouverné par les lois de la nature.

etc.

Mais il est d'autres mouvements sur lesquels la volonté exerce incontestablement son action, ou même qui n'ont lieu qu'à son commandement, Ainsi, je puis à mon gré précipiter, ralentir, ou suspendre, au moins pendant quelques instants, ma respiration. Ainsi encore, je puis élever ou abaisser volontairement le voile de mes paupières, je puis résister pendant quelque temps à la faim, à la soif, et håter ou ajourner le moment de satisfaire aux besoins mêmes les plus naturels et les plus impérieux. Ici nous supposons que le moi jouissant de toute sa liberté, s'en sert pour modifier les fonctions corporelles, selon ses convenances, et préside avec inte ntion et con naissance de cause aux mouvements organiques.

Mais il est des moments où le jeu des organes qui sont soumis à l'influence de la volonté s'accomplit sans réfléxion, sans délibération, saus aucune des conditions qui constituent

les actes libres. Ainsi, la plupart du temps, le mouvement alternatif d'inspiration et d'expiration s'opère sans attention. Or, dira-t-on que ce mouvement est purement mécanique ? S'il en était ainsi, il devrait être soustrait à l'empire de la volonté, comme le mouvement circulatoire du sang dans les artères, comme le mouvement de dissolution et d'assimilation des substances alimentaires ingérées dans l'estomac. Or, le contraire est prouvé par l'expérience de tous les hommes. C'est un fait incontestable que la respiration est toujours soumise à l'action de la volonté, au moins dans l'état normal. Mais il est tout aussi certain que les volitions qui commandent son mouvement alternatif sont originairement et dans l'état ordinaire, des volitions instinctives.

Mais ici qu'appelons-nous instinct ? Dirons-nous, avec Condillac, que l'instinct n'est qu'une habitude privée de réflexion, ou, avec le même, qu'il n'est qu'une imagination dont l'exercice n'est point du tout à nos ordres, mais qui par sa vivacité concourt parfaitement à la conservation de notre être ? Ces définitions ne sont ni claires ni exactes. L'instinct n'est pas l'habitude. L'instinct est naturel, l'habitude est factice, elle n'a rien de primitif; c'est une seconde nature, qu'on se donne à soi-même. Il n'est pas plus vrai de dire que l'instinct est une imagination. L'imagination suppose l'intelligence, et l'instinct est aveugle. C'est une nécessité intérieure qui nous pousse, sans que nous nous en rendions compte; c'est un penchant, c'est une inclination qui nous entraîne en vertu d'une force qui n'est pas la nôtre et dont par conséquent nous ne pouvons avoir conscience. C'est ainsi que l'entendait Buffon, si nous en jugeons par ces paroles: Le sentiment, dit-il, ou plutôt la faculté de sentir, l'instinct, qui n'est que le résultat de cette faculté, et le naturel, qui n'est que l'exercice habituel de l'instinct, guidé et même produit par le sentiment, ne sont pas à beaucoup près les mêmes dans les différents étres. L'étymologie du mot justifie cette explication. évTil piquer en dedans, présente l'idée d'une excitation inté rieure, d'un stimulant qui agit sur l'âme, mais dont le principe n'est point en elle. Nous allons voir avec quelle exactitude tout ceci s'applique à notre exemple,

Le besoin et le désir de respirer sont continuels ; c'est une loi de notre nature, puisque la respiration est une condition de vie. Or c'est un principe incontestable que l'homme est entièrement passif dans le besoin et dans le désir. Si l'âme était douée seulement de sensibilité, elle serait capable de souffrir, mais incapable d'agir. Ce n'est donc pas dans le désir que nous devons chercher la cause du mouvement qui satisfait au besoin de respirer, mais dans la volonté, qui agit alors sans réflexion, sans liberté, et comme déterminée fatalement par une certaine nécessité interne attachée à notre nature. Nous voulons respirer, et nous respirons, mais sans conception et sans délibération de nos actes, qui sont pour nous imperceptibles, parce que notre activité se déploie à l'instigation d'un besoin continu, qui, étant toujours satisfait, échappe par cela même à la conscience, ainsi que la suite de volitions qui y correspond. Ainsi encore, quand une lumière trop vive blesse mes yeux, j'abaisse instinctivement ma paupière, pour me soustraire à la cause d'une sensation pénible. Ici, ma volonté est également aux ordres de la nature; c'est ce stimulant dont nous parlions tout-à-l'heure, c'est-à-dire, l'instinct de la conservation, qui détermine un développement d'activité conforme au besoin du moment; comme c'est au même instinct que j'obéis, quand perdant l'équilibre, et ne pouvant me retenir dans ma chute, je porte machinalement les mains en avant, pour me garantir le visage. Dans ces différents exemples, la volonté est certainement en jeu, mais elle se produit avec un caractère particulier qui se distingue parfaitement de tous ceux qu'il nous reste à décrire.

CHAPITRE II.

DES VOLITIONS LIBRES.

L'enfant qui vient de naître, et qui, sans se rendre compte de ce qu'il fait, guidé par la seul. instigation de la nature, cherche le sein de sa nourrice, s'y attache, et, par un mécanisme dont il perd le secret aussitôt qu'il n'en a plus besoin, en tire l'aliment salutaire qui convient à son âge, n'agit pas librement. L'activité qu'il déploie est une force aveugle, sans

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