Page images
PDF
EPUB

1767.

L E TTRE XVII.

A M. DORAT.

Du 28 de janvier.

LA rigueur extrême de la faison, Monfieur, a

trop augmenté mes fouffrances continuelles pour me permettre de répondre, auffitôt que je l'aurais voulu, à votre lettre du 14 de janvier. L'état douloureux où je fuis a été encore augmenté par l'extrême difette où la ceffation de tout commerce avec Genève nous a réduits. Ma fituation, devenue très-défagréable, ne m'a pas affurément rendu infenfible aux jolis vers dont vous avez femé votre lettre. Il aurait été encore plus doux pour moi, je vous l'avoue, que vous euffiez employé vos talens aimables à répandre dans le public les fentimens dont vous m'avez honoré dans vos lettres particulières. Perfonne n'a été plus pénétré que moi de votre mérite; perfonne n'a mieux fenti combien vous feriez d'honneur un jour à l'académie française qui cherche, comme vous favez, à n'admettre dans fon corps que des hommes qui pensent comme vous. J'y ai quelques amis, et ces amis ne font pas affurément contens de la conduite de Rouffeau, et le font très-peu de fes ouvrages. M. d'Alembert et M. Marmontel n'ont pas à fe louer de lui.

Vous favez d'ailleurs que M. le duc de Choifeul n'eft que trop informé des manœuvres lâches et criminelles de cet homme; vous favez que fon

complice

complice a été arrêté dans Paris. J'ignore, après tout cela, comment vous avez appelé du nom de grand- 1767. homme un charlatan qui n'eft connu que par des paradoxes ridicules et par une conduite coupable. Vous fentez d'ailleurs la valeur de ces expreffions, à la page 8 de votre Avis :

Achevez enfin, par vos mœurs,

Ce qu'ont ébauché vos ouvrages.

Je n'avais point vu votre Avis imprimé, on ne m'en avait envoyé que les premiers vers manufcrits. Je laiffe à votre probité et aux fentimens que vous me témoignez le foin de réparer ce que ces deux vers ont d'outrageant et d'odieux. Pefez, Monfieur, ce mot de maurs. J'ofe vous dire que ni ma famille, ni mes amis, ni la famille des Calas, ni celle des Sirven, ni la petite-fille du grand Corneille, ne m'accuferont de manquer de mœurs. Vous conviendrez du moins qu'il y a quelque différence entre votre compatriote qui a marié un gentilhomme de beaucoup de mérite avec mademoiselle Corneille, et un garçon horloger de Genève, qui écrit que monfieur le dauphin doit épouser la fille du bourreau, fi elle lui plaît.

Les mœurs, Monfieur, n'ont rien de commun avec les querelles de littérature; mais elles font liées essentiellement à l'honnêteté et à la probité dont vous faites profeffion. C'est à vos mœurs même que je m'adreffe. Les deux lettres que vous avez eu la bonté de m'écrire, l'amitié de M. le chevalier de Pezai, la vôtre que j'ambitionne, et dont vous m'avez Correfp. générale. Tome IX, C

flatté, me donnent de juftes espérances. Ce fera pour 1767. moi la plus chère des confolations de pouvoir me livrer fans réserve à tous les fentimens avec lefquels j'ai l'honneur d'être, Monfieur, &c.

LETTRE XVIII.

A M. LE COMTE DE ROCHEFORT.

VOICI,

A Ferney, 28 de janvier.

OICI, Monfieur, les lettres que j'ai reçues pour vous. Je fuis bien fâché de ne vous les pas rendre en main propre; madame Denis partage mes regrets.

La malheureuse affaire dont vous avez la bonté de me parler ne devait me regarder en aucune manière; j'ai été la victime de l'amitié, de la fcélérateffe et du hafard. Je finis ma carrière comme je l'ai commencée, par le malheur.

Vous favez d'ailleurs que nous fommes entourés de foldats et de neige. Je suis dans la Sibérie; je ne puis l'habiter, et je n'en puis fortir. J'ai des malades fans fecours, cent bouches à nourrir, et aucunes provifions. Vous avez vu Ferney affez agréable; c'eft actuellement l'endroit de la nature le plus difgracié et le plus miférable. Vous nous auriez confolés, Monfieur, et nous ne nous confolons de votre absence que parce que nous n'aurions eu que nos misères à vous offrir.

Ce pauvre père Adam eft malade à la mort; il

ne peut avoir ni médecin ni médecine; ainfi il réchappera.

Confervez-moi vos bontés, et foyez bien convaincu de mon tendre et refpectueux attachement.

LETTRE XIX.

A M. MAR MONTE L.

A Ferney, 28 de janvier.

ENFIN donc, mon cher confrère, voilà le mérite

accueilli comme il doit l'être. Ce ne font pas là les prestiges et le charlatanisme d'un malheureux génevois dont Paris a été quelque temps infatué. Voilà un beau jour pour la littérature; et, ce qui n'est pas moins beau, mon cher ami, c'est la fenfibilité avec laquelle vous parlez du triomphe d'un autre. C'est-là le partage des vrais talens; il faut que ceux qui les possèdent foient unis contre ceux qui les haïffent. C'eft aux Chaumeix, aux Frérons, aux gazetiers eccléfiaftiques, à la canaille qui cherche de petites places, ou à la canaille qui les a, de s'élever contre ceux qui cultivent les arts. Le feul bruit d'une union fraternelle entre les d'Alembert, les Thomas, vous et quelques autres, fera périr cette

vermine.

Embraffez pour moi notre cher et illuftre confrère qui eft, avec vous, la gloire de notre académie.

Préfentez, je vous prie, à madame Geoffrin mes très-tendres refpects. L'affaire des Sirven, qu'elle

[merged small][ocr errors]

a prise fous fa protection, devrait être plus avancée 1767. qu'elle ne l'eft; on en a déjà pourtant parlé au confeil du roi. M. Chardon eft nommé pour rapporteur. J'aurais bien voulu que M. de Beaumont vous eût confulté, mon cher confrère, sur son factum dont le fond mérite l'attention publique; ce fujet pouvait faire une réputation immortelle à un homme éloquent.

J'attends toujours votre Bélifaire; il me confolera. Je fuis dans un état pire que le fien, entre trente pieds de neige, des foldats, la famine, les rhumatismes et le fcorbut; mais il faut remercier DIEU de tout, car tout eft bien. Je vous embraffe avec la plus fincère et la plus inviolable amitié. V.

LETTRE X X.

A MADAME

[ocr errors]

LA MARQUISE DE BOUFFLERS,

A Ferney, 30 de janvier.

A Mon âge, Madame, on ne peut plus fatisfaire

fes paffions. Il y a un mois que je fuis dans mon lit; et, fi je me fesais traîner à Lyon pour vous faire ma cour, vingt pieds de neige, qui couvrent nos montagnes, m'empêcheraient d'arriver.

Je ne fais fi j'ai eu l'honneur de vous mander que nous avons la guerre et la famine dans la très-belle

« PreviousContinue »