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VOUS

2 de janvier.

us devez être actuellement bien inftruit, mon cher et vertueux ami, du malheur qui m'eft arrivé: 1767. c'eft une bombe qui m'eft tombée fur la tête; mais elle n'écrasera ni mon innocence ni ma conftance. Je ne peux vous rien dire de nouveau là-deffus, parce que je n'ai encore aucune nouvelle.

J'ai éclairci tout avec M. le prince de Gallitzin; il n'y avait point de lettre de lui; tout eft parfaitement en règle; et, dans quelque endroit que je fois, les Sirven auront de quoi faire leur voyage à Paris, et de quoi fuivre leur procès. Vous pourrez, en attendant, envoyer copie du factum à madame Denis, fi M. de Beaumont ne le fait pas imprimer à Paris.

la

Vous aurez les Scythes inceffamment, à condition qu'ils ne feront point joués; et la raifon en eft que pièce eft injouable avec les acteurs que nous avons.

On m'a envoyé de Paris une pièce très-fingulière, 1767. intitulée le Triumvirat; mais ce qui m'a paru le plus mériter votre attention dans cet ouvrage, et celle de tous les gens qui penfent, c'est une hiftoire des profcriptions. Elles commencent par celles des Hébreux et finiffent par celles des Cévennes; ce morceau m'a paru très-curieux (*). Il me femble que la tragédie n'eft faite que pour amener ce petit morceau; la pièce d'ailleurs n'eft point convenable à notre théâtre, attendu qu'il y a très-peu d'amour.

Adieu, mon cher ami; vous devinez le trifte état. dans lequel nous fommes, madame Denis et moi. Nous attendons de vos nouvelles; écrivez à madame Denis au lieu d'écrire à M. Souchay, et fongez, quoi qu'il arrive, à écr. l'inf.

LETTRE I I.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

A Ferney, famedi au matin, 3 de janvier, avant que la pofte de France foit arrivée à Genève.

MEs anges fauront donc pourquoi j'ai fait imprimer

ES

les Scythes.

1o. C'est que je n'ai pas voulu mourir inteftat, et fans avoir rendu aux deux fatrapes, Nalrifp et Elochivis (**), l'hommage que je leur dois.

2o. C'est que mon épître dédicatoire eft fi drôle, que je n'ai pu réfifter à la tentation de la publier.

(*) Voyez Mélanges hiftoriques, tome II.

(**) Praflin et Choiseul.

3o. C'eft qu'il n'y a réellement point de comédiens pour jouer cette pièce, et que je ferai mort avant 1767. qu'il y en ait.

4°. C'eft que j'emporte aux enfers ma jufte indignation contre les comédiennes qui ont défiguré mes ouvrages, pour se donner des airs penchés fur le théâtre; et contre les libraires, éternels fléaux des auteurs; lefquels infames libraires de Paris m'ont rendu ridicule, et fe font emparés de mon bien pour le dénaturer avec un privilége du roi.

J'ai donc voulu faire favoir aux amateurs du théâtre, avant que de mourir, que je protestais contre tous les libraires, comédiens et comédiennes, qui font les causes de ma mort; et c'est ce que mes anges verront dans l'avis au lecteur, qui eft après ma naïve préface.

Je protefte encore, devant DIEU et devant les hommes, qu'il n'y a pas une feule critique de mes anges et de mes fatrapes à laquelle je n'aye été trèsdocile. Ils s'en apercevront par le papier collé page 19, et par d'autres petits traits répandus çà et là.

Je protefte encore contre ceux qui prétendent que je fuis tombé en apoplexie; je n'ai été évanoui qu'un quart d'heure tout au plus, et mon ftyle n'est point apoplectique.

Si mes anges et mes fatrapes veulent que la pièce foit jouée avant que l'édition paraiffe, ils font les maîtres. Gabriel Cramer la mettra fous cent clefs, pourvu qu'il y ait des acteurs pour la jouer, et que les comédiens la faffent fuccéder immédiatement après la pomme (*); car, pour peu qu'on diffère, il

(*) Guillaume Tell.

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fera impoffible d'empêcher l'édition de paraître; les 1767. provinces de France en feront inondées, et il en arrivera à Paris de tous côtés.

Je la lus devant des gens d'efprit, et même devant des connaisseurs, quatre jours avant mon apoplexie, et je fis fondre en larmes pendant tout le fecond acte et les trois fuivans.

J'enverrai au bout des ailes de mes anges les paroles et la mufique, dès que les comédiens auront pris une résolution. J'attends leurs ordres avec la foumiffion la plus profonde. V.

LET TRE I I I.

AUME ME.

4 de janvier.

COMME les cuifiniers, mon cher ange, partent toujours de Paris le plus tard qu'ils peuvent, et s'arrêtent en chemin à tous les bouchons, j'ai reçu un peu tard la lettre que vous avez bien voulu m'écrire le 14 de décembre. Ma réponse arrivera gelée ;. notre thermomètre eft à douze degrés au-deffous du terme de la glace; une belle plaine de neige, d'environ quatre-vingts lieues de tour, forme notre horizon; me voilà en Sibérie pour quatre mois. Ce n'eft pas affurément cette situation qui me fait défirer de vous revoir et de vous embraffer; je quitterais le paradis terreftre pour jouir de cette confolation. J'espère bien quelque jour venir faire un tour à Paris, uniquement

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