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LUCAS, le tirant encore. Eh! tétigué! point tant de compliments, je vous

supplie.

SCANARELLE. Ne voulez-vous pas que je me réjouisse avec vous d'un si bel assemblage?

LUCAS. Avec moi tant qu'il vous plaira; mais avec ma femme trève de sarimonie.

SGANARELLE. Je prends part également au bonheur de tous deux. Et si je vous embrasse pour vous témoigner ma joie, je l'embrasse de même pour lui en témoigner aussi. (Il continue le même jeu.)

LUCAS, le tirant pour la troisième fois. Ah! vartigué! monsieu le médecin, que de lantiponages!

SCÈNE V.

GÉRONTE, SGANARELLE, LUCAS, JACQUELINE.

GÉRONTE. Monsieur, voici tout à l'heure ma fille qu'on va vous amener. SGANARELLE. Je l'attends, monsieur, avec toute la médecine.

GÉRONTE. Où est-elle ?

SGANARELLE, se touchant le front. Là-dedans.

GÉRONTE. Fort bien.

SCANARELLE. Mais, comme je m'intéresse à toute votre famille, il faut que j'essaie un peu le lait de votre nourrice et que je visite son sein. (Il s'approche de Jacqueline.)

LUCAS, le tirant et lui faisant faire la pirouette. Nannain, nannain, je n'avons que faire de ça.

SCANARELLE. C'est l'office du médecin de voir les tétons des nourrices. LUCAS. Il gnia office qui quienne, je sis votre sarviteur.

SCANARELLE. As-tu bien la hardiesse de t'opposer au médecin? Hors de là. LUCAS. Je me moque de ça.

SGANARELLE, en le regardant de travers. Je te donnerai la fièvre.

JACQUELINE, prenant Lucas par le bras et lui faisant faire aussi la pirouette. Ote-toi de là aussi. Est-ce que je ne sis pas assez grande pour me défendre moi-même s'il me fait queuque chose qui ne soit pas à faire ?

LUCAS. Je ne veux pas qu'il te tâte, moi.

SGANARELLE. Fi le vilain qui est jaloux de sa femme!

GÉRONTE. Voici ma fille.

SCÈNE VI.

LUCINDE, GÉRONTE, SGANARELLE, VALÈRE, LUCAS, JACQUELINE.

SCANARELLE. Est-ce là la malade?

GÉRONTE. Oui. Je n'ai qu'elle de fille, et j'aurois tous les regrets du monde si elle venoit à mourir.

SGANARELLE. Qu'elle s'en garde bien. Il ne faut pas qu'elle meure sans l'ordonnance du médecin.

GERONTE. Allons, un siége.

SCANARELLE, assis entre Géronte et Lucinde. Voilà une malade qui n'est pas tant dégoûtante, et je tiens qu'un homme bien sain s'en accommoderoit assez.

CÉRONTE. Vous l'avez fait rire, monsieur.

SGANARELLE. Tant mieux; lorsque le médecin fait rire le malade, c'est le

meilleur signe du monde. (à Lucinde.) Eh bien! de quoi est-il question? Qu'avez-vous? Quel est le mal que vous sentez?

LUCINDE, portant sa main à sa bouche, à sa téte et sous son menton. Han, hi, hon, han.

SGANARELLE, Eh! que dites-vous?

LUCINDE continue les mêmes gestes. Han, hi, hon, han, han, hi, hon.
SCANARELLE. Quoi?

LUCINDE. Han, hi, hon.

SCANARELLE. Han, hi, hon, han, ha. Je ne vous entends point. Quel diable de langage est-ce là?

CÉRONTE. Monsieur, c'est là sa maladie. Elle est devenue muette sans que jusques ici on en ait pu savoir la cause, et c'est un accident qui a fait reculer son mariage.

SCANARELLE. Et pourquoi?

GERONTE. Celui qu'elle doit épouser veut attendre sa guérison pour conclure les choses.

SGANARELLE. Et qui est ce sot-là, qui ne veut pas que sa femme soit muette? Plût à Dieu que la mienne eût cette maladie! je me garderois bien de la vouloir guérir.

GÉRONTE. Enfin, monsieur, nous vous prions d'employer tous vos soins pour la soulager de son mal.

SCANARELLE. Ah! ne vous mettez pas en peine. Dites-moi un peu, ce mal l'oppresse-t-il beaucoup?

GÉRONTE. Oui, monsieur.

SCANARELLE. Tant mieux. Sent-elle de grandes douleurs?

GERONTE. Fort grandes.

SGANARELLE. C'est fort bien fait. Va-t-elle où vous savez?

GERONTE. Oui.

SGANARELLE. Copieusement?

GERONTE. Je n'entends rien à cela.

SGANARELLE. La matière est-elle louable?

CERONTE. Je ne me connois pas à ces choses.

SCANARELLE, à Lucinde. Donnez-moi votre bras. (à Géronte.) Voilà un pouls qui marque que votre fille est muette.

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GÉRONTE. Eh oui! monsieur, c'est là son mal; vous l'avez trouvé tout du premier coup.

SCANARELLE. Ah! ah!

JACQUELINE. Voyez comme il a deviné sa maladie!
SCANARELLE. Nous autres grands médecins nous connoissons d'abord les

choses. Un ignorant auroit été embarrassé et vous eût été dire: C'est
ceci, c'est cela; mais moi je touche au but du premier coup, et je
vous apprends que votre fille est muette.

GERONTE. Oui; mais je voudrois bien que vous me pussiez dire d'où cela vient.

SCANARELLE. Il n'est rien de plus aisé. Cela vient de ce qu'elle a perdu la

parole.

GÉRONTE. Fort bien; mais la cause, s'il vous plaît, qui fait qu'elle a perdu

la parole?

SGANARELLE. Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c'est l'empêchement de l'action de sa langue.

GÉRONTE. Mais encore, vos sentiments sur cet empêchement de l'action de sa langue?

SCANARELLE. Aristote, là-dessus, dit... de fort belles choses.
GÉRONTE. Je le crois.

SGANARELLE. Ah! c'étoit un grand homme.

GERONTE. Sans doute.

SGANARELLE. Grand homme tout-à-fait (levant le bras depuis le coude.); un homme qui étoit plus grand que moi que tout cela. Pour revenir donc à notre raisonnement, je tiens que cet empêchement de l'action de sa langue est causé par de certaines humeurs qu'entre nous autres savants nous appelons humeurs peccantes, c'est-à-dire... humeurs peccantes; d'autant que les vapeurs formées par les exhalaisons des influences qui s'élèvent dans la région des maladies, venant... pour ainsi dire... à... Entendez-vous le latin?

GERONTE. En aucune façon.

SGANARELLE, se levant brusquement. Vous n'entendez point le latin?
GÉRONTE. Non.

SCANARELLE, avec enthousiasme. Cabricias arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo, hæc musa, la muse, bonus, bona, bonum. Deus sanctus, est-ne oratio latinas? Etiam, oui. Quare, pourquoi? Quia substantivo et adjectivum concordat in generi, numerum, et casus. GÉRONTE. Ah! que n'ai-je étudié!

Jacqueline. L'habile homme que vlà!

LUCAS. Oui, ça est si biau que je n'y entends goutte.

Scanarelle. Or, ces vapeurs, dont je vous parle, venant à passer du côté gauche où est le foie, au côté droit où est le cœur, il se trouve que le poumon, que nous appelons en latin armyan, ayant communication avec le cerveau, que nous nommons en grec nasmus, par le moyen de la veine cave, que nous appelons en hébreu cubile, rencontre en son chemin lesdites vapeurs qui remplissent les ventricules de l'omoplate; et parce que lesdites vapeurs... Comprenez bien ce raisonnement, je vous prie; et parce que lesdites vapeurs ont certaine malignité... Écoutez bien ceci, je vous conjure.

GERONTE. Oui.

SCANARELLE. Ont une certaine malignité qui est causée... Soyez attentis, s'il vous plaît.

GERONTE. Je le suis.

SCANARELLE. Qui est causée par l'âcreté des humeurs engendrées dans la concavité du diaphragme, il arrive que ces vapeurs... Ossabandus, nequeis, nequer, potarinum, quipsa milus. Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette.

JACQUELINE. Ah! que ça est bian dit! notre homme.

LUCAS. Que n'ai-je la langue aussi bian pendue!

GÉRONTE. On ne peut pas mieux raisonner, sans doute. Il n'y a qu'une seule chose qui m'a choqué; c'est l'endroit du foie et du cœur. Il me semble que vous les placez autrement qu'ils ne sont; que le cœur est du côté gauche et le foie du côté droit.

Sganarelle. Oui, cela étoit autrefois ainsi; mais nous avons changé tout cela, et nous faisons maintenant la médecine d'une méthode toute nouvelle.

GÉRONTE. C'est ce que je ne savois pas, et je vous demande pardon de mon ignorance.

SCANARELLE. Il n'y a point de mal; et vous n'êtes pas obligé d'être aussi habile que nous.

GÉRONTE. Assurément. Mais, monsieur, que croyez-vous qu'il faille faire à cette maladie?

SCANARELLE. Ce que je crois qu'il faille faire?
GERONTE. Oui.

SGANARELLE. Mon avis est qu'on la remette sur son lit et qu'on lui fasse
prendre pour remède quantité de pain trempé dans du vin.
GERONTE. Pourquoi cela, monsieur?

SGANARELLE. Parce qu'il y a dans le vin et le pain, mêlés ensemble, une

vertu sympathique qui fait parler. Ne voyez-vous pas bien qu'on ne donne autre chose aux perroquets et qu'ils apprennent à parler en mangeant de cela?

GERONTE. Cela est vrai. Ah! le grand homme; vite, quantité de pain et de

vin.

SCANARELLE. Je reviendrai voir, sur le soir, en quel état elle sera.

SCÈNE VII.

GÉRONTE, SGANARELLE, JACQUELINE.

SGANARELLE, à Jacqueline. Doucement, vous. (à Géronte.) Monsieur, voilà une nourrice à laquelle il faut que je fasse quelques petits remèdes.

JACQUELINE. Qui? moi? Je me porte le mieux du monde.

SGANARELLE, Tant pis, nourrice, tant pis. Cette grande santé est à craindre;

et il ne sera pas mauvais de vous faire quelque petite saignée amiable, de vous donner quelque petit clystère dulcifiant.

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