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dividus qui appartiennent à une même espèce ne se transmettent-ils pas tous par voie de génération? Qu'est-ce donc qui distinguera la race de l'espèce qui la contient? D'abord, les caractères qui distinguent les individus appartenant à une race de ceux de toute autre portion de la même espèce, ne déperdent jamais de différences organiques fondamentales; car ces diverses races peuvent engendrer ensemble des petits capables de reproduire indéfiniment leurs semblables. En second lieu, ces caractères ne se transmettent par voie de génération que tant que le milieu, les mœurs, en un mot, les circonstances qui ont présidé à l'origine de la race, restent les mêmes; car on remarque que sous l'influence de milieux et de mœurs différents, la race disparaît, et que même la variété qui la constitue met à s'effacer un temps moins long qu'elle n'en a mis à se produire.

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La contemplation est cette troisième forme de l'attention que nous avons distinguée de l'observation et de la réflexion. Elle peut être définie : L'acte par lequel l'esprit détournant son regard des choses sensibles, et cessant de l'arrêter sur lui-même et sur ses propres modes, le dirige vers le monde idéal, vers les choses purement intelligibles.

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La contemplation, dit M. Bautain, est, dans l'ordre intellectuel, ce que la prière est dans l'ordre moral, une élévation de l'âme vers Dieu. Ces deux choses se trouvent presque toujours réunies dans les âmes d'élite. Aux cœurs purs, il a été promis qu'ils verront Dieu, l'éternelle vérité; car la vie véritable consiste à le connaître, et ce sera un jour leur félicité suprême. Du reste, dans cette haute sphère, l'attention suit encore les mêmes lois. Dominée par l'unité, elle est l'instrument de la lumière et de la vie; elle est pénétrante et féconde. Elle met l'intelligence en rapport intime avec les idéaux, et c'est par elle seulement qu'on peut participer aux trésors de vérité et de science qu'ils contiennent, et dont ils enrichissent les âmes qui communiquent avec eux. Ainsi apparaissent à l'esprit humain ces grandes idées qui, placées au-dessus de

l'espace et du temps, surpassent les sens, l'imagination, la raison, et valent pour tous les temps et pour tous les lieux; idées universelles, comme les idéaux dont elles sont le reflet, et qui peuvent seules donner des principes aux sciences et aux institutions de la terre, tandis que tout ce qui se montre dans le monde sensible, tout ce qui frappe les sens est concret, individuel; et tout ce qui est pensé dans le monde rationnel est général, abstrait, par conséquent contingent et relatif. »

Ainsi, selon M. Bautain, la contemplation s'élevant audessus des sens et des combinaisons de la raison inductive et déductive, s'attache uniquement aux données de la raison intuitive, c'est-à-dire à ces notions universelles et nécessaires qui sont indépendantes du raisonnement et de l'expérience, que Platon appelait proprement idées, dont Dieu lui-même était, selon lui, la substance, et qu'il considérait comme les types éternels de toutes choses. Mais quelles sont ces notions nécessaires? C'est la notion de l'Être des êtres, de la cause universelle, de la puissance infiuie, de l'éternité, de l'immensité, de la justice souveraine, de la sainteté suprême, du vrai, du bien et du beau absolu, en un mot, de la perfection.

Le procédé de l'intuition date des premiers jours du monde. Il a été mis en œuvre aussitôt que l'homme a eu jour sur un monde autre que le monde visible, c'est-à-dire aussitôt que Dieu, se révélant à son intelligence, a ouvert devant lui l'abime incommensurable des mystères du monde invisible, les profondeurs infinies de son éternité et de son immensité. C'est là que sa pensée cherchant à pénétrer l'impénétrable, à comprendre l'incompréhensible, s'efforce de soulever les voiles qui lui cachent la vérité infinie, et parvient quelquefois à saisir, au milieu des ténèbres divines dont elle s'enveloppe, quelques lueurs échappées de cet océan de lumière qui ne brille de tout son éclat que dans les cieux..

L'histoire nous fait connaître les efforts que l'homme a fait dans tous les temps, pour s'élever par l'intuition à la connaissance des choses du monde invisible. Ainsi, la plupart des conceptions théogoniques renfermées dans les védas sont évidemment le résultat de la contemplation, s'exerçant sur des restes de traditions antiques et s'efforçant de saisir dans son unité

substantielle et infinie, dans sa pureté primitive la notion de Dieu, et par elle le secret de la production des êtres. C'est également au procédé de l'intuition que la philosophie hindoue a dû ses principaux, ou du moins ses premiers développements. Car elle est d'abord si spiritualiste, si indépendante des sens et de la raison, qu'elle finit par absorber le monde dans l'unité divine, le fini dans l'infini. Il est aisé de reconnaître les traces du même procédé dans les conceptions primordiales de la Chine et de la Perse. Dieu, selon le zendávesta, est aussi l'unité première, la source des êtres; mais au lieu d'embrasser Dieu sous son caractère complet, les Perses considèrent seulement un aspect de l'infini. Dieu, c'est l'éternel, ou l'infini en durée ; c'est le temps sans bornes. Dans l' YKing, ce que la pensée de l'auteur conçoit de primitif ou de radical en Dieu, c'est ce quelque chose d'incompréhensible qui ne se laisse concevoir que comme le support, la base suprêle me de tout ce qui est, ou, pour parler le langage chinois, grand comble, sur lequel tous les êtres appuient leur existence, et qui est identifié à la raison primitive. Selon Lao-Tseu le premier principe de toutes choses, c'est cette raison primordiale, être sublime, indéfinissable, qui n'a de type que luimême, et dont le un est la substance. Dans toutes ces spéculations de la philosophie antique, comme dans les théories cosmogoniques de Pythagore et de Platon, comme dans les doctrines mystiques de l'école païenne d'Alexandrie, on sent que la pensée est sortie tout-à-fait des voies tracées par l'expérience commune, pour s'élancer à la poursuite de cet inconnu mystérieux qu'elle entrevoit, et qui se dérobe à ses méditations, à mesure qu'elle se croit plus près d'embrasser son objet. Si jamais l'esprit humain a déployé tout ce qu'il a de puissance, c'est sans contredit dans ces contemplations sublimes où les Platon, les Cicéron, etc., se sont presque élevés à la hauteur des idées chrétiennes. Mais si ces grands hommes ont dû les plus hautes conceptions de leur philosophie au procédé de l'in tuition, de quelles déplorables erreurs l'abus de cette méthode n'a-t-il pas été la source, depuis la grande erreur du panthéisme, jusqu'aux folies de l'illuminisme et de la théurgie ?

La méthode contemplative est donc loin d'ètre toujours un

guide sûr et fidèle. Elle plait aux esprits élevés et méditatifs, parce qu'elle laisse un libre essor à l'imagination, parce qu'en lui ouvrant les espaces illimités de la spéculation et de l'idéal, elle flatte le penchant qui l'emporte vers les régions de l'infini. Mais aussi, en jetant la pensée dans le vague, elle l'expose à substituer de sublimes chimères aux réalités connues, elle l'encourage à se créer un monde fantastique au milieu duquel il est d'autant plus à craindre que l'enthousiasme ne se développe outre mesure, qu'il ne s'exalte jamais avec plus de force que lorsque l'esprit, dupe de lui-même, croit saisir l'incompréhensible, et être en possession de la vérité absolue. Alors la contemplation devient extase, cet état voisin de la folie, par lequel les Jamblique et les Porphyre prétendaient pouvoir s'unir intimement à Dieu, recevoir par voie d'illumination directe les communications de l'intelligence infinie, puiser à sa source même la science et la vie, et même disposer de la puissance divine pour commander aux démons, s'affranchir des conditions de l'humanité, et par le moyen des vertus théurgiques, opérer la transformation de l'homme en Dieu. Partout, l'abus de la méthode intuitive a conduit à des conséquences analogues. L'homme s'exagère aisément sa puissance intellectuelle, et une fois lancé dans le monde des idéalités, il est bien rare qu'il s'arrête tout juste au point où la raison a posé la limite qui sépare le vrai de l'imaginaire, et qu'il ne perde pas bientôt de vue ces réalités vulgaires, ce positif de la vie, qu'il dédaigne, parce que, en lui rappelant sa faiblesse et sa misère, il humilie son orgueil, et désenchante son imagination. La philosophie arabe a eu aussi son école enthousiaste. Tophaïl, dans une espèce d'épopée mystique intitulée : De l'Homme de la Nature, essaie d'établir que l'homme sans aucun commerce avec ses semblables, seul en présence de la nature, peut, par les seules forces de son esprit, s'élever de contemplation en contemplation, jusqu'à l'union intuitive avec Dieu. Partant de ce principe que les sens et l'imagination ne perçoivent que ce qui se passe et périt, il en conclut que la raison doit se séparer de toutes les notions sensibles, qu'elle doit éteindre aussi l'imagination, et que quiconque veut s'élever à l'intuition de la vérité, doit imiter le mouvement circulaire des astres, pour

se procurer des étourdissements qui effacent dans son esprit toute trace, tout souvenir du monde et des phénomènes. Dans cet état d'isolement, l'intelligence de l'homme, affranchie de tout obstacle matériel, se trouve en rapport direct avec Dieu. Tout ce qui est individuel s'est évanoui; l'être seul, l'être absolu lui apparaît dans son essence, et elle comprend alors que rien n'existe, que rien ne peut exister hors de cette essence, qui est l'unique réalité. (Précis de l'Histoire de la Philosophie de Juilly.)

Il est remarquable que c'est à cette conclusion panthéistique que viennent aboutir presque tous les systèmes fondés sur le procédé de l'intuition, tous ceux du moins qui ont été formulés en dehors des croyances évangéliques. La méthode contemplative n'est réellement sans danger que sous l'influence et sous la direction de la foi chrétienne, parce qu'en fixant l'esprit sur des vérités positives, certaines, appuyées sur le témoignage même de Dieu, en déterminant ainsi clairement, distinctement ce qui doit être l'objet de la contemplation, elle empêche l'imagination de se perdre dans le vague, faute de base solide sur laquelle l'intelligence puisse fonder l'édifice de ses conceptions transcendantes. Dans l'ordre des croyances chrétiennes, tout est précisé, défini, arrêté : la notion de Dieu et de ses attributs, la nature divine, l'origine et la création de l'homme, sa chute, sa régénération par le sang de l'HommeDieu, sa fin derniere, son immortalité, etc. Il n'est pas jusqu'aux dogmes les plus inaccessibles à la raison humaine, jusqu'aux mystères les plus impénétrables, qui ne puissent, comme signes de la puissance, de la bonté et de la charité divines, devenir, malgré leur incompréhensibilité, la matière des plus sublimes méditations. Ici la vérité est toute faite; ici, la parole révélée se manifeste avec toutes ses profondeurs sans doute, mais aussi avec ses clartés célestes; ici, en un mot, le monde divin se révèle à l'intelligence humaine avec toutes ses obscurités comme avec toutes ses splendeurs; et la pensée, cessant enfin d'errer dans l'idéal et dans l'indéfini, peut s'arrêter sur des objets de contemplation assez positifs pour ne point sortir de la sphère des réalités, et cependant assez mystérieux pour fournir au génie l'occasion de déployer tout ce qu'il a de

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