C'est pour eux que sont faits ces divins phénomènes Dont l'homme n'entrevoit que les lueurs lointaines ; Et pour eux la nature est un saint instrument Dont l'immense harmonie éclate à tout moment, Et dont la claire voix et les mille merveilles De sagesse et d'extase enivrent leurs oreilles.
A cette heure où du jour le bruit va s'assoupir, Pour entendre du soir l'insensible soupir, Quelques-uns d'eux, errant dans ces demi-ténèbres, Étaient venus planer sur les cimes des cèdres. Des étoiles aux mers, comme pleine de sens,
La montagne n'était qu'une âme à mille accents. Il eût fallu Dieu même et l'oreille infinie
Pour démêler les voix de la vaste harmonie. Les anges, le silence et la nuit écoutaient
Ce grand chœur végétal; et les cèdres chantaient.
CHŒUR DES CÈDRES DU LIBAN
Saint, saint, saint le Seigneur qu'adore la colline ! Derrière ces soleils, d'ici nous le voyons;
Quand le souffle embaumé de la nuit nous incline, Comme d'humbles roseaux sous sa main nous plions! Mais pourquoi plions-nous ? C'est que nous le prions! C'est qu'un intime instinct de la vertu divine Fait frissonner nos troncs du dôme à la racine, Comme un vent du courroux qui rougit leur narine, Et qui ronfle dans leur poitrine,
Fait ondoyer les crins sur les cous des lions.
Glissez, glissez, brises errantes, Changez en cordes murmurantes La feuille et la fibre des bois ! Nous sommes l'instrument sonore
Passez, repassez mille fois !
Si vous cherchez qui le proclame, Laissez là l'éclair et la flamme ! Laissez là la mer et la lame !
Et nous, n'avons-nous pas une âme Dont chaque feuille est une voix ?
Tu le sais, ciel des nuits, à qui parlent nos cimes ; Vous, rochers que nos pieds sondent jusqu'aux abîmes Pour y chercher la sève et les sucs nourrissants; 165 Soleils, dont nous buvons les dards éblouissants; Vous le savez, ô nuits dont nos feuilles avides Pompent les frais baisers et les perles humides : Dites si nous avons des sens!
Des sens dont n'est douée aucune créature, Qui s'emparent d'ici de toute la nature, Qui respirent sans lèvre et contemplent sans yeux, Qui sentent les saisons avant qu'elles éclosent ; Des sens qui palpent l'air et qui le décomposent, D'une immortelle vie agents mystérieux !
Et pour qui donc seraie t ces siècles d'existence ? Et pour qui donc seraient l'âme et l'intelligence ? Est-ce donc pour l'arbuste nain ? Est-ce pour l'insecte et l'atome, Ou pour l'homme, léger fantôme, Qui sèche à mes pieds comme un chaume, Qui dit la terre son royaume,
Et disparaît du jour avant que de mon dôme Ma feuille de ses pas ait jonché le chemin ?
Car les siècles pour nous, c'est hier et demain !!! 185
Oh! gloire à toi, Père des choses! Dis quel doigt terrible tu poses Sur le plus faible des ressorts, Pour que notre fragile pomme, Qu'écraserait le pied de l'homme, Renferme en soi nos vastes corps!
Pour que de ce cône fragile, Végétant dans un peu d'argile,
Dites quel jour des jours nos racines sont nées, Rochers qui nous servez de base et d'aliment ! De nos dômes flottants montagnes couronnées, Qui vivez innombrablement ; Soleils éteints du firmament,
Étoiles de la nuit par Dieu disséminées,
Parlez, savez-vous le moment?
Si l'on ouvrait nos troncs, plus durs qu'un diamant,
On trouverait des cents et des milliers d'années
Écrites dans le cœur de nos fibres veinées,
Des hommes inclinant leurs fronts Viendront adorer nos vestiges, Coller leurs lèvres à nos troncs; Les saints, les poètes, les sages, Écouteront dans nos feuillages Des bruits pareils aux grandes eaux Et sous nos ombres prophétiques Formeront leurs plus beaux cantiques Des murmures de nos rameaux.
Glissez comme une main sur la harpe qui vibre Glisse de corde en corde, arrachant à la fois A chaque corde une âme, à chaque âme une voix ; Glissez, brises des nuits, et que de chaque fibre Un saint tressaillement jaillisse sous vos doigts! 265 Que vos ailes frôlant les cintres de nos voûtes, Que des larmes du ciel les résonnantes gouttes, Que les gazouillements du bulbul dans son nid, Que les balancements de la mer dans son lit,
L'eau qui filtre, l'herbe qui plie, La sève qui découle en pluie, La brute qui hurle ou qui crie,
Tous ces bruits de force et de vie Que le silence multiplie,
Et ce bruissement du monde végétal
Qui palpite à nos pieds du brin d'herbe au métal, Que ces voix qu'un grand chœur rassemble Dans cet air où notre ombre tremble
S'élèvent et chantent ensemble
Celui qui les a faits, celui qui les entend, Celui dont le regard à leurs besoins s'étend : Dieu, Dieu, Dieu, mer sans bords qui contient tout en
Foyer dont chaque vie est la pâle étincelle,
Bloc dont chaque existence est une humble parcelle ! Qu'il vive sa vie éternelle,
Complète, immense, universelle ;
Qu'il vive à jamais renaissant Avant la nature, après elle; Qu'il vive et qu'il se renouvelle,
Et que chaque soupir de l'heure qu'il rappelle Remonte à lui, d'où tout descend !!!
Ainsi chantait le chœur des arbres, et les anges Avec ravissement répétaient ces louanges; Et des monts et des mers, et des feux et des vents, De chaque forme d'être et d'atomes vivants, L'unanime concert des terrestres merveilles Pour s'élever à Dieu passait par leurs oreilles. Et ces milliers de voix de tout ce qui voit Dieu, Le comprend, ou l'adore, ou le sent en tout lieu, Roulaient dans le silence en grandes harmonies, 300 Sans mots articulés, sans langues définies, Semblables à ce vague et sourd gémissement Qu'une étreinte d'amour arrache au cœur aimant,
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