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ENVOI

Mais sonne avant ce jour, sonne doucement l'heure
Où quelque barde ami, dans mon humble demeure,
Vient de mon cœur malade éclairer le long deuil,
Et me laisse en partant, charitable dictame,
Deux gouttes du parfum qui coule de son âme, 125
Pour embaumer longtemps mon seuil.

CHAPITRE XVIII

LA VIE POLITIQUE (suite)

1839-1848

LES GRANDS DISCOURS

En pleine possession de sa maîtrise oratoire, Lamartine songea vite à sortir de l'isolement un peu hautain d'où il considérait, jusqu'alors, les hommes et les partis, pour jouer un rôle actif dans la bataille parlementaire.

Au mois de janvier 1838, il prend nettement position: il se range aux côtés du ministère Molé attaqué par la coalition des principaux partis qui, depuis 1830, s'étaient disputé le gouvernement et qui avaient pour chefs Guizot, Thiers et Berryer. Son attitude étonna d'abord les contemporains: elle lui fut inspirée à la fois par un sentiment chevaleresque, par sa sympathie pour Molé, par le désir de prouver que les chefs de la « coalition » subordonnaient les principes et les idées au vil opportunisme » des plus discutables intérêts. S'il en faisait la démonstration publique, ne rallierait-il point autour de lui les députés qui les avaient jusqu'alors suivis ? ne réussirait-il point à fonder le large parti des idées dont, obstinément, il rêvait ?... Dans cette dure bataille parlementaire, il apporta toutes les ressources de son ardente éloquence : il eut des envolées superbes, trouva des formules heureuses et frappantes. Si la coalition triomphe, s'écria-t-il un jour... république et monarchie, mouvement et résistance, paix et guerre, révolution et conservation, comment associer tout cela ?... Ne sera-ce pas organiser le chaos pour gouverner avec la tempête ?... » Aux politiciens, « vils joueurs de gobelets », à la vue courte, il montrait les « masses » inquiètes, avides d'idées claires et généreuses :

<< Il ne faut pas se figurer, Messieurs, que, parce que nous sommes fatigués des grands mouvements qui ont

1. DES COGNETS (ouvr. cité, pp. 296-299) a fort bien démélé es motifs qui déterminèrent alors Lamartine.

remué le siècle et nous, tout le monde est fatigué comme nous et craint le moindre mouvement. Les générations qui grandissent derrière nous, ne sont pas lasses, elles : elles veulent agir et se fatiguer à leur tour : Quelle action leur avez-vous donnée ?... La France est une nation qui s'ennuie... »

Sur tout le pays, par-dessus les têtes des parlementaires, cette déclaration fit courir un frémissement : elle est demeurée fameuse. Quelques jours plus tard, comme Arago interrompait l'orateur, en lui demandant : Et le parti social ?.... Lamartine répliqua avec un rare bonheur : « On me demande ce qu'est ce parti social: Messieurs, ce n'est pas encore un parti; c'est bien plus : c'est une idée ».

La « coalition » fut victorieuse ; mais de la lutte, Lamartine sortit grandi dans l'opinion.

En 1839, quand tomba décidément le ministère Molé, il espéra que la reconnaissance du Roi lui vaudrait un portefeuille dans le ministère nouveau; on l'oublia. En octobre 1840, Guizot, quand il forma son ministère, ne lui fit offrir qu'un portefeuille secondaire; Lamartine, fort dignement, refusa. En décembre 1841, il brigua en vain la présidence de la Chambre des Députés, qui lui a paraissait comme « un ministère sans portefeuille de l'opinion publique ».

Persuadé alors qu'il ne réussira jamais à jouer un rôle de premier plan dans le parti conservateur, convaincu que LouisPhilippe entretient contre lui des préventions et des rancunes personnelles, détaché au reste par la mort de son père (1840) et par celle de son ami Virieu (1841) des dernières influences qui l'unissaient encore au passé, il en arrive assez vite à vaincre ses dernières hésitations: il rompt avec tous les soutiens de la Monarchie de Juillet, qu'il appelle plaisamment « le parti des bornes » ; il s'oriente vers les partis de gauche, déclare que de leur côté seulement il voit germer les idées fécondes qui nourriront l'avenir ; et, le 27 janvier 1843 enfin, dans un magnifique discours, il signifie son opposition au gouvernement, et même au régime :

LE DISCOURS DU 27 FÉVRIER 1843

Si je me trompe, je ne perds que moi, je ne fais tort qu'à moi, je n'en ferai aucun à mon pays. Et qu'importe après tout l'erreur d'un esprit sincère et dévoué à ce qu'il croit être le bien ? Le vaisseau de l'État est-il

donc une barque si frêle et si vacillante, que le poids d'un homme qui se déplace puisse lui faire perdre l'équilibre et le submerger ?... Non... c'est un bâtiment. solide et vaste qui porte dans ses flancs des intérêts immenses, et qui ne s'aperçoit pas, comme le croit notre orgueil, du déplacement de quelques misérables individualités.

Que fonde-t-on de grand avec de petits moyens ? Non, république, constitution, monarchie, alliance, on ne fonde tout cela qu'avec des pensées collectives, avec des pensées désintéressées et nationales! Et, c'est ainsi qu'on est réellement conservateurs ! Vous croyez l'être je le suis plus que vous ! Vous voulez bâtir avec des matériaux décomposés, avec des éléments morts, et non avec des idées qui ont la vie, et qui auront l'avenir ! Ce que l'on bâtit ainsi résiste plus et subsiste mieux !

Derrière cette France, qui semble s'assoupir un moment, derrière cet esprit public qui semble se perdre, et qui, s'il ne vous résiste pas, du moins vous laisse passer en silence sans vous arrêter, mais sans confiance, derrière cet esprit public qui s'amortit un instant, il y a une autre France et un autre esprit public: il y a une autre génération d'idées qui ne s'endort pas, qui ne vieillit pas avec ceux qui se repentent, qui ne se trahit pas avec ceux qui se trahissent eux-mêmes, et qui, un jour, sera tout entière avec nous.

Oui, il y a des interprétations des insinuations, des calomnies à braver. Je les brave toutes d'avance, et ma vie y répondra. Je dédaignerais d'y répondre autrement. Peu m'importent ces difficultés d'une situation politique! Les situations politiques grandissent sous les difficultés mêmes, quand c'est la conscience qui force à les braver ! Que m'importe ce que l'on pensera de moi ! Que m'importe à quel rang je combattrai, pourvu que je combatte pour la cause que je porte dans mon cœur depuis que je pense, pour la cause populaire, pour la cause non des passions du peuple, mais de ses intérêts et de ses droits légitimes! Dieu et les hommes ne nous

demandent pas avec qui, à quel rang, nous avons combattu, mais pour qui nous avons combattu...

Cette superbe déclaration était un acte : elle inféodait Lamartine à l'avenir. Il devenait l'un des chefs de l'opposition, l'une des têtes du parti populaire. Il le savait. Le 4 juin suivant, dans le banquet qui lui fut offert par la ville de Mâcon, il déclarait : « Le temps des masses approche et je m'en réjouis : mais il faut que leur avènement soit régulier pour être durable ». Et il portait ce toast: « A l'accomplissement régulier et pacifique des destinées de la démocratie !... »

A son talent oratoire, il unissait, parmi les plus éclatantes images, un sens profond de la réalité et une intuition quasiprophétique de l'avenir. Contre Thiers, il soutenait la loi sur les chemins de fer, prévoyait le bouleversement que ce mode de communication nouveau allait apporter dans les sociétés et dans les mœurs. Deux discours en particulier font éclater la diversité de son éloquence celui qu'il prononça le 26 mai 1840 sur le retour des cendres de l'Empereur Napoléon »; celui où, le 21 et le 28 janvier 1841, il montra les inconvénients du projet sur les fortifications de Paris. Ces discours sont deux chefs-d'œuvre. Lamartine leur apportait, à la tribune, le secours d'une voix harmonieuse, grave et prenante, modulée sur des notes un peu basses d'une taille élevée, d'une prestance noble et agréable. Il les préparait par une méditation intense, se contentait ensuite de jeter sur le papier quelques notes, d'élaborer une sorte de plan qui contenait moins la suite des idées que la courbe oratoire du développement, l'amorce des principales périodes et le dessin des plus belles images 1.

DISCOURS SUR LE RETOUR DES CENDRES

Le ministère présidé par Thiers venait de provoquer dans l'opinion un véritable « coup de théâtre » en annonçant à la Chambre, dans la séance du 12 mai 1840, que, d'accord avec

1. Voir sur sa méthode oratoire le livre de M. Louis BARTHоυ, Lamartine orateur, et l'étude de M. René DouMIC dans la Revue des DeuxMondes du 15 septembre 1908 : « Lamartine orateur de 1830 à 1847 ».

2. Le titre exact, tel qu'il est donné par Lamartine dans la France Parlementaire, est : « Discours sur la Loi relative aux restes mortels de Napoléon, prononcé à la Chambre des Députés, dans la séance du 26 Mai 1840. » Voir sur les circonstances qui accompagnèrent et qui suivirent ce Discours: Napoléon Délivré, par Albéric CARUET. Emile Paul, 1914.

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