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Soudain pour l'étouffer rappellant ma raison,

J'ai pleuré quand la gloire entroit dans leur maison.
Mais aujourd'hui qu'il faut que l'une ou l'autre tombe,
Qu'Albe devienne efclave, ou que Rome fuccombe,
Et qu'après la bataille il ne demeure plus

Ni d'obstacle aux vainqueurs, ni d'espoir aux vaincus,
J'aurois pour mon pays une cruelle haine,
Si je pouvois encore être toute Romaine;
Et fi je demandois votre triomphe aux dieux
Au prix de tant de fang qui m'eft fi précieux.
Je m'attache un peu moins aux intérêts d'un homme,
Je ne fuis point pour Albe, & ne fuis plus pour Rome,
Je crains pour l'une & l'autre en ce dernier effort,
Et ferai du parti qu'affligera le fort.

Egale à tous les deux jufques à la victoire,

Je prendrai part aux maux fans en prendre à la gloire ;
Et je garde, au milieu de tant d'âpres rigueurs,
Mes larmes aux vaincus, & ma haine aux vainqueurs.
JULIE.

Qu'on voit naître fouvent de pareilles traverfes
En des efprits divers des paffions diverses,
Et qu'à nos yeux Camille agit bien autrement!
Son frere eft votre époux, le vôtre eft fon amant,
Mais elle voit d'un cil bien différend du vôtre,
Son fang dans une armée, & fon amour dans l'autre.
Lorfque vous conferviez un efprit tout Romain,
Le fien irréfolu, le fien tout incertain,
De la moindre mêlée appréhendoit l'orage,
De tous les deux partis déteftoit l'avantage,
Au malheur des vaincus donnoit toujours fes pleurs,
Et nourriffoit ainfi d'éternelles douleurs.

Mais hier quand elle fut qu'on avoit pris journée,
Et qu'enfin la bataille alloit être donnée,

Une foudaine joie éclatant fur fon front...

SABINE.

Ah, que je crains, Julie, un changement fi prompt!

Hier dans fa belle humeur elle entretint Valere,
Pour ce rival, fans doute, elle quitte mon frere,
Son efprit ébranlé par les objets préfens

Ne trouve point d'abfent aimable après deux ans.
Mais excufez l'ardeur d'une amour fraternelle,
Le foin que j'ai de lui me fait craindre tout d'elle,
Je forme des foupçons d'un trop léger sujet,
Près d'un jour fi funefte on change peu d'objet,
Les ames rarement font de nouveau bleffées,
Et dans un fi grand trouble on a d'autres pensées :
Mais on n'a pas auffi de fi doux entretiens,
Ni de contentemens qui foient pareils aux fiens.

JULIE.

Les causes, comme à vous, m'en femblent fort obfcures
Je ne me fatisfais d'aucunes conje&ures.

C'est affez de constance en un fi grand danger
Que de le voir, l'attendre, & ne point s'affliger;
Mais certes c'en eft trop d'aller jufqu'à la joie.
SABINE.

Voyez qu'un bon génie à propos nous l'envoie.
Effayez fur ce point à la faire parler,

Elle vous aime affez pour ne vous rien celer:
Je vous laiffe.

SCENE II.

CAMILLE, SABINE, JULIE.

SABINE.

M

A fœur, entretenez Julie;
J'ai honte de montrer tant de mélancolie,
Et mon cœur accablé de mille déplaisirs,
Cherche la folitude à cacher fes foupirs.

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U'elle a tort de vouloir que je vous entretienne! Croit-elle ma douleur moins vive que la fienne, Et que plus infensible à de fi grands malheurs, A mes triftes difcours je mêle moins de pleurs ? De pareilles frayeurs mon ame eft alarmée, Comme elle je perdrai dans l'une & l'autre armée. Je verrai mon amant, mon plus unique bien, Mourir pour fon pays, ou détruire le mien, Et cet objet d'amour devenir pour ma peine Digne de mes foupirs, ou digne de ma haine. Hélas!

JULIE.

Elle eft pourtant plus à plaindre que vous. On peut changer d'amant, mais non changer d'époux. Oubliez Curiace, & recevez Valere,

Vous ne tremblerez plus pour le parti contraire,
Vous ferez toute nôtre, & votre esprit remis
N'aura plus rien à perdre au camp des ennemis.

CAMILLE.

Donnez-moi des confeils qui foient plus légitimes,
Et plaignez mes malheurs fans m'ordonner des crimes.
Quoiqu'à peine à mes maux je puisse résister,
J'aime mieux les fouffrir, que de les mériter.
JULIE.

Quoi? Vous appellez crime un change raisonnable?
CAMILLE.

Quoi? Le manque de foi vous femble pardonnable?

JULIE.

Envers un ennemi qui peut nous obliger!
CAMILLE.

D'un ferment folemnel qui peut nous dégager ?.
JULIE.

Vous déguifez en vain une chofe trop claire.
Je vous vis encor hier entretenir Valere,
Et l'accueil gracieux qu'il recevoit de vous
Lui permet de nourrir un espoir affez doux,
CAMILLE.

Si je l'entretins hier & lui fis bon visage,
N'en imaginez rien qu'à son désavantage,
De mon contentement un autre étoit l'objet ;
Mais pour fortir d'erreur fachez-en le fujet.
Je garde à Curiace une amitié trop pure,
Pour fouffrir plus long-temps qu'on m'estime parjure.
Il vous fouvient qu'à peine on voyoit de sa fœur
Par un heureux hymen mon frere poffeffeur,
Quand pour comble de joie il obtint de mon pere
Que de ses chaftes feux je ferois le falaire.
Ce jour nous fut propice & funefte à la fois,
Uniffant nos maifons, il défunit nos rois,
Un même inftant conclut notre hymen & la guerre,
Fit naître notre efpoir, & le jetta par terre,
Nous ôta tout fi-tôt qu'il nous eut tout promis,
Et nous faisant amans, il nous fit ennemis.
Combien nos déplaiûrs parurent lors extrêmes,
Combien contre le ciel il vomit de blafphêmes,
Et combien de ruiffeaux coulerent de mes yeux!
Je ne vous le dis point, vous vîtes nos adieux.
Vous avez vû depuis les troubles de mon ame,
Vous fayez pour la paix quels vœux a faits ma flamme,
Et quels pleurs j'ai verfés à chaque événement,
Tantôt pour mon pays, tantôt pour mon amant.
Enfin mon défefpoir, parmi ces longs obftacles,
M'a fait avoir recours à la voix des oracles;

Ecoutez fi celui qui me fut hier rendu
Eut droit de raffurer mon efprit éperdu.
Ce Grec fi renommé qui depuis tant d'années
Au pied de l'Aventin prédit nos destinées,
Lui qu'Apollon jamais n'a fait parler à faux,
Me promit par ces vers la fin de mes travaux.
Albe & Rome demain pendront une autre face,
Tes vœux font exaucés, elles auront la paix,
Et tu feras unie avec ton Curiace,

Sans qu'aucun mauvais fort t'en sépare jamais.
Je pris fur cet oracle une entiere affurance,
Et comme le fuccès paffoit mon espérance,
J'abandonnai mon ame à des ravifferens
Qui paffoient les transports des plus heureux amans.
Jugez de leurs excès. Je rencontrai Valere,
Et contre fa coutume il ne put me déplaire,
Il me parla d'amour fans me donner d'ennui,
Je ne m'apperçus pas que je parlois à lui,
Je ne lui pus montrer de mépris ni de glace,
Tout ce que je voyois me fembloit Curiace,
Tout ce qu'on me difoit me parloit de fes feux,
Tout ce que je difois l'affuroit de mes vœux.
Le combat général aujourd'hui fe hazarde,
J'en fus hier la nouvelle, & je n'y pris pas garde,
Mon efprit rejettoit ces funeftes objets
Charmé des doux penfers d'hymen & de la paix.
La nuit a diffipé des erreurs fi charmantes,
Mille fonges affreux, mille images fanglantes,
Ou plûtôt mille amas de carnage & d'horreur
M'ont arraché ma joie, & rendu ma terreur.
J'ai vu du fang, des morts, & n'ai rien vû de fuite.
Un spectre en paroiffant prenoit foudain la fuite,
Ils s'effaçoient l'un l'autre, & chaque illusion
Redoubloit mon effroi par fa confusion.

JULIE.

C'est en contraire fens qu'un fonge s'interprete.

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