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Des nuages pesants, pleins de tonnerre et d'eau,
Posèrent sur les monts comme un sombre fardeau, 400
Et, sur son front levé vers la céleste voûte,
L'homme sentit pleuvoir une première goutte.

ÉPILOGUE

Et le vieillard finit en disant : « Gloire à Dieu ! » Seul mot qui contient tout, seul salut, seul adieu, Seule explication du ciel et de la terre,

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Seule clef de l'esprit dont s'ouvre tout mystère !
Il étendit sa main pour le bénir sur nous !
Nous pliâmes, contrits, nos fronts et nos genoux ;
Comme un homme qui craint de renverser son vase,
Nous sortimes muets, emportant notre extase.
Le navire aux mâts nus endormi sur les flots
Sous l'ombre du Liban berçait nos matelots.
Sous la vergue où le câble avait roulé les toiles,
L'hirondelle du bord en becquetait les voiles.
Le sifflet réveilla le pilote dormant,

Et le vaisseau reprit son sillage écumant.

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CHAPITRE XVII

LES RECUEILLEMENTS POÉTIQUES

Les critiques dirigées de toutes parts contre la Chute d'un Ange avaient été fort sensibles à Lamartine. Pour y répondre indirectement, pour affirmer, non sans élégance, que les tracas de la politique et le souci de la haute poésie n'avaient point affaibli en lui le talent d'autrefois, il se prépara, aussitôt, à publier un volume de poésies lyriques, le premier de ce genre qu'il donnât au public depuis les Harmonies. A plusieurs reprises, pendant les étés de 1837 et de 1838 l'inspiration était venue le visiter avec une largeur, parfois même avec une violence d'émotion qui l'avait laissé tout vibrant; la mort de Louis de Vignet avait rouvert pour lui la source des souvenirs... Bref, idées et sentiments s'étaient, peu à peu, déposés comme autrefois en un certain nombre de poèmes, égaux pour l'inspiration, sinon toujours pour la forme, aux plus belles pièces des Harmonies. Lamartine, de plus, au cours des dernières années, avait écrit plusieurs poèmes de circonstance. Ce sont ces vers, entre lesquels, malgré la diversité de leur origine, une certaine gravité de pensée maintenait l'unité du ton, qu'il songea à réunir. Le titre qu'il leur donna indique qu'ils marquent, dans la vie si agitée de l'homme politique et de l'écrivain, des haltes de rêve, où le bruit du monde fait silence au profit des échos intérieurs....

Au reste, la situation financière de Lamartine, de plus en plus embarrassée au cours de cet hiver, l'obligeait à ne pas retarder la publication de ce nouveau recueil. Il l'apporte, en revenant à Paris, en décembre 1838, à l'éditeur Gosselin. Le livre s'imprime pendant le mois de janvier; Lamartine était alors accaparé par sa lutte contre la « coalition » et sa défense du ministère Molé. Dans les premiers jours de février, peine trouve-t-il le temps de glisser cette nouvelle à Virieu, à la fin d'une longue lettre où il lui rend compte de son triomphe politique « ... Je publie un volume, samedi, vers... » Mais les événements retardèrent la publication. Le 12 février, Lamartine n'a pas achevé de relire ses vers: Je ne puis partir avant la correction des épreuves de mon nouveau volume. Cela finira dans deux jours. »

D

A ce nouveau volume », il manquait encore une préface. Lamartine l'écrivit à Saint-Point, où il alla prendre quelques jours de

repos :

Saint-Point, 25 février 1839.

« Ici depuis trente-six heures, et en paix quoiqu'avec une maison » pleine d'électeurs. J'en jouis délicieusement. Je suis couché sur » mon tapis pour entendre le vent qui rugit avec une voix connue » autour de ma tour. Je viens d'écrire une préface de trente pages, » comme un chapitre des Confessions de J.-J. Rousseau; cela s'imprime dans trois jours. Tu l'auras, et je crois que cela te » plaira, bien qu'écrit sans rature, en deux heures et demie, entre » cinquante dérangements. Pour moi, en la relisant, je déclare » qu'elle me ravit. C'est le récit des heures que je passe, de cinq >> heures à neuf heures du matin, seul dans mon réduit, quand je » fais des vers. »

(A Virieu.)

Lamartine avait raison de tenir à cette Préface: c'est déjà une page des Confidences, avec le parti pris d'idéalisation en moins ; et, en outre, c'est la plus vivante peinture de la vie qu'il menait alors à Saint-Point, dans l'intervalle des sessions parlementaires.

Les Recueillements parurent au mois de mars, dix-neuf ans presque jour pour jour après les Méditations. Ils furent fort mal accueillis. Virieu même paraît ne les avoir goûtés que médiocrement, car le 12 mai, Lamartine lui demande : « ... Est-ce que tu n'as pas reçu les Recueillements poétiques, que tu ne m'en dis rien? ou t'ont-ils semblé mauvais ? Lis la Cloche, l'Épître à Dumas, les vers sur Julia... »

Au milieu de l'été, Lamartine a pris, décidément, son parti d'un échec, dont il espère une revanche dans l'avenir: « ... J'ai l'insuccès le plus éclatant et le plus général que puisse ambitionner un mauvais poète. Je m'attendais à la chute et à la colère, mais pas à autant d'injures et de coups de pierres que j'en reçois des presses combinées. C'est un roulement d'insultes et de mépris que j'ai rarement vu plus complet. Cela n'est pas totalement mérité, et, sous quelques rapports, pas du tout. Impavidum ferient. Dans dix-huit mois, ce sera la réaction, comme pour le Voyage en Orient, écrasé deux ans, et auquel les presses ne suffisent plus en ce moment. J'ai aussi des vengeurs nombreux. >>

L'insuccès de 1839 s'explique facilement. « Plus Lamartine grandissait comme orateur et comme homme politique, moins on était disposé à le compter encore au nombre des faiseurs de vers. Aussi bien, on était au lendemain du complet échec subi par la Chute d'un Ange; on n'imaginait pas qu'il pût s'en relever... * (R. Doumic). Par contre, l'indifférence que la critique paraît avoir conservée à ce recueil prend l'apparence d'une injustice. M. Donmic proteste contre elle; il exprime avec beaucoup de sympathie, le charme original et nuancé de ce dernier livre lyrique de Lamartine Ce sont des vers écrits à l'automne de la vie, comme à

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(D'après un dessin de T. G. Regnault, fait à Rome)

l'automne de l'année ; ils en reflètent les émotions, ils en traduisent les pensées. Parvenu à cet endroit de la route, si le voyageur se retourne, il la voit bordée de tombeaux... C'est là cette tristesse de l'âge mûr, si différente de la mélancolie dont la jeunesse croit souffrir, et qui n'est que l'impatience de l'avenir. La rêverie du jeune homme est égoïste; combien elle paraît mesquine et frivole à l'homme instruit par la vie ! Maintenant détaché du point de vue personnel, c'est sur la misère universelle qu'il promène un regard de large pitié ; c'est la plainte humaine dont il écoute et dont il renforce l'écho... Le christianisme élargi et vague du poète se confond avec la religion de l'humanité...

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LETTRE A M. LÉON BRUYS D'OUILLY

SERVANT DE PRÉFACE

Je vous envoie, mon cher ami, le petit volume de poésies nouvelles que M. Charles Gosselin réclame et que vous voulez bien vous charger de lui porter parmi vos bagages. Les poètes seuls doivent se charger de ces commissions à la fois sérieuses et futiles, comme on ne donne les choses légères à porter qu'aux mains des enfants.

Mon éditeur ne se contente pas de vers; il veut encore un titre. Dites-lui d'appeler ce volume Recueillements poétiques. Ce titre rend parfaitement l'impression que j'ai eue en écrivant ces poésies. C'est le nom des heures que j'y ai trop rarement consacrées.

Vous me demandez, mon cher ami, comment, au milieu de mes travaux d'agriculteur, de mes études philosophiques, de mes voyages et du mouvement politique qui m'emporte quelquefois dans sa sphère tumultueuse et passionnée, il peut me rester quelque liberté d'esprit et quelques heures d'audience pour cette poésie de l'âme qui ne parle qu'à voix basse dans le silence et dans la solitude. C'est comme si vous demandiez au soldat ou au matelot s'il leur reste un moment pour penser à ce qu'ils aiment et pour prier Dieu, dans le bruit du camp ou dans l'agitation de la mer. Tout homme a en soi une merveilleuse faculté d'expansion et de concentration, de se livrer au monde sans se perdre soimême, de se quitter et de se retrouver tour à tour. Voulezvous que je vous dise mon secret ? C'est la division du temps; son heure à chaque chose, et il y en a pour tout. Bien entendu que je parle de l'homme qui vit comme nous, à cent lieues de Paris et à dix lieues de toute ville, entre deux montagnes,

1. DOUMIC. Lamartine, pp. 167-170.

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