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N'approche pas, & Mort! ô Mort, retire-toi !
Mécénas fut un galant homme :

Il a dit quelque part: Qu'on me rende impotent;
Cul-de-jatte, goutteux, nanchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content,
Ne viens jamais, ô Mort, on t'en dit tout autant.

Le Chêne et le Roseau.

LE chène un jour dit au roseau :

Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête:

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon; tout me semble zéphyr.
Encor, si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrois de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel: mais quittez ce souci ;
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables:
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disoit ces mots,
Du bout de l'horison accourt
avec furi e

Le plus terrible des enfans

Que le nord eût porté jusques-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts;

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,
Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts.

Volucris telo sauciata.

ICTU Lethifero pennatæ fixa sagittæ,
Tristia flebiliter fata dolebat avis.
Ergone, clamabat gemino cruciata dolore,
Sufficere in propriam cogimur arma necem?
E nostris, fera gens, homines, id vellitis alis,
In nostrum undè genus mors volitare queat.
Parcite sed nobis illudere, ferrea corda ;

Sæpe premunt paribus vos quoque fata malis.
Uni Japetidum parti pars altera semper
Tela ministrabit, tela nociva sibi.

Duo Asini.

LONGA auris binos ducebat agaso veredos
Regis more tenens lignea sceptra manu.
Fert faciles alter, vehitur quo spongia, gressus;
Ceu pede festino nuntius ire solet.

Sed crebris alter stimulis et voce premendus,
Sal lentè, veluti vitrea vasa, gerit.

Per juga, per valles, par nobile, perque salebras
Deveniunt, alto qua fluit unda vado.
Hærent ad ripam; solitus transire fluentum
Conscendit pecudis terga prioris herus;
Et flagro sociam præcedere cogit inertem,
Ferrea cui cervix impatiensque regi.
Præcipitem cerebrosa cavo se bestia misit:
Hinc tamen emergens proxima fata fugit.
Scilicet innabat medio dum gurgite, totus
Diffluit in tenues sal resolutus aquas.

Tunc nimium pondus, quod mente gerebat iniquâ,
Totum humeris asinus sentit abesse suis.
Gestit idem tentare comes, quo spongia fertur ;

Credulam ovem ducit sic aliena fides;

L'Oisea

L'Oiseau blessé d'une flèche.

MORTELLEMENT atteint d'une flèch e empennée, Un oiseau déploroit sa triste destinée ;

Et disoit, en souffrant un surcroît de douleur:
Faut-il contribuer à son propre malheur ?
Cruels humains! vous tirez de nos ailes

De quoi faire voler ces machines mortelles!
Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié :
Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre.
Des enfans de Japet toujours une moitié

Fouraira des armes à l'autre.

Les deux Anes.

UN ânier, son sceptre à la main,
Menoit, en empereur Romain,
Deux coursiers à longues oreilles.

L'un, d'éponges chargé, marchoit comme un courrier,
Et l'autre, se faisant prier,

Portoit, comme on dit, les bouteilles:
Sa charge étoit de sel. Nos gaillards pélerins,
Par monts, par vaux, et par chemins,

Au gué d'ane rivière à la fin arrivèrent,
Et fort empêchés se trouvèrent.

L'ânier, qui tous les jours traversoit ce gué-là,
Sur l'âne à l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre bête,
Qui, voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis s'échappa:
Car au bout de quelques nagées
Tout son sel se fondit si bien,
Que le baudet ne sentit rien
Sur ses épaules soulagées.

Camarade épongier prit exemple sur lui

Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui.

Arcadicus nester,

collo tenus,

abditur undis:

bibendo

Una mergantur spongia, agaso, pecus: Spongia non parcè bibit; illam æquare

Egregiè certat bestia, certat home.

Spongia sed gravior dum mole tumescit aquarum,
Succumbens asinus littus adire nequit.

Hunc trepidus sessor pressis amplectitur ulnis,
Quòd celerem et certam credat adesse necem,
Præstat opem quidam miserans: ecquis! nihil ad rem.
Me, tantum mores instituisse juvat.

Non eadem in cœptis isdem via cuique tenenda;
Tendebat lepidis húc mea musa médis.

Lupus factus Pastor.

PASSUS fortè lupus jejunia longa, dolebat,
Quod vacuum in ventrem rara veniret ovis.
Vertamus nos ad vulpinas ( expedit) artes
ait.
Personamquè novam sustineamus,
Protinus induitur vestem upilionis, et aptat
Hirsutis humeris vile vetusque sagum:
Rustica et adjicitur de colio fistula pendens,
Fitque pedum extremâ parte recurvâ, salix;
Certiùs ut fallat, velit inscripsisse galero:
Hujus ego Lycidas pastor amorque gregis.
Dein tacito Lycidas sycophanta accedere gressa
Crura superponens anteriora pedo.

Tum Lycidain verum Lycidam sopor altus habebat
Gramineo stratum languida membra toro."
Sopitusque canis, simul et sopita cicuta:
Securas pariter somnus habebat oves.
Parcit mentitus pastor turbare quietem,

Ad sua jam meditans ducere lustra gregem.
Nil factum censet, vocem nisi vestibus addat:
Incipit hinc ferri res bend capta, retrò,

Voilà mon âue à l'eau, jusqu'au col il se plonge, Lui, le conducteur, et l'éponge.

Tous trois burent d'autant l'âuier et le grison

Firent à l'éponge raison.
-Celle-ci devint si pesanté,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,
Que l'âne succombant ne put gagner le bord.
L'ânier l'embrassoit, dans l'attente
D'une prompte et certaine mort,

Quelqu'un vint au secours: qui ce fut, il n'importe.
C'est assez qu'on ait vu par-là qu'il ne faut point
Agir chacun de même sorte.
J'en voulois venir à ce point.

Le Loup devenu Berger.

UN loup qui commençoit d'avoir petite part
Aux brebis de son voisinage,

Crut qu'il falloit s'aider de la peau du renard,
Et faire un nouveau personnage.
Il s'habille en berger, endosse un hoquetón,
Fait sa houlette d'un bâton,

Sans oublier la cornemuse.

Pour pousser jusqu'au bout la ruse,

Il auroit volontiers écrit sur son chapeau :
«C'est moi qui suis Guillet, berger de ce troupeau.
Sa personne étant ainsi faite,'

Et ses pieds de devant posés sur sa hoalette,
Guillot le sycophante approche doucement.
Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l'herbette,
Dormoit alors profondément :

Son chien dormoit aussi, comine aussi sa musette ;
La plupart des brebis dormoient pareillement.
L'hypocrite les laissa faire ;

Et

pour pouvoir mener vers son fort les brebis Il voulut ajouter la parole aux habits,

Chose qu'il croyoit nécessaire.
Mais cela gâta son affaire;

Il ne put du pasteur contrefaire la voix.

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